Hommes

Carl Anders Sven Hultin, Mounir Moham, Gerrit Elen... Qui sont ces néo-dandys belges ?

L’élégance et la sophistication sont comme toutes les formes de cultures, elles évoluent au fil du temps dans leurs manifestations et leur sociologie. Décryptage d’un phénomène.
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Le dandysme est né en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle. Courant de mode et de pensée fondé sur une attention portée à affûter son apparence et son langage, il a évolué avec les codes de la société. La nouvelle génération flirte avec la limite du masculin-féminin, porte du satin, du fleuri, du streetwear, invente son propre mix. Ils sont créatifs, hommes d’affaires, parfois musiciens comme Stromae qui s’est affirmé avec ce style dandy, ou les rappeurs belges Damso et Hamza qui jouent sur l’ambivalence des styles. Célèbres ou pas, leur point commun ? Ils sont à l’aise avec leur identité. Avec une vraie culture de mode et revendiquant des choix vestimentaires particulièrement conscients, ils libèrent la masculinité en explorant leur propre personnalité.

Gerrit Elen, 31 ans, Anvers. Responsable marketing à La Prairie, et créateur de contenu lifestyle sur Instagram. @gerritandthecity

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© D.R.

"Le terme dandy véhicule pour moi une dimension très valorisante. Une façon de soigner son apparence avec la volonté d’être représentatif de sa personnalité profonde, sans compromis et sans peur du regard de l’autre, ce qui implique une dimension subversive. En maternelle, j’étais déjà très pointilleux sur mes chaussettes qui devaient être bien relevées sur mes mollets. À partir du moment où j’ai vu que mon style était apprécié par d’autres, ça m’a donné confiance. Plus on se sent validé, plus on ose, c’est un cercle vertueux. Je n’ai pas vraiment d’icônes masculines, je suis plutôt fasciné par l’infinie variété de possibilités dans la mode féminine, qui connaît moins de limites. Les femmes peuvent piocher dans le vestiaire masculin, mais le contraire n’est pas encore vrai. Je suis très sensible à l’esthétique, et ça va au-delà de la mode : j’ai adoré décorer mon appartement comme un écrin, et j’ai une passion pour les cocktails extravagants, que je fais au shaker. J’ai toujours été attiré par la Belle Époque, parce que les gens faisaient un vrai effort pour s’habiller. Aujourd’hui, on privilégie le confort, ce que je comprends, mais c’est dommage qu’il soit toujours placé en priorité, au détriment de l’allure. Depuis un moment, j’essaie d’être plus responsable dans mes achats mode, je trouve des pièces créateur à l’occasion de ventes de stocks à Anvers, ou en seconde main sur Vestiaire Collective. Je regarde avant tout les collections de Dries Van Noten. Ses défilés m’inspirent, puis je me compose des looks avec d’autres pièces. Avec le télétravail, je vis assez mal le fait de ne plus avoir d’occasions de m’habiller. J’ai réalisé à quel point ça joue sur mon moral. M’apprêter me rend heureux."

Carl Anders Sven Hultin, 32 ans, Bruxelles. Artiste et mannequin. @carlcashknight

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© Njaheut

"J’ai étudié l’art à Saint-Luc, puis j’ai pris une année sabbatique en Suède où j’ai fait un stage en architecture. Je suis parti pour un tour du monde, puis retourné à l’architecture. Aujourd’hui, je travaille dans les arts visuels. Je pense que mon rapport à la mode est lié à ma scolarité dans une école à uniformes. En sortant, j’avais envie de cultiver un look excentrique, coloré, remarquable. Je me suis assez rapidement émancipé du regard des autres, et parallèlement, je n’avais pas anticipé leurs réactions, leurs projections sur ma liberté esthétique. Mon père m’a éduqué aux codes de l’étiquette, et j’ai lu beaucoup de livres sur le sujet. À 14 ans, je savais faire mon nœud papillon. Aujourd’hui, je fréquente des sartorialistes, des sapologues. J’ai déjà joué dans des pubs en jupe ou en robe. Même si ça n’est pas le cas, ça ne me gêne pas qu’on pense que je suis gay. J’ai toujours admiré les excentriques, et je suis un oiseau de nuit. Je possède une quinzaine de costumes : des classiques, des vert pomme, des jaunes, en wax… et une soixantaine de paires de chaussures. Je ne porte jamais de noir. Récemment, ne plus pouvoir m’habiller autant qu’avant m’a fait réaliser que j’avais trop de vêtements. J’en ai revendu une partie sur Vinted. Chez les créateurs belges, mon favori est Walter Van Beirendonck, pour son usage des couleurs, son extravagance. Comme je suis ambassadeur et égérie de plusieurs marques, je reçois énormément de vêtements. J’en réoffre la plupart. Je suis parfaitement à l’aise avec mon identité, mais je suis parfois fatigué de devoir m’expliquer ou me justifier. Avoir extrêmement bien compris les codes de la mode historique et contemporaine m’a permis de les dépasser."

Hicham Arbib, 25 ans, Bruxelles. Styliste et cofondateur de la boutique vintage Rare. @tonton_chami

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© D.R.

"Ce qui pourrait actuellement définir un dandy, c’est qu’il ne réfléchit pas à la question de savoir si un vêtement est destiné à un homme ou à une femme. Si j’aime une pièce, je la porte. Je ne me limite pas à une époque où un style. Je peux mélanger un pull norvégien avec des Air Max. Cultiver un décalage jusque dans le porté. À la boutique, on invite les gens à essayer des vêtements qu’ils n’oseraient pas forcément porter. Mais ils s’assument de plus en plus, ils viennent ici pour chercher quelque chose de différent. J’ai grandi à Liège. Pendant mon adolescence, les vêtements avaient pour moi un statut social. J’admirais les grands du quartier et m’inspirais de leur allure pour m’identifier à eux et reproduire leurs signes d’influence. Je pouvais changer d'apparence en fonction de mon interlocuteur pour incarner un personnage, parfois ironiquement. J’ai d’abord dû adopter des codes avant de pouvoir me les approprier. J’ai affûté mon goût en mélangeant les styles. J’ai toujours porté beaucoup de seconde main, ça me permettait d'avoir plus d'options. En termes de mode, je suis plutôt versatile, pas collectionneur. Je change de fringues comme d’humeur. Je ne porte jamais la même tenue deux jours de suite sinon je m'ennuie. Aujourd’hui, je mélange tous les personnages auxquels je voulais ressembler pour créer celui que je suis aujourd’hui. Je pense que je n’entre dans aucune case mais je me ressemble."

Fabien Juif, 37 ans, Bruxelles. Designer, artiste et cofondateur de la boutique vintage Rare. @rarebrussels @kurtbroken

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© Dabaaz; Hamza Bidaoui

"Je pourrais définir mon allure comme street educated : les codes viennent de la rue et je connais l'histoire de chaque pièce que je porte. Je suis exigeant avec le message de mes vêtements, mais pas radical. J’ai finalement conscientisé la dimension d’expression du vêtement assez récemment. J'ai grandi et évolué à travers le mouvement hip-hop, donc j'ai toujours intégré très naturellement toute l'esthétique qui allait avec, le style vestimentaire en premier. C’est en ouvrant un magasin que j’ai commencé à exprimer mon analyse sociologique de la mode et à créer une trame. Il faut mener un travail de rééducation sur la façon de consommer les vêtements, faire un pas de côté par rapport aux chemins tracés par l'industrie et chercher de nouvelles alternatives à ce qu’on nous propose actuellement. Chez Rare, on cultive l'idée de durabilité, de transmission, de responsabilité. C’est presque une mission. Hicham, Mounir et moi avons choisi des parcours qui ne nous obligent pas à porter une cravate. On pense que la qualité du travail permet de se rendre indispensable et si tu es indispensable, tu valorises tout ce qui t'appartient. Plus jeune, je regardais des patrons de label signer des contrats avec les sneakers que j'avais aux pieds. Quelque part, je réalisais que tout ça était possible, que je pouvais rester moi-même."

Mounir Moham, 26 ans, Bruxelles. Directeur artistique et styliste. @mounirmoham

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© Nathan Merchadier

"Je porte des pantalons de femmes s’ils me plaisent, on ne voit plus que mes vêtements sont genrés une fois que je me les suis appropriés. Plus jeune, j’étais à la recherche de moi-même, notamment à travers la mode. Mon père était indépendant et vendait des vêtements sur les marchés. J’ai appris à trier, cintrer, présenter... tout le processus de vente. Je suis malentendant, cela m’a donné encore plus envie de me distinguer. C’est un peu plus tard que m’est venue cette prise de conscience : lorsqu’on accepte qui on est, on peut s’affirmer auprès des autres. Le vêtement peut réunir les gens et leur ouvrir le cœur. Je n’ai pas fait d’études, mais j’ai beaucoup voyagé. J’ai appris le monde en le visitant, j’ai découvert qui j’étais en affûtant mon regard en fonction de mes rencontres. Aujourd’hui, je me définis par le vêtement. Ensuite, chacun pense ce qu’il veut. Il y a beaucoup de présences féminines dans ma vie. Les femmes m’inspirent et m’apportent un feeling vestimentaire même si je suis très à l’aise dans ma masculinité. Assumer sa personnalité découle d’une démarche globale. Je soigne mon allure, je choisis mon vocabulaire et paradoxalement, je brouille les pistes. Le résultat raconte qui je suis vraiment."

 

Merci à Elsa Fralon pour ses infos, source inépuisable de sophistication socioculturelle. 

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