On a rencontré Lewis OfMan, ce prodige parisien adepte du vagabondage
Son 2e album, "Cristal Medium Blue", a des allures d’échappée échevelée dans l’Ouest américain, balayé par le vent chaud caressant, habité d’une nonchalance psyché comme dans les seventies. Du baume solaire pour la tête et les sens.
Quand il sourit, Lewis découvre une incisive couverte de strass et ses yeux pétillent. Né Delhomme, transformé en OfMan pour la scène, il a commencé à assembler et mixer des sons comme on joue aux jeux vidéo avant 10 ans sur GarageBand. Son premier album "Sonic Poems", en 2022, a révélé son sens inné du tempo qui fait bouger les pieds et s’évader l’esprit, de la mélodie synthpop rétro fougueuse et des atmosphères nocturnes soyeuses avec sa house matinée de disco latin, de French touch et de vibes anglosaxonnes ("Attitude", "Such a good day", "Sorry Not Sorry", "Misbehave"…). Carton plein dans les clubs, sur les catwalks des maisons de mode qui tombent sous le charme acidulé de ses tubes festifs et chatoyants (Versace, Gucci, Nike, Diptyque, Kitsuné, J.M. Weston). Ses poèmes soniques addictifs l’emmènent en tournée autour du monde, avec une date qui reste comme un phare dans sa mémoire, à Coachella l’an dernier. Emmitouflé dans une veste, en ce printemps belge qui ne démarre pas, avant son concert des Nuits Botanique, il se souvient, l’air rêveur, de ce "point culminant à 25 ans", entouré de ses amis. "J’avais loué une grande maison avec une piscine et il n’y avait que des gens que j’aime dedans. Le concert que j’ai joué était incroyable, devant un public compact. C’était fou. Les trois journées étaient super, j’ai rencontré beaucoup d’artistes aussi. C’était prime time !"
Comme pour tuer ce premier album à succès et suivre son envie du moment, en toute spontanéité, le multi-instrumentiste a viré ses synthés et jeté son dévolu sur les guitares pour composer un deuxième disque super acoustique, qui emmène illico au bord d’une piscine dans un tableau de David Hockney ou dans une décapotable suivie d’un nuage de poussière, qui trace la route du désert californien, ou en haut d’une colline de L.A. pour contempler le coucher du soleil avec son lover. Romantique, folk, psychédélique, sous influence sixties et seventies, voire hippie, festif et mélancolique, chaloupé de rythmiques brésiliennes et espagnoles, dardé de soleil, "Cristal Medium Blue" est également bourré de featurings avec des sensations féminines comme les singers-songwriters américaines Empress Of (sur "Highway"), Sofie Royer ("Miles Away"), Alaska Reid ("Come & Gone"). Hormis ces voix, Lewis OfMan a écrit et enregistré ce disque en solo et en totale liberté dans un studio de Los Angeles. Entretien avec ce fournisseur inspiré de rêve éveillé.
Tu as grandi dans un milieu artistique, en quoi est-ce que cela t’a influencé ?
Mon père est peintre et ma mère autrice. Cela m’a sans doute forgé sans que j’en prenne réellement conscience. Cela instaure en tout cas un rapport à l’art qui est normal. Quand j’ai dit à mes parents que je voulais faire de la musique, ils m’ont inscrit dans une école d’art en Angleterre, mais comme j’étais tombé amoureux d’une fille à Paris, j’ai dit que je préférais y rester et j’ai travaillé dur pour être accepté dans une prépa en littérature. C’était un peu le monde à l’envers ! A postériori, je me dis que c’était mieux comme ça : j’ai fait une hypokhâgne or j’aurais peut-être fait la fête tout le temps à Brighton. Assez vite, j’ai rencontré le groupe français The Pirouettes et je suis devenu leur batteur.
C’est parce que ton premier instrument est la batterie, que tout ce que tu fais, ça groove?
Je pense que ça aide vachement. Ma mère aime raconter que quand j’étais bébé, j’ai eu une maladie de vieux monsieur et on m’a enlevé la vésicule biliaire. Après l’opération, on m’a donné des médicaments pour réguler le rythme de mon cœur et ma mère aime bien penser que c’est ça qui m’a fait groover. J’ai aussi appris à claquer des doigts avant de savoir parler. Ça, c’est de l’info ! Des faits ! (Rires.)
Quand t’es-tu dit que la musique, c’était pour toi ?
Quand j’étais petit, j’aimais les balades, les morceaux tristes qui donnent des frissons. Je me souviens que j’écoutais une chanson de P. Diddy avec beaucoup d’émotion à la fenêtre, en pensant à la fille que j’aimais à 7 ans. Un an ou deux après, j’ai commencé à faire de la musique de façon «jeu vidéoesque», en rajoutant ceci ou ça. C’était le premier jour des vacances d’été, on avait été à l’école le matin, puis avec deux potes on avait commencé à mettre des loops ensemble sur GarageBand et on chantait en yaourt. Par la suite, à deux, on a gravé 3 CD. Pour le nom du groupe, on avait ouvert un dictionnaire au hasard et on avait choisi The Timers. On s’est arrêté parce qu’à 11 ans, je suis parti vivre à New York pendant un an.
En quoi cela t’a-t-il changé ?
La culture anglosaxonne est très positive, au niveau de l’éducation. Là-bas, on commence toujours par les points positifs et puis on parle des choses à améliorer. En France, on commence par te casser puis on te dit "mais c’est bien" ! Cette approche optimiste a changé pas mal de choses en moi et puis j’ai joué de la batterie tous les jours là-bas.
Cristal Medium Blue, c’est le nom du Bic avec lequel tu as écrit les paroles. Tu as gardé cette habitude de te fier au hasard pour choisir tes titres ?
Oui, c’est en tout cas prendre ce qui tombe sous la main et voir comment on peut le transformer. C’est aussi considérer les choses comme des signes. Voir quelques mots et savoir que c’est le nom de l’album que je suis en train de faire.
Comment en es-tu arrivé à un son plus acoustique et vintage, teinté de mélancolie mais toujours festif ?
Je tournais énormément après la sortie de Sonic Poems et je venais de me séparer de ma copine. C’était l’été et breakup en été, c’est pas mal en fait. J’étais en Grèce et je réécoutais la musique que j’écoutais ado, quand j’étais en train de découvrir les instruments. Donc pas mal de son des années 60 et 70, du Santana, Neil Young, Leonard Cohen… Et j’ai kiffé le son. Je me suis passionné pour la guitare, j’en ai acheté une électrique, plus une basse, j’ai commencé à faire des morceaux comme ça. Frisco Blues et Flowers in the Car sont presque folk. Hey Lou a également ce côté nettement plus acoustique. Tout comme Highway avec un son plus brésilien. La vibe, elle, est liée à la tournée. Tu rencontres beaucoup d’artistes et d’autres gens qui gravitent autour. C’est comme un système solaire. Tu te retrouves dans des situations super belles et inspirantes dans d’autres pays.
Par exemple ?
Par exemple, quand j’ai vécu chez mon ami Albert Moya à Barcelone, qui est réalisateur et qui est très ami de Pablo Bofill, de la famille d’architectes. Pablo Bofill aime beaucoup ma musique donc j’ai joué à son mariage, dans une maison créée par son père Ricardo Bofill. Un endroit sublime avec une piscine rouge, une architecture folle, un grand escalier qui s’arrête dans le ciel… Tu joues là, entouré d’artistes, et tu as l’impression d’être dans un film de Jodorowsky. Mes morceaux sont des cartes postales par lesquelles je tente de réinvoquer des moments heureux comme ceux-là. Tout part aussi chez moi d’une recherche esthétique: qu’est-ce qui va se passer si je mets ce son-là avec celui-là? Le côté Rubik’s Cube. Une idée qui traîne puis qui aboutit un beau jour.