Quels sont les 5 défis post-covid de la mode belge ?
L’un des atouts majeurs des marques belges, qu’elles soient "grand public" ou plus modestes, qu’elles produisent des milliers de pièces ou à un niveau plus artisanal, réside dans leur production à échelle raisonnée. Fortes de la flexibilité qu’offre une fabrication souvent assurée en Europe et des circuits de distribution belges en priorité, ces entreprises ont pu faire face au "covidgate" tout en continuant à partager le marché avec les "big players". Les défis de cette année singulière leur ont même offert des opportunités de recentrage et de réflexion. Entre salons annulés et boutiques fermées pendant des semaines, les maisons aux fondations solides se sont réinventées. Plus que jamais, la mode belge s’inscrit dans l’intemporalité et l’innovation, cultivant un optimisme nécessaire au service d’une résilience créative.
Pour rester en équilibre, il faut bouger
Pour Christian Wijnants, créateur anversois à l’aura internationale, la présentation de la prochaine collection de l’été 2021 aux acheteurs et à la presse s'est bien faite en octobre à Paris, mais pour l’une des rares fois depuis 2006, sans défilé : "Heureusement, il existe beaucoup d’autres manières de véhiculer notre message et de montrer notre collection au grand public. Certes, il faut être inventif face aux grandes maisons qui disposent de budgets marketing énormes. Mais je pense qu’il est tout à fait possible de captiver une audience avec des moyens financiers plus modestes. Il suffit de faire preuve d’imagination." Être vu par les bonnes personnes, au bon moment, et d’une manière qui tient plus de l’expérience que du marketing pur. Du côté de la griffe Collectors Club, les deux sœurs Nele et Veerle Van Doorslaer se sont investies dans une approche personnelle, en renforçant la distribution sur leur marché domestique : "Pendant le confinement, on est restées proches de nos clients : coups de fil, messages WhatsApp… On a appris à mieux les connaître. Dans ces moments de crise, certaines grosses marques n’ont montré aucune empathie, avec des relances de factures tous les deux jours, et en maintenant leurs exigences de livraison comme si tout était normal. Des boutiques ont donc décidé de stopper leur collaboration avec ces grosses machines autocentrées, laissant une place à prendre pour des marques authentiques, belges, à l’écoute de leur clientèle. Désormais, les cartes sont rebattues."
Parallèlement, d’autres maisons misent sur leurs essentiels pour tenir le cap, tout en offrant un service personnalisé, à l’instar de Johanne Riss, qui développe des pièces uniques peintes à la main, rebrodées et riches d’histoires propres à chaque modèle. Ou la toute jeune marque de chemises colorées Paolina, qui estime aussi qu’en "produisant autrement que les Big Players, en petites quantités, on attire le regard de personnes intéressées par des produits qui ne courent pas les rues." Pour Mayerline, avec sa gamme étendue de pièces accessibles conçues en collaboration avec des acteurs locaux et de qualité, même si la clientèle reste fidèle, la vigilance est de mise : "Que les grandes marques de luxe parisiennes aient été obligées de suspendre leurs défilés ne nous a pas perturbés : Mayerline lancera cette saison pour la première fois un show réservé à ses clientes, dans le respect des normes de distanciation sociale. C'est une démarche quelque peu pionnière." Autre initiative innovante destinée à assurer une présence dans un contexte de concurrence numérique : le filtre virtuel lancé sur son compte Instagram par le label Léo, pour essayer en ligne les masques que propose la marque.
Redoubler de créativité
Inge Onsea, responsable de la création chez Essentiel Antwerp, rappelle que la marque est réputée pour ses couleurs, ses imprimés, et ses mix & match inattendus : "Notre mission est d’apporter de la joie de vivre à nos clientes, d’être leur pink pill. De ce fait, nous nous sommes appliqués à rendre la prochaine collection estivale encore plus joyeuse et gaie." Chacun dans sa bulle, les créateurs ont insufflé toujours plus d’émotions dans leurs moodboards. Chez Façon Jacmin, marque tout en jean haut de gamme et éthique, cela se traduira l’année prochaine par une variété de couleurs et des jeux de matières au sein d’une collection inspirée par l’optimisme des Seventies. Alexandra Jacmin, confinée pendant l’élaboration de celle-ci, a imaginé des vêtements pour s’évader par le rêve. La maison Natan a de son côté choisi de mettre en avant ses pièces les plus classiques et intemporelles dans des déclinaisons vitaminées, tout en diminuant la production afin d’éviter d’accumuler un trop grand stock d’ici la fin de la collection, et de devoir solder trop de pièces en fin de cycle : "Nous avons misé sur des pièces plus pérennes faites dans des tissus durables comme le cuir végane. Les consommatrices achètent moins mais mieux, et c’est aussi dans ce sens-là que nous avons adapté nos choix et notre stock."
Production perturbée ? Aussitôt réorganisée
C’est là qu’une échelle artisanale permet une plus grande souplesse : quand les moyens de production sont à portée de main et les circuits de distribution courts, la création, même ralentie, reste assurée. Pour Façon Jacmin, qui collabore principalement avec le Japon et la Bulgarie – deux pays peu impactés par le Covid-19 – les commandes seront livrées en temps et en heure. Chez Natan, les ateliers in-house se chargent de la confection de A à Z, jusqu’aux transports et livraisons, gérées en direct : "Notre structure est plus petite que celle de nos concurrents, mais nous ne voyons pas cela comme un inconvénient, au contraire ! Cela nous permet de voir l’impact de nos décisions plus rapidement." Une flexibilité précieuse quand un nouvel équilibre s’impose. Logiquement, avec 50 boutiques en propre et 850 points de vente, Essentiel Antwerp a dû revoir ses procédés de production et de distribution. "Mais cette révision n’était pas spécialement négative. Pour la collection d’été 2021, nous avons décidé de revoir notre système de livraison avec un système de drops. Ceci permet de distribuer selon le principe du see now, buy now, ce qui est aujourd’hui plus pertinent pour le consommateur final." La saison de vente de l’enseigne anversoise a été raccourcie, permettant d’effectuer plus de livraisons par bateau plutôt que par avion. Autant d’initiatives plus durables, dans tous les sens du terme.
La durabilité, vouée à se pérenniser (et réciproquement)
Depuis longtemps, l’attention de Xandres se concentre sur tout le cycle de vie d'un vêtement. "Notre recherche de durabilité a été intensifiée par la crise. Plus que jamais, nous sommes en quête de partenaires plus proches de chez nous avec lesquels construire une relation durable." Et les clients sont prêts : chez Terre Bleue, on observe qu’en cette ère d'incertitude, les consommateurs se tournent de plus en plus vers des offres aussi éthiques qu’esthétiques, à transposer d’une saison à l’autre : "Nos collections offrent une réponse à ce comportement d’achat plus consciencieux. Nous travaillons avec de nombreux fournisseurs européens, en particulier français et italiens, et établissons des collaborations sur plusieurs années. Lorsque le contexte devient plus difficile, nous sommes dans le même bateau et nous nous entraidons de manière plus créative." En outre, des initiatives locales de production en petites quantités peuvent même aboutir à des conséquences positives en période de blocage généralisé. Macha Dormal, fondatrice de Paolina, fait produire une cinquantaine de pièces par mois dans un petit atelier belge : pour tenir le planning de fabrication, ils ont embauché une couturière supplémentaire : "Cela fait chaud au cœur de voir que même en période de crise, j’ai très modestement contribué à la création d’un nouvel emploi", sourit-elle.
La mode s’adapte, la clientèle plébiscite
Puisque de nombreuses consommatrices se sont tournées vers les e-shops ces derniers mois, les marques se sont rapidement adaptées. Mayerline a organisé une télé-assistance renforcée et mis en place des chats vidéo pour prolonger le niveau de service des magasins à distance. À la clef, des résultats mesurables via les montants des commandes en ligne. Mêmes démarches de communication "omnicanal" chez Xandres : "Pendant cette crise, nous avons développé un certain nombre d'initiatives créatives pour accroître l'interaction virtuelle avec nos clients, notamment à travers des ambassadeurs Xandres sur Instagram. Nous avons aussi organisé des achats privés via appels vidéo." Christian Wijnants a également constaté l’efficacité du lèche-vitrine par écran interposé : "Dès la réouverture des magasins, beaucoup de nos clientes savaient exactement ce dont elles avaient envie !" Chacun a eu le temps de réfléchir, en conscience, à sa consommation. Le créateur souligne que "tout le système est en train de changer, et un vrai débat a lieu. Je pense que nous devons tous modifier nos habitudes pour remédier au climat malsain qui règne dans notre profession et à ses effets néfastes sur l’environnement. Notamment en réduisant la taille des collections, en revoyant le système des soldes et ristournes, et en ralentissant les cycles de livraison." Même les stars hyper-choyées soutiennent les petites structures indépendantes : Kendall Jenner, qui avait craqué pour un look Léo, n’a pas demandé de faveur, et se l’est simplement offert elle-même, en boutique.
De modération en rationalisation, les marques pérennisent leur influence et fidélisent les nouveaux consommateurs, attachés au sens et à la conscience. Des initiatives déjà Corona, pardon couronnées, de succès.