Sylvie Kreusch : la voix de l'indie pop qui vous hante avec ses mélodies imparables
En dix ans de carrière sur tous les fronts de l’indie pop, de Soldier’s Heart à Warhaus jusqu’à son envolée en solo, Sylvie Kreusch n’a jamais cessé de creuser le même sillon : celui de la mélodie qui reste en tête et qu’on fredonne de toutes ses dents. Et ça claque ! De "Walk Walk" à "Hocus Pocus", ses ritournelles ne manquent jamais leur cible : en plein cœur. Rencontre chez elle, à Gand.
"Don’t worry, he won’t bite" : son chien nous accueille à la porte de son appart’, situé au 12e étage d’un immeuble en plein centre de la cité estudiantine. Anversoise d’origine, elle est venue s’y installer par amour : pour son mec, Flor Van Severen, connu en Flandre pour ses apparitions dans plusieurs séries à succès (F*** You Very, Very Much, In Vlaamse Velden, Onder Vuur), et comme acteur de théâtre (il fait partie du collectif gantois Wolf Wolf). Si on précise tout ça, c’est qu’on avait découvert Sylvie Kreusch en plein post-coïtum animal triste, en 2021, avec son premier disque solo, "Montbray" : un album de rupture, faisant écho à son idylle consumé avec Maarten Devoldere, du groupe Balthazar. À eux deux ils avaient lancé le projet Warhaus en 2016, sorte de Bonnie and Clyde à la sauce Leonard Cohen (ou Nancy Sinatra/Lee Hazlewood à la sauce Joppie), avant que Sylvie s’émancipe pour de bon et balance ses premiers singles sous son nom en 2018-19 ("Seedy Tricks" et "Please to Devon")… "Mais laissons ça de côté, j’en ai déjà assez parlé", insiste-t-elle tandis qu’elle remplit l’écuelle de Kratje, son chien star (il a son propre compte Insta). Oui, parlons plutôt de ce nouvel album, "Comic Trip", qui ne parle pas d’ex et de sentiments contrariés, mais au contraire brille par son espièglerie et ses promesses de lendemains enchantés.
Magie VS Réalité
"En fait j’avais envie de quelque chose de positif, tout simplement ! Les larmes c’est bon j’ai donné… Même si je savais que ça n’allait pas être facile d’écrire des chansons en ayant une vie stable, limite prévisible ! En fait quand tout va bien tu dois creuser plus profond en toi pour rester créative, et c’est pour ça aussi que cet album aborde des thématiques liées à l’enfance". Qu’il s’agisse de sa pochette (signée Eloïse Labarbe-Lafon), des chœurs d’enfant sur le morceau-titre et sur "Home", et de l’ambiance wizzz générale, "Comic Trip" (merci Gainsbourg) se donne pour ambition de puiser dans l’enfance ce qui nous manque parfois adulte (l’énergie, la spontanéité, la malice, la candeur, bref la magie) et ce qui aussi, parfois, nous prend par surprise ((la peur, l’angoisse, le désarroi). "Mon objectif c’était vraiment de combiner les deux : cette capacité à s’émerveiller propre à l’enfance, mais aussi ces moments plus sombres, quand tu te rends compte que la vie n’est pas toujours rose". La preuve en chansons donc, avec d’abord ces trois titres enjoués ("Sweet Love (coconut)", "Ding Dong", "Comic Trip") qui donnent vraiment le la (la la), suivi d’un titre plus introspectif, à la guitare sèche, façon Lorde en PLS – le fulgurant "Daddy’s Selling Wine In A Burning House". "C’est une chanson qui parle de mon père, qui était négociant en vin (Kreusch Wijnen, ndlr). On vivait juste au-dessus du magasin et quand mes parents se sont séparés, on a déménagé et deux semaines plus tard la maison était ravagée par un incendie… Mon père a été condamné pour fraude à l’assurance et il a même fait de la prison… Avant d’être reconnu innocent, mais sans aucune compensation". Sale histoire en effet, dont Sylvie Kreusch a su tirer le meilleur - cette ballade vénéneuse qui déroute, et bouleverse, sans prévenir. C’est ça, l’effet "Comic Trip".
De Britney à Nico
Née en 1991 à Wilrijk près d’Anvers, Sylvie Kreusch passe donc son enfance à Mortsel au milieu des millésimes, et ses vacances en Dordogne, sur le Domaine de Kreusignac (lol), l’exploitation viticole de (feu) son grand-père… "Je me souviens qu’il y avait un énorme tonneau de vin vide dans le jardin dans lequel je passais des heures à chanter, en utilisant l’écho de ma voix qui rebondissait sur les parois". Une technique qu’elle semble avoir bien éprouvée sur ses deux disques solo, où sa voix si singulière, acidulée et enjôleuse, semble parfois décuplée, amplifiée, comme par magie… "C’est vrai que j’utilise souvent ma propre voix comme une chorale, mais je ne dévoilerai pas comment je fais !". Autodidacte si ce n’est un passage au Jazz Studio à Anvers, Sylvie Kreusch n’a donc pas grandi dans une famille de musiciens qui lui auraient montré le chemin : "J’avais bien un prof de musique en primaire qui me demandait de chanter les parties solo, mais à part ça…". À part ça ouais c’est le parcours classique : "des grands posters de Britney Spears et de Cristina Aguilera" dans sa chambre de pré-teen (fin nineties), la honte quand la grande sœur ou le grand frère (ils sont 4) la surprend à faire des vibes devant le miroir, le premier groupe de rock – Fell Floor Fiction - début de la vingtaine ("Genre Velvet Underground, et j’étais la Nico")… Avant le passage en mode pro avec Soldier’s Heart vers 2012. "Même si mon but a toujours été de me lancer dans une carrière solo, le fait d’avoir essuyé les plâtres en groupe m’a permis d’apprivoiser le métier". Avec Soldier’s Heart (en fait les ¾ de son premier groupe + deux autres recrues dont son partenaire de compo et de prod’ actuel, le très inspiré Jasper Segers), Sylvie Kreusch remporte le premier De Nieuwe Lichting en 2013, un tremplin jeunes talents organisé par la radio flamande Studio Brussel. "Tout à coup on s’est retrouvé à devoir écrire des chansons pour jouer sur scène…". Un album ("Night by Night") sort en 2016, mais Sylvie est déjà passée à la vitesse supérieure : c’est l’heure de Warhaus, mais bref - on a dit qu’on n’en parlerait pas.
Viser les étoiles
Avec "Comic Trip", Sylvie Kreusch n’a pas voulu faire un disque régressif qui évoquerait juste ses souvenirs d’enfance, mais plutôt une ode à la créativité, à cette idée d’être adulte (comprenez : posée, déterminée, accomplie) tout en gardant cette part de pureté, "de liberté et de sauvagerie", propres à l’enfance. Au jeu des références on pourrait citer autant le "Di Doo Dah" de Jane Birkin qu’"In Every Dream Home A Heartache" de Roxy Music, Ennio Morricone que Lana Del Rey, et tout cela emballé avec un soin immense, que l’on parle de la prod’ ou des visus (qui claquent). "C’est plus un album de guitares que le premier, qui était davantage axé sur les synthés" : enregistré en France avec son fidèle guitariste Jasper Segers (qui bosse par ailleurs pour plein de groupes flamands, de School Is Cool à SX en passant par… Balthazar – mais chut), "Comic Trip" s’avère en tout cas taillé pour la scène… Et la scène, c’est le point fort de l’Anversoise : entourée d’un fameux band (sept - avec elle - au total), c’est vraiment là, sous les spotlights, qu’elle se révèle dans toute sa splendeur d’artiste et performeuse hors pair : "En fait dès que je mets un pied sur scène, je me transforme en superwoman ! C’est comme si je me mettais dans la peau d’un personnage"... Pas un personnage de bande dessinée, non : plutôt comme "une exagération" d’elle-même, mi-vamp lynchienne mi-pop star au punch redoutable. "C’est bizarre parce que dans la vraie vie je suis plutôt de nature réservée, et parfois je me demande ‘Pourquoi je fais tout ça ?’… Et puis quand je monte sur scène mes angoisses s’évanouissent et je rentre dans un autre univers". Un univers de rêve où tout est permis, et où Sylvie se sent comme un poisson dans l’eau (d’où le bocal présent sur la cover du disque ?), sans peur et sans reproche, comme si c’était là qu’elle se réalisait pleinement, en totale honnêteté et conscience…. "Wipe off your worries my dear and get it done / You know you can get it done / You can get it done", chante-t-elle tel un mantra en conclusion de "Comic Trip" : tant que c’est fait et bien fait, avec le cœur l’âme et les tripes, tout ira bien. Notre crush de l’année.
"Comic Trip" (Sony) – en concert en avril 2025 un peu partout (Gand, Anvers, Liège, Leuven,…).