Minorque : l'échappée sauvage des Baléares, entre art et sérénité
Minorque, c’est Ibiza sans la fête, Formentera sans les yachts. Que reste-t-il, alors ? Une nature préservée, des galeries d’art et une très jolie planque où se cacher tout l’été.
Rendez-vous estival de l’art contemporain
Niché en périphérie de Mahòn, à l’extérieur du petit village d’Es Castell dans un décor à la fois champêtre et industriel, le projet space 10N de Jérôme Nicod dénote des galeries classiques. Ancien entrepôt de menuiserie transformé en espace artistique hybride, l’endroit accueille des groupes d’artistes minutieusement choisis par le propriétaire qui encourage ses résidents à sortir de leur zone de confort et à collaborer sur un propos commun. Lieu de rencontre et de production artistique, cette plateforme organise aussi une exposition chaque été (de juin à août). Car si le public des galeries n’a souvent pas le temps "de prendre le temps" pendant l’année, à Minorque, il emprunte volontiers les petites routes escarpées pour un bain d’art et de nature. Les collectionneurs, selon Jérôme, ne sont jamais aussi prêts à ouvrir leurs yeux et leurs oreilles que durant leurs vacances. "On s’est rendu compte que la nature minorquine offrait le meilleur contexte pour créer mais aussi échanger avec des artistes ou amateurs d’art sur une pratique artistique, la sincérité du créateur rencontrant la sincérité de l’acquéreur", confie le curateur bruxellois. Et d’ajouter : "Grâce à l’ouverture de la galerie Hauser & Wirth, Minorque est devenue une destination estivale privilégiée par les amateurs d’art contemporain du monde entier. Faire découvrir un jeune sculpteur belge prometteur à un grand collectionneur new-yorkais, il n’y a presque qu’ici que c’est possible", conclut-t-il. Depuis sa galerie, il faut rouler quelques minutes et puis prendre un taxi bateau depuis les quais du centre-ville de Mahòn pour rejoindre la fameuse galerie suisse isolée sur son lopin de terre en pleine mer. Au débarcadère, d’où une allée pavée remonte vers un ancien hôpital naval britannique du début du XVIIIe siècle, un détonnant blob rose de Franz West accueille les visiteurs… Côté bâtiments et jardins, la galerie a fait appel au duo habituel. Ici, Luis Laplace et Piet Oudolf ont imaginé une restauration et un aménagement à partir des éléments existants. L’architecte argentin basé à Paris a ainsi subtilement retravaillé les 1 500 m2 d’espaces intérieurs - où un patio central distribue deux enfilades de salles claires et épurées - rythmés par des ouvertures sur la nature, le ciel et la mer, qui invitent à la contemplation. Le paysagiste néerlandais a, lui, replanté le lieu comme un jardin méditerranéen. L’ensemble est ponctué de sculptures extérieures (Miro, Chillida, West, Louise Bourgeois… Ils y sont tousn!), autour d’une accueillante Cantina, bistrot de la mer branché qui met à l’honneur les produits locaux et de saison. Et, si la galerie à proprement parler ne reste ouverte qu’à la saison haute - au rythme d’une exposition par an, de la fin du printemps jusqu’à fin octobre -, des partenariats avec des associations, écoles et événements culturels locaux ont lieu tout au long de l’année.
Le point de chute : Son Vell
Posé au cœur de la campagne minorquine, à vingt minutes de Ciutadella - l’une des plus jolies villes de l’île avec son vieux quartier et ses ruelles médiévales - et à quelques minutes de marche d’une magnifique crique sauvage, le Son Vell, ouvert en juin dernier après trois ans de restauration, est l’une des pépites hôtelières les plus confidentielles de Minorque. Avec son imposante demeure entourée de dépendances en pierre, ses 34 chambres et suites et ses 200 ha de jardins paysagers qui dominent la Méditerranée, il est le premier hôtel de la collection Vestige à ouvrir ses portes à Minorque. Créée en 2023 par Victor et Maria Madera Fernandez et leurs deux filles Marta et Claudia, Vestige Collection a comme mission de redonner vie à des sites architecturaux exceptionnels, quelle que soit leur époque. Les bâtiments sont ainsi sauvés de l’oubli (et de la destruction) grâce à leur restauration minutieuse, le tout dans le respect de leur ADN. Le groupe compte aujourd’hui un portefeuille de 25 sites en cours de restauration (hôtels de charme, domaines privés et espaces événementiels) disséminés dans toute l’Espagne. Leur but ? "Honorer l’héritage architectural de la région des Baléares et le transmettre aux générations futures."
Sur le pas de la porte du manoir du Son Vell, le responsable vente et marketing pour Vestige Collection, Sébastien Styger, nous accueille tout sourire. Ex-directeur des ventes chez Six Senses (pour qui il a travaillé pendant 23 ans), la recette de l’hospitalité authentique, niche et confidentielle, n’a pas de secret pour lui. "Le luxe aujourd’hui, c’est l’inattendu. À Son Vell, on veut surprendre celui ou celle qui a déjà tout vu. La qualité de la literie, les meubles et les œuvres d’art choisis, la vaisselle réalisée à la main par un artisan local… Le luxe c’est l’harmonie et le souci du détail", nous confie celui qui a passé toute sa jeunesse à Bruxelles avant de parcourir le monde. La promesse est tenue. Dès notre arrivée sur le domaine, la magie opère. Des longs voilages qui flottent au vent, des notes de musique qui s'échappent d’une terrasse au charme désuet, une immense piscine ovale et un jardin aromatique qui embaume… La scène qui se joue devant nous est aussi cinématographique que sublime. "Au loin, vous apercevez la mer", chuchote le barman en nous servant une limonade maison aromatisée aux herbes du jardin. Une large bande bleue se détache, en effet, à l’horizon, au bout d’une immense étendue colonisée par des oliviers centenaires. Inspirés (notamment) par les intérieurs wabi sabi du décorateur belge Axel Vervoordt, les propriétaires de ce domaine unique ont eu le bon goût de conserver tout ce qui fait le charme patrimonial minorquin : un vaste bâtiment d’époque en pierre calcaire, coiffé de tuiles ocre et entouré de dizaines d’hectares de terres agricoles, le tout offrant une vue sublime sur la mer. À l’intérieur de la bâtisse principale, derrière son décor léché au luxe discret, c’est un goût éclectique, brut, authentique, posé sur des murs et des sols rugueux, contenu dans les courbes d’une céramique vernissée, d’une table en chêne brut ou d’un canapé en lin délavé qui s’exprime… Du côté des dépendances, les 28 chambres contemporaines et spacieuses offrent un cadre propice au repos avec leur terrasse et jardin privés, leur lit extralarge et leur baignoire creusée dans le sol. Autre atout : les restaurants de l’hôtel, le Vermell et le Sa Clarisa, proposent une délicieuse cuisine traditionnelle insulaire, préparée avec des produits locaux ou issus de sa propre production. Et puis, Son Vell c’est aussi un lieu de convivialité et de ressourcement avec un bar à cocktails où on refait le monde avec un couple de New-Yorkais de passage, des séances de yoga et de Pilates sur un deck en plein air, des balades à pied, à cheval ou à vélo sur le Cami de Cavalls (187 km de sentier qui fait le tour de l’île) et longer de sublimes plages sauvages aux eaux translucides.
Nature et patrimoine
"Minorque c’est l’anti-Ibiza. Il y a 10 ans, c’était l’endroit où pas mal de retraités partaient trekker… Avec l’ouverture de la galerie Hauser & Wirth, l’île a gagné en visibilité et en engouement mais ça reste, malgré tout, une destination préservée. À l’image de ce qui se passe à Comporta au Portugal, on voit de plus en plus de jeunes entrepreneurs ouvrir des lieux sympas", explique Jérôme Nicod. Et d’ajouter : "Les locaux ont ici conscience que pour préserver l’île et son environnement, ils doivent privilégier un tourisme de qualité." La petite sœur de Majorque peut en effet se vanter d’être parvenue à se développer touristiquement, tout en préservant son écosystème terrestre et maritime : l’île a d’ailleurs été déclarée “Réserve de biosphère” par l’Unesco en 1993. Ici, les plages se méritent, elles sont sauvages et n’ont jamais vu le béton d’un complexe hôtelier. Le reste de l’île non plus, d’ailleurs. Du coup, pour découvrir les rares étendues de sable communément appelées plages, il faut marcher un peu ou beaucoup, selon les goûts. Une vingtaine de minutes par exemple, à travers pins et rochers, pour arriver à Cala Macarelleta, dont la crique turquoise semble tout droit sortie d’une carte postale caribéenne. Même douce épreuve pour se baigner dans les eaux de Cala Pregonda : une balade entre terre rouge et murets de pierre, tracée par un chemin délimité par un grosse corde… à moins d’accéder à ces petits coins de paradis par bateau car à Minorque la plupart des plages ne sont accessibles que par la mer. L’autre botte secrète de Minorque ? Son patrimoine préhistorique, si curieusement et naturellement intégré au paysage. Pas besoin de choisir entre farniente et rendez-vous avec l’histoire : bien souvent, c’est en se rendant à la plage, au détour d’une route, au milieu d’un champ, que l’on croise de petits abris de pierre, comme des coques de bateau renversées. Ce sont des navettes funéraires, dont les plus vieilles datent de 2000 av. J.-C. La découverte la plus surprenante se fait à Cala Morell. En apparence, c’est une simple plage, sans doute pas la plus belle de l’île. Mais, nichées dans les falaises qui l’encerclent, s’y cachent plus d’une dizaine de tombes, creusées à même la roche il y a des milliers d’années… Il faut une petite heure pour visiter cette étrange nécropole. Pour le coucher de soleil romantique, c’est le phare de Punta Nati, à la pointe nord-ouest de l’île, qui s’impose. Là encore, il faut emprunter à pied un chemin rectiligne, cerné par des troupeaux de moutons et deux murets de vieilles pierres qui semblent ne jamais prendre fin. Pourtant, au bout du chemin, la falaise est là, déchirée, impressionnante. Le phare aussi. Et la Méditerranée à perte de vue… Et puis, il y a le Mont Toro, le point le plus haut de l’île… "Un de mes endroits préférés à Minorque", confie le galeriste Jérôme Nicod. "On profite d’une vue à 360 ° et on se rend compte à quel point cette île est belle mais aussi toute petite."
