Hommes

Rencontre avec Nicolas Coutsier, danseur belge qui a notamment travaillé avec Beyoncé

Pour Nick Coutsier, cover boy de notre tout premier numéro L'Officiel Hommes, la danse est le remède ultime contre le chaos et la peur. Rencontre.
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Nick avait trois ans lorsqu'il a dansé pour la première fois : c'était au mariage de sa tante, une expérience tellement intense que le petit garçon s'est littéralement assoupi en pleine action. Rien d’exceptionnel lors d’un mariage congolais. La danse, il a ça dans le sang et dans le cœur. À 17 ans, il se rend à Los Angeles en tant que danseur de hip-hop pour une publicité, mais ça manque de profondeur à ses yeux. S’ensuivent alors trois années intenses à l'École royale de ballet d'Anvers, où il fait ses premiers pas dans le monde de la danse moderne. Aujourd'hui, l'artiste, danseur et chorégraphe de 27 ans se sent aussi à l’aise sur les planches du Ballet royal de Flandre que sur les plateaux de tournage de clips, de Beyoncé par exemple, qui l'a fait survoler un désert aride l'année dernière pour l'enregistrement du clip de "Spirit".

"La danse n'est pas seulement une expression artistique qui requiert du talent et de la technique, elle concerne avant tout le corps et la personnalité, les sensations et le plaisir. Il n'y a pas de mauvais danseurs, seulement des gens qui n'aiment pas danser. Le problème se situe dans leur tête, pas dans leur corps. J'aime les gens qui font des mouvements soi-disant mauvais, qui deviennent complètement fous et se fichent du regard d’autrui. Je ne crois pas que certaines personnes ne sachent pas danser : tout le monde a un corps et peut se connecter à lui. Laissez-vous aller ! Pendant le confinement, j'ai lancé des body parties sur Instagram : une invitation à s'évader pendant un petit laps de temps. Allez-y : comme vous le feriez lors d'une fête, mais hors du contexte d’un club, sans personne autour de vous ni d'alcool dans les parages. Dansez de la manière la plus pure qui soit, accordez-vous un moment de liberté ! Mes principales sources d'inspiration en tant que chorégraphe sont les gens et leurs interactions sociales, ça me fascine de les regarder bouger lors d’une fête. Certains ferment les yeux et s'abandonnent à la musique, s'amusant tout seuls. D'autres veulent nouer des contacts et préfèrent danser ensemble. Certains se déchaînent, d'autres restent très timides. Tout ça dans un même contexte, aussi bien en termes d’espace que de musique. En ce sens, le dancefloor reflète très bien les multiples facettes des gens."

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© Justin Paquay - Production : Céline Pécheux

"En grandissant, j'avais des héros, mais aucun ne me ressemblait dans le monde de la danse. J'admirais les grands artistes et chorégraphes sans me sentir vraiment proche d’eux. L’univers de la danse n'est pas nécessairement plus exclusif que celui de la mode ou du cinéma. Tous trois sont confrontés à un problème structurel de diversité, car ils sont le reflet d’une société raciste, sexiste et homophobe. Permettez-moi de nuancer : au niveau individuel, on rencontre des personnes incroyables ! Je perçois aussi les changements qui s’opèrent peu à peu : aujourd'hui, mes héros sont mes amis et collègues, des danseurs incroyablement talentueux qui font leur truc et montrent l'exemple à la jeune génération. Ils font en sorte que le public voie bien un homme noir sur scène et puisse s'identifier. Ce n'était pas si évident il y a vingt ans."

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© Justin Paquay - Production : Céline Pécheux

"La vie d’un danseur ressemble à une médaille à deux faces. D'un côté, une sorte de super-pouvoir : je peux nouer mes lacets sans avoir à me mettre à genoux, c'est très pratique ! En tant que danseur professionnel, on a une bonne condition physique et on est capable de faire des trucs dingues avec notre corps, mais d'un autre côté, cela nous rend aussi très conscients de nos limites. L'une des clichés les plus répandus sur notre compte est que nous débordons de confiance en nous. Ce n'est pas vrai. Mon corps est mon principal outil de travail, je ne peux pas le mettre sur pause, je dois en prendre soin et le protéger sans cesse. C'est parfois fatigant. Je passe 80% de mon temps devant les miroirs et c'est très troublant. C'est pourquoi, pendant le confinement, j'ai choisi de ralentir un peu. Pour la première fois en cinq ans, je ne me suis pas entraîné. Au début, c'était bizarre, mais au bout d’un certain temps, relâcher cette pression sur mon corps m’a fait du bien."

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© Justin Paquay - Production : Céline Pécheux

"La danse, comme d'autres disciplines artistiques, est un langage, un langage très puissant au demeurant, parce qu'il utilise littéralement les gens. Cette présence humaine explique pourquoi ça peut être si conflictuel et politique, mais aussi constructif. Force est de constater que la danse est de plus en plus utilisée comme support pour aborder certains enjeux sociaux. L'émancipation des femmes, le racisme, l'inégalité : toutes ces thématiques prennent vie dans une chorégraphie. C'est bien sûr formidable, mais il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit de personnes à part entière : on ne choisit pas une personne de couleur parce qu’on en a besoin dans une histoire ; on travaille avec un homme ou une femme de chair et de sang, quelqu'un qui a un passé, un présent et un avenir. C'est ce qui rend la danse si fragile, mais aussi très intense. Constitue-t-elle une bonne plateforme pour discuter du monde qui nous entoure ? Bien sûr, mais elle peut aussi s’avérer explosive."

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© Justin Paquay - Production : Céline Pécheux

"Pour qui est-ce que je danse? C'est la question que je me pose avant de monter sur scène. Parfois c'est pour moi, parfois c’est pour quelqu'un que je connais dans la salle. Si je ne connais personne, je choisis quelqu'un au hasard dans le public juste avant le spectacle et lui dédie ce qui va suivre. Une fois que la musique commence, j’arrête de penser et je suis complètement absorbé par l'histoire. Ou du moins c’est comme ça que les choses se passent quand tout va bien. Parfois, je suis fatigué et, pendant la représentation, je me demande un peu ce qui m’arrive. Mais si tout se déroule comme prévu, le temps file et je suis sur une autre planète pendant un moment. Je me plonge dans une histoire et je suis catapulté dans un autre univers. Voilà selon moi la vraie magie des projecteurs : dès qu'ils s'allument, je m'évade."

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