Louis-Gabriel Nouchi : le créateur pour hommes diplômé de La Cambre à connaître
Il mène une marque indépendante, comme la plupart des jeunes griffes actuelles, avec une philosophie durable, des saisons raisonnables, et un contrôle vertical de la production pour maîtriser toute la chaîne. Outre Raf Simons chez qui il a travaillé comme styliste, parmi les créateurs belges qui ont formé son goût, il cite "Dries Van Noten qui est encore très présent en tant que référence dans mes recherches à travers les couleurs et les motifs, et Martin Margiela, qui est venu plus tard, quand j’ai appris à appréhender les pièces, les gestes, l’intention. Le comprendre a débloqué une autre dimension de mon geste à moi. C’est très belge : arriver à une simplicité dans l’usage, le dessin et le dessein d’un vêtement. C’est pour ça que j’ai fait La Cambre. Pour m’inscrire dans un processus singulier, unique. Partir d’un postulat intellectuel, comme un livre, pour arriver à un objet qui se confond avec le corps, comme une transition charnelle. En Belgique, on apprend une méthode de travail. À suivre son identité créative, et la pousser jusqu’au bout. C’est de plus en plus rare et précieux, et c’est important de rester intègre, tout en étant conscient qu’on fait des vestes et des pantalons. La finalité, c’est de pouvoir les porter."
L’être et le client
Les livres ont toujours constitué la première étape de ses réflexions. Sa campagne printemps/été 2021 présente des mannequins en pleine lecture de classiques philosophiques, et dans sa boutique parisienne, la cabine d’essayage est agencée comme une bibliothèque de livres rangés à l’envers. "C’est énigmatique, et cela évoque le toucher dont nous sommes actuellement privés, mais qui reste la signature de cet espace. Raf me disait souvent : Si les gens tendent la main pour toucher une pièce sur un cintre, tu as déjà fait 70 % du travail." S’ils se l’échangent, aussi. Louis-Gabriel Nouchi est créateur pour homme, mais il séduit aussi les femmes, parfois dans des tailles différentes, ou au porté plus ample. Sa main reste très masculine, avec de l’ambivalence dans les pièces. Sur une femme, le mouvement s’adapte de lui-même par la fluidité des lignes. Ces passerelles sont en réalité le fruit de la demande des acheteurs, qui sélectionnaient chez lui des pièces pour les destiner à une clientèle féminine.
Sans orgueil ni préjugés
"Le premier confinement m’a obligé à me repencher sur l’origine de mes intentions créatives. Un livre, ça se comprend, ça se ressent, ça s’interprète différemment. Comme mes vêtements : ils s’adressent aux hommes, aux femmes, à ceux qui s’y connaissent, à ceux qui s’en foutent. On doit s’y sentir bien. Le confort, la praticité, l’usage instinctif sont très importants dans ma recherche. C’est pour ça que je crée des collections pour l’intérieur et l’extérieur, en menant une réflexion sur la façon dont on s’habille maintenant, avec des codes en mouvement. Pour les vidéoconférences, il faut être confortable, mais pro. C’est comme en littérature, où l’on compose un ancrage fondé sur la notion de réalités coexistantes. On est dans un fauteuil, et en même temps là où notre conscience nous porte. Et puisque cette réflexion est commune aux livres et aux vêtements, je m’emploie à créer une révolution douce, comme des costumes en maille que nous avons été les premiers à lancer il y a plusieurs saisons, mais qui commencent seulement à prendre maintenant, quitte à envisager d’être à ma façon un auteur controversé. On doit penser comme nos clients : vouloir comprendre comment les choses sont faites, par qui, et se révéler."
Les Fleurs du Mâle
Ouvrir une boutique en plein Covid ? "Quand une marque est stable, on peut envisager un développement ambitieux mais prudent. L’opportunité s’est présentée de reprendre un pas-de-porte rue Oberkampf, à deux pas du Marais. Nous avons pu créer notre espace studio de création au-dessus du magasin, ce qui nous a offert beaucoup de liberté et d’indépendance. On veut tester une pièce ? On la met directement en boutique, et on observe. On gagne en réactivité. Notre processus de création est naturel, et ça nous a débloqués à plusieurs niveaux. Cette proximité nous a aussi permis de construire entre nous de vraies relations, un peu à l’image des sociétés belges qui fonctionnent comme des familles. C’est une dimension qui m’est chère. Être une équipe, pas seulement dans les mots mais aussi dans le vécu, c’est très important. Raf a été mon modèle en termes de management : le bon nombre de personnes, qui connaissent leur mission, qui sont impliquées et valorisées dans leurs réalisations. Mes collaborateurs me témoignent leur enthousiasme de venir chaque matin. Je crois que c’est comme ça qu’on traverse les périodes difficiles : en étant solidaires et investis. Chaque membre de mon équipe passe à un moment donné par la caisse de la boutique, pour voir la réalité des clients, ce qui se passe entre le moment où l’on a imaginé un vêtement, et celui où les gens vont questionner son confort et son usage. C’est capital d’être capable de vendre ce qu’on a fait."
Le Green de Paris
Louis-Gabriel Nouchi a conçu son espace selon un concept qui mêle appartement et galerie d’art. "C’est la projection organique de l’idée à sa réalisation, appuyée sur un aménagement conçu entièrement en matériaux bios sourcés. Les meubles sont chinés, les cintres fabriqués à partir de déchets textiles compressés." Pour la vitrine et les présentoirs, il récupère des éléments modulables auprès de la Réserve des arts, une association à Pantin qui gère un roulement de mobilier entre magasins parisiens. Sa société est l’une des premières en France à fabriquer ses boutons en polyester recyclé. Les tissus proviennent de "deadstocks" (des métrages restants de grandes compagnies), en circuit court. Un jour, il organisera des signatures de livres de jeunes auteurs et des petites expositions. Être sur le fil, doucement subversif, est son invitation à interroger l’époque. Prochainement, il lancera une bougie et un parfum en collaboration avec Nicolas Chabot, qui a travaillé comme nez chez Colette, et qui est aussi l’un de ses clients. "Une ambiance olfactive, c’est logique quand on cultive un projet d’expérience en boutique." Paradoxalement, il constate que dans cette période de restrictions, le digital a débloqué certaines dimensions de la création : "Quand on a le ton juste, on peut s’exprimer même sans moyens importants pour concevoir un défilé."
À la Recherche du Tempo Perdu
"Depuis le début, je travaille à construire une marque, un univers global. Nous travaillons avec un nombre de pièces limitées, pas d’expansion irraisonnée, nous imaginons la même personne dans tous les looks. La société se développe rationnellement. Pas de folie des grandeurs, on bosse, on essaye, on ne décline pas le même concept à l’infini." Pour la campagne de l’automne prochain, Louis-Gabriel Nouchi a sollicité des danseurs, qui sont nombreux à être clients chez lui : "Ils ont besoin de confort pour bouger, de vêtements qui accompagnent le mouvement, et renforcent la confiance. Entre armure et cocon, une seconde peau. C’est le confort qui permet de s’assumer." Lors d’une performance chorégraphiée par la compagnie Sohrab Chitan et toujours visible sur son site, avec notamment la participation du danseur belge Nick Coutsier, ces vêtements de ville ont révélé tout leur potentiel en termes de mouvements. Chez lui, la souplesse est partout : "Quand on dirige une petite structure, on est agile, on peut s’adapter. On évolue avec des petits volumes, et beaucoup de patience." Sa marque est distribuée dans dix points de ventes dans le monde, et en ligne.
La Veste
Pour le printemps/été 2021, toujours dans l’ambivalence des genres aux sens et aux coupes larges, le jeune créateur a mené des tests de vestes à double croisure, auprès du public le plus exigeant : les parisien·nes. "De toutes façons, il n’y a plus de touristes à Paris." Pour les tricotages, il a développé avec son équipe un principe de feutrage. "On pousse la maille parce qu’il n’y a pas de pertes, pas de déchets : on part simplement d’un fil, on le coupe quand on a fini. Il y a peu d’interventions, chaque étape de fabrication est rentabilisée au cours d’un processus global écoconscient. Grâce au feutrage, on peut jouer sur la densité, du pull souple au manteau épais." En outre, puisque la laine a déjà été bouillie, toutes ces pièces passent en machine. La fabrication s’opère principalement en France pour les chemises, les mailles et les vestes. Les jeans, pantalons et manteaux sont conçus en Europe.
Les Désirables
Une saison après l’autre, Louis-Gabriel Nouchi conscientise son processus, jusqu’à devenir de plus en plus radical. Il observe que sur son e-shop, les comportements d’achat sont différents de la boutique physique : "Sur Internet, les clients se dirigent plutôt vers des petites pièces, celles qu’ils peuvent porter chez eux, les légères, les pratiques. Les vêtements plus importants sont choisis en magasin." En entrée de gamme, il propose désormais "Relecture", une ligne d’anciennes pièces réinterprétées et reteintes, dans un processus durable. Sur l’étiquette, on peut lire qui a fait quoi. "C’est transparent, et respectueux pour ceux qui produisent et s’impliquent. Chacun est reconnu et valorisé." Ça aussi, c’est très belge.