Jasmien Van Loo : rencontre avec la styliste qui habille les pop stars du nord du pays
La scène musicale belge flatte désormais autant nos regards que nos oreilles. La preuve avec les créations edgy de Jasmien Van Loo, qui habille les pop stars du nord du pays.
Pendant des années, en Flandre, on a trouvé normal que les looks des célébrités locales, sur scène comme sur le tapis rouge, n’éveillent aucun enthousiasme. Mais aujourd’hui, la donne a changé et des stars comme Pommelien Thijs, Coely, Glints, Max Colombie (Oscar and the Wolf) ou Charlotte Adigéry nous en mettent plein la vue avec des tenues à la pointe de la mode. La mode avec un grand M et, de surcroît, bien de chez nous, confectionnée par des créateurs débutants et méconnus. Du moins pour l’instant car tout indique que cette nouvelle génération de fashion designers est en route pour la gloire. Dans ses rangs : Jasmien Van Loo, reconnaissable à ses mèches roses et à sa passion pour le vintage recyclé. Elle aime aussi les Furby, les machines à coudre à l’ancienne et la lingerie. Rencontre avec une étoile montante dotée d’un sens de la mise en scène à faire pâlir ses célèbres clientes.
Nous avons rencontré une Jasmien en pleine effervescence la veille des MIA, la cérémonie de remise des prix flamands de la musique. Pas mal de travaux de couture l’attendaient encore : un survêtement rose vif pour son amie, la chanteuse Glints, mais aussi un haut et une jupe à coupe en V à la taille dont raffole Pommelien Thijs, la favorite du public. Mais la chanteuse voulait aussi un pantalon à porter sur le tapis rouge avec un haut fait maison, composé de morceaux de vinyles cassés. Quel plaisir de voir la mode redevenir un jeu. On attendait ça depuis des lustres. "En Belgique, pendant longtemps, on n’a pas mis en lumière les tenues des artistes. Le tapis rouge était réservé aux États-Unis et aucun budget n’était prévu pour les looks de scène. On ne peut que le regretter car c’est un vecteur puissant. Moi qui travaille en contact direct avec des célébrités, je remarque qu’elles ont toutes un alter ego qui prend le dessus tôt ou tard, consciemment ou non. Arborer la bonne tenue aide à faire ressortir la bête de scène tapie en chaque artiste. Pendant trop longtemps, on a laissé planer l’idée qu’il fallait rester naturel et qu’il suffisait d’enfiler un jean et un T-shirt. Avec parfois l’impression que cette prétendue modestie à la belge nous était imposée. Mais, grâce aux médias sociaux, des stars comme David Bowie, Cher ou plus récemment Lady Gaga se sont infiltrées dans nos garde-robes. L’extravagance a enfin droit de cité dans notre plat pays. Travailler sur mesure nous permet de créer des tenues parfaitement adaptées à l’artiste et à l’esprit de son spectacle. On peut s’inspirer du look d’un album, du message véhiculé par la musique ou de la ligne artistique qui doit se dégager d’une série de concerts. Le vestiaire devient une composante du spectacle, au même titre que l’éclairage. La preuve en est qu’il relève tout autant du défi technique : éviter d’habiller de noir un artiste car on ne le verrait pas au dernier rang, proscrire certains imprimés qui ne fonctionnent pas sur scène, privilégier les matières qui donnent une grande liberté de mouvement, etc."
À côté de Jasmien, une pile de strings rose vif attire notre regard. Quand elle n’est pas plongée dans la jungle musicale, la créatrice lance régulièrement des collections capsules disponibles sur mesure. Pour la Saint-Valentin, elle a sorti une édition spéciale en collaboration avec la marque de cartes postales Kaart Blanche sous la forme de colis sexy "for girls and gays". Car, selon elle, tout le monde se réjouit de trouver un mot d’amour ou de jolis sous-vêtements dans sa boîte aux lettres. La créatrice a débuté sa carrière solo dans le secteur de la lingerie, à la suite d’années d’errance dans l’univers de la mode. Après des études d’art et de mode suivies de nombreuses formations en cours du soir, elle fait ses premiers pas dans le sillage d’Olivier Rizzo, le styliste de Prada. Comme beaucoup d’autres, Jasmien Van Loo a un déclic pendant la période Covid et décide de se lancer en solitaire. Faute de matériel, elle s’attaque aux pièces de sa propre garde-robe et de celle de son compagnon à coups de ciseaux et d’aiguilles. Résultat : sa collection de lingerie confectionnée à base de vêtements de sport, devient rapidement virale et la marque Jasmien Van Loo voit le jour. "Depuis lors, je m’adonne chaque jour à mon passe-temps préféré : la couture. Dès qu’on m’achète un ensemble de lingerie, je me glisse derrière ma machine pour l’ajuster en fonction des mensurations de la cliente. Je me sens vraiment reconnaissante de pouvoir faire ça toute la journée, mais aussi des opportunités qui s’offrent à moi dans le monde de la musique."
La créativité ébouriffante de Jasmien lui a valu d’avoir sa propre série web : Thrift You Up, disponible sur VRT MAX. Avec la complicité de son talentueux collègue, Jordy Arthur, elle habille des célébrités avec des vêtements recyclés. Elle a, par exemple, conçu une combinaison pour la chanteuse néerlandaise Merol, qui s’est empressée de lui commander un vestiaire complet pour ses concerts. "J’aime mes clientes parce qu’elles sont aussi créatives que moi en matière de tenues. Comme Merol ne jure que par les combinaisons, c’est à moi d’en faire des pièces uniques. D’ailleurs, elle vend ses tenues de scène après les spectacles et j’adore l’idée que d’autres en profitent à leur tour. Pommelien continue à porter ses tenues tout en aimant varier, raison pour laquelle j’ai créé pour elle des looks modulaires qu’elle peut combiner et assortir. Pour Sylvie (Kreusch, NDLR), je dois prévoir des vêtements qui peuvent être ajustés par la suite. Exemple : une robe fermée susceptible d’accueillir un grand décolleté. Quant à Glints, elle est et reste fan des survêtements, ce qui me convient parfaitement, car j’adore en faire de la lingerie. Ça en dit long sur mon amour pour mes clientes, non ?"
Rien n’est trop fou, même pas la lingerie à imprimé Furby. "Enfant, je n’ai jamais eu de Furby et ce manque a débouché sur une sorte d’obsession (rires). Mes amis m’ont offert mon premier Furby quand j’avais 19 ans et depuis, ils m’inspirent une véritable fascination. Je les collectionne. J’en ai vingt-cinq jusqu’à présent et ils parlent tous des langues différentes. Parfois, je les fais converser entre eux en français, néerlandais et anglais. Tous mes Furby sont exposés dans mon atelier, car je veux que les visiteurs s’immergent totalement dans mon univers. J’adore le rose, et ça se voit à mes vêtements et à mes cheveux. Cette couleur me rend heureuse, j’aime son côté enfantin. Bizarrement quand j’étais petite, je m’habillais toujours en noir jusqu’à ce qu’à l’âge de 10 ans me vienne l’envie de créer une robe noire avec des touches de rose. Avec le recul, je me rends compte que ça a été un moment de basculement. Depuis lors, je vois de plus en plus la vie en rose, comme si j’empruntais le chemin en sens inverse et qu’en grandissant, je laissais de plus en plus de place à l’enfant qui sommeille en moi. Mon travail est teinté d’une touche d’humour. Pour moi, la mode ne doit pas toujours être sérieuse. Son rôle est d’être une source de plaisir. Je veux que mes créations respirent la douceur dans tous les sens du terme. Le défi consiste à transmettre cette nostalgie et cet accent ludique sans tomber dans des looks trop enfantins. J’accepte sans problème qu’on qualifie mes créations de non conformistes. Pourquoi devrait-on se limiter à porter du bleu et du beige ? Parce que c’est comme ça ? Parce qu’il faut éviter de sortir du lot ? Parce que quelqu’un en a décidé ainsi ? On oublie tous à quel point il est important de s’amuser et de préserver son âme d’enfant."