TikTok, nouveau roi de l'industrie musicale ?
Sur TikTok, de Sabrina Carpenter à Ice Spice, les hits naissent en quelques secondes. Extraits viraux, formats calibrés et pression constante : décryptage d'une industrie rythmée par la viralité.
Doja Cat, Lil Nas X, PinkPantheress, et plus récemment Sabrina Carpenter… La liste est longue. Quel est leur point commun ? Tous doivent une grande partie de leur ascension fulgurante à TikTok.
L’application chinoise, créée en 2016 par ByteDance, était à l'origine une simple plateforme de courtes vidéos de danse et de playback. Aujourd’hui, elle dicte les tendances musicales, propulse des artistes inconnus au sommet et influence même la façon dont la musique est produite et consommée. Avec plus d’un milliard d’utilisateurs actifs, TikTok est devenu le laboratoire où se fabrique le succès. Mais à quel prix ?
Le rêve américain nouvelle génération
Grâce à son algorithme surpuissant, TikTok peut faire d'un inconnu une superstar du jour au lendemain. Ice Spice avec "Munch (Feelin'U)", Olivia Rodrigo avec "Driver license", ou encore Chappell Roan avec "HOT TO GO!" en sont la preuve. Un simple extrait peut propulser une chanson en tête des classements mondiaux. Le "Music Impact Report" de TikTok révélait d'ailleurs que 84 % des morceaux ayant intégré le Billboard Global 200 en 2024 avaient d'abord explosé sur la plateforme.
Mais cette mécanique virale a son revers : pour rester visibles, les artistes doivent sans cesse capter l'attention, au risque de voir la musique reléguée au second plan dans une quête effrénée de viralité.
Le succès, mais à quel prix ?
Si TikTok ouvre des portes, il impose aussi de nouvelles règles. L'industrie musicale privilégie de plus en plus la viralité au détriment de la qualité artistique. En 2024, James Blake s'en indignait sur X : "La réussite ne se conjugue plus avec le talent musical, mais avec celui de la communication". Metro Boomin dénonçait une musique "sans vie et sans âme", dictée par la pression des labels pour générer du contenu calibré pour TikTok.
Un exemple récent illustre bien cette dérive : la chanteuse Théodora, dont le titre "Kongolese sous BBL" a explosé les charts en France, postait des TikToks en plaisantant sur la pression de son label : "Le label qui me force à faire des TikToks pour ne pas perdre ma première place dans le top viral 50. Faites des Tiktoks s'il vous plait". Derrière l’humour, une réalité : aujourd’hui, la viralité est une condition de survie pour beaucoup d’artistes.
Un phénomène qui ne date pas d'hier
Les One Hit Wonders n’ont pas attendu TikTok pour exister. "Kung Fu Fighting" de Carl Douglas en 1974, "A Thousand Miles" de Vanessa Carlton en 2002, "Somebody That I Used to Know" de Gotye et Kimbra en 2011, ont tous connu un destin similaire : un succès éclair avant de disparaître des radars. La différence aujourd’hui ? Le phénomène s’est accéléré.
En 2021, GAYLE cartonne avec "abcdefu", un succès viral sur TikTok. Mais après ça, difficile de retrouver la même exposition. Comme beaucoup d'autres, elle se heurte à un mur : les auditeurs consomment un titre, l'écoutent en boucle pendant quelques semaines, puis passent à autre chose sans forcément suivre l'artiste derrière. Un phénomène qui existait déjà, mais que TikTok a porté à son paroxysme.
Beyoncé s’en plaignait déjà en 2013 dans son documentaire "Life Is But A Dream" diffusé sur HBO : "Les gens ne font plus d'albums. Ils essayent juste de vendre des petits singles rapides, ils s’épuisent, en sortent un autre, et s’épuisent encore". Un constat qui résonne encore plus fort aujourd'hui.
Une nouvelle façon de créer et consommer la musique
La durée moyenne des chansons s’est réduite à 2 minutes 30 pour s’adapter aux formats TikTok. Certains artistes vont jusqu'à proposer des versions speed up de leurs propres morceaux, comme SZA avec son titre "Snooze" issu de son album "SOS" sorti en 2022. D’autres testent directement leurs titres sur la plateforme avant de les sortir officiellement, à l'image de "Just for Me" de PinkPantheress.
Mais cette stratégie a ses limites. En octobre 2022, Steve Lacy en a fait les frais lors de sa tournée "Give You the World". En plein concert, il s'est rendu compte que le public ne connaissait que les quelques secondes virales de "Bad Habit" et était incapable de chanter le reste. Un moment d'embarras pour Steve Lacy, qui illustre parfaitement l'influence de TikTok sur la musique.
TikTok, une opportunité pour les outsiders
TikTok n'a pas que des mauvais côtés. La plateforme a permis à des artistes d’émerger là où les circuits traditionnels leur fermaient la porte. De nombreux morceaux, refusés par les radios, ont explosé sur la plateforme et propulsé leurs auteurs au sommet. C’est le cas de "Savage" de Megan Thee Stallion, ignoré au départ avant de devenir viral grâce à un challenge TikTok, jusqu’à attirer Beyoncé pour un remix qui l’a hissé en tête du Billboard Hot 100 en mai 2020. Comme elle, d’autres artistes ont dénoncé la difficulté d’accéder aux canaux classiques de diffusion, souvent réservés aux noms déjà établis.
La plateforme a changé les règles du jeu, pour le meilleur et pour le pire. Si certains regrettent l’époque des albums soigneusement construits, d'autres y voient une chance unique de bousculer une industrie longtemps vérouillée.