Les créateurs belges sont partout. Dans les studios internationaux, sur les podiums des défilés les plus prestigieux, dans les coulisses de leur organisation. Trente ans après la révolution des Six d’Anvers, les Belges continuent de donner le "la." 

Demna Gvasalia chez Balenciaga et chez VETEMENT, Anthony Vaccarello chez Saint Laurent, Raf Simons jusqu&rsquo;il y a peu chez Dior puis Calvin Klein, Julien Dossena chez Paco Rabanne : jusque dans la discr&eacute;tion des studios, l&rsquo;esprit belge repousse les cadres de la mode contemporaine. Paradoxe interpellant : nombre de ceux qui s&rsquo;en revendiquent &ndash; parce qu&rsquo;ils sont issus des &eacute;coles belges &ndash; ne le sont pas. Rushemy Botter (un N&eacute;erlandais n&eacute; &agrave; Cura&ccedil;ao, nouveau codirecteur artistique de la maison Nina Ricci avec sa compagne Lisi Herrebrugh, n&eacute;erlandaise elle aussi) ou le tr&egrave;s int&eacute;ressant collectif GAMUT (les &quot;Six de Bruxelles&quot;, pour autant tous parisiens), qui ont d&eacute;fil&eacute; pour la premi&egrave;re fois en septembre &agrave; Paris, se d&eacute;finissent comme &quot;cr&eacute;ateurs belges.&quot; Au-del&agrave; d&rsquo;une radicalit&eacute; qui a adopt&eacute; de nouvelles formes, qu&rsquo;est-ce qui rend la mode &quot;belge&quot;&nbsp;?

Un esprit qui d&eacute;passe la notion de nation

Pour Tony Delcampe, chef d&rsquo;atelier du d&eacute;partement mode de La Cambre &agrave; Bruxelles, l&rsquo;un des principaux fournisseurs de talents des grandes marques du luxe et/ou de l&rsquo;avant-garde avec l&rsquo;Acad&eacute;mie d&rsquo;Anvers et Central Saint Martins &agrave; Londres, &quot;apr&egrave;s trois d&eacute;cennies d&#39;une d&eacute;ferlante de cr&eacute;ateurs belges, pour la plupart &oelig;uvrant dans de grandes maisons internationales, l&rsquo;empreinte belge est bien pr&eacute;sente. Elle se caract&eacute;rise sans aucun doute par son intelligence &agrave; interroger encore et toujours les multiples sens du v&ecirc;tement. Sa fonction, son volume, sa conception intrins&egrave;que, sa coupe, ses codes, ses mati&egrave;res, ses coutures. Une rigueur de recherche jusqu&#39;au-boutiste, exig&eacute;e au sein de nos &eacute;coles. La mode belge, c&rsquo;est une mode qui ne s&#39;encombre pas de discours, mais d&#39;une compl&egrave;te mise en &oelig;uvre des savoir-faire...&quot;

Portrait Dries 1 - copie.tiff

Une &eacute;conomie parfois sous-estim&eacute;e

On conna&icirc;t les grands noms, Dries Van Noten, Haider Ackermann, Ann Demeulemeester, Martin Margiela &eacute;videmment, et la nouvelle g&eacute;n&eacute;ration avec le Brugeois Glenn Martens qui secoue Paris sous l&rsquo;&eacute;tiquette Y/Project, invit&eacute; d&rsquo;honneur du Pitti Uomo du mois de janvier dernier &agrave; Florence (et principal fournisseur des tourn&eacute;es de Rihanna), Christian Wijnants, qui lance sa premi&egrave;re collection d&rsquo;accessoires, ou Marine Serre, laur&eacute;ate du Prix LVMH 2017, qui a focalis&eacute; toute l&rsquo;attention de la presse et des acheteurs avec sa nouvelle collection Hardcore Couture. Mais on se figure moins qu&rsquo;en Belgique, 820 marques sont d&eacute;pos&eacute;es, compilation de jeunes cr&eacute;ateurs et d&rsquo;enseignes plus commerciales, comme Essentiel, Bellerose ou Scabal. Actuellement, 13 000 personnes travaillent dans le secteur de la fabrication de mode en Belgique, sans compter les employ&eacute;s de boutiques. Lors de la derni&egrave;re Fashion Week de septembre &agrave; Paris, sur pr&egrave;s de 80 d&eacute;fil&eacute;s internationaux inscrits au calendrier officiel, une douzaine &eacute;taient sign&eacute;s de directeurs artistiques form&eacute;s en Belgique ou &oelig;uvrant pour une maison belge.

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Une mode en perp&eacute;tuelle &eacute;volution

Jean-Pierre Blanc a fond&eacute; le Festival de la mode et de la photographie &agrave; Hy&egrave;res, il y a trente-quatre ans, pour d&eacute;nicher et lancer les jeunes talents les plus prometteurs de la mode &agrave; venir. Il a &quot;d&eacute;couvert&quot;&nbsp;Anthony Vaccarello, S&eacute;bastien Meunier (d&eacute;sormais &agrave; la t&ecirc;te de la cr&eacute;ation de la maison Ann Demeulemeester) ou Christian Wijnants. &quot;Pendant au moins dix ans d&#39;affil&eacute;e, nous avons eu des laur&eacute;ats belges, et l&#39;histoire d&#39;amour avec francophones et n&eacute;erlandophones a perdur&eacute;.&quot;&nbsp;Il analyse l&rsquo;&eacute;volution des designers belges : &quot;Jusqu&rsquo;&agrave; pr&eacute;sent, il y a eu une mode belge, avec plusieurs g&eacute;n&eacute;rations de cr&eacute;ateurs extr&ecirc;mement talentueux, diff&eacute;rents et compl&eacute;mentaires, avec une forme de romantisme en filigrane. La mode des Six d&rsquo;Anvers, qui perdure, reste tr&egrave;s identifiable, et il est difficile de passer apr&egrave;s eux tout en s&rsquo;inscrivant dans un mouvement que tout le monde a en m&eacute;moire. Aujourd&rsquo;hui, il faut se d&eacute;marquer de cet h&eacute;ritage et se remettre en question. La mode belge a-t-elle su le faire ? On manque encore de recul, mais de toute mani&egrave;re, je reste un fan.&quot;

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Une nouvelle identit&eacute;

La mode belge, d&eacute;sormais sortie de sa chrysalide de radicalit&eacute; mi-goth, mi-surr&eacute;aliste, s&rsquo;inscrit dans un mouvement plus accessible et color&eacute;, mais conserve son sens du r&eacute;cit &agrave; plusieurs niveaux de lecture. Pour C&eacute;dric Charlier, designer embl&eacute;matique de ce renouveau &quot;la mode belge a &eacute;volu&eacute; depuis les Six. Il y a des marques &eacute;ponymes qui &eacute;voluent, et des cr&eacute;ateurs qui travaillent en maison et qui font &eacute;voluer la mode internationale. Mais il faut &ecirc;tre conscient que toute la mode se mondialise et que chez les Belges un esprit d&rsquo;ind&eacute;pendance perdure. L&rsquo;image radicale, sombre et aust&egrave;re est r&eacute;volue. La cr&eacute;ation belge s&rsquo;ouvre &agrave; de nouveaux march&eacute;s, &agrave; diff&eacute;rentes cultures, elle poursuit sa recherche, m&egrave;ne sa r&eacute;volution contemporaine, pour se diriger vers de nouveaux vocabulaires. C&rsquo;est la mode dans les modes.&quot;&nbsp;Une analyse partag&eacute;e par Glenn Martens. &quot;La mode belge a toujours racont&eacute; plusieurs histoires. Il y a un concept derri&egrave;re chaque v&ecirc;tement. Les cr&eacute;ateurs belges ne font pas un v&ecirc;tement juste pour faire un v&ecirc;tement : il y a un parti pris chez Walter, un imprim&eacute; chez Dries, &nbsp;un patronnage chez moi. Nous avons grandi dans un pays dont la beaut&eacute; n&rsquo;est pas imm&eacute;diatement accessible, comme le sont Paris ou Florence. Nous avons donc appris &agrave; d&eacute;caler notre regard pour voir le sublime ailleurs. C&rsquo;est &ccedil;a, la mode belge : une po&eacute;sie qui va plus loin, ailleurs, au-del&agrave; du premier abord.&quot;

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Affirmation et ind&eacute;pendance

D&rsquo;Elvis Pompilio, le modiste qui a coiff&eacute; Madonna, Lady Gaga ou Axelle Red et qui con&ccedil;oit depuis le d&eacute;but de ses collections les chapeaux et ornements des d&eacute;fil&eacute;s Ann Demeulemeester, &agrave; Olivier Theyskens, qu&rsquo;ils soient soutenus par un partenaire financier ou qu&rsquo;ils m&egrave;nent leur barque seuls, ils conservent leur ind&eacute;pendance financi&egrave;re parfois, cr&eacute;ative toujours. Sonja No&euml;l a fond&eacute; sa boutique Stijl, sp&eacute;cialis&eacute;e dans la cr&eacute;ation avant-gardiste belge, en 1984 dans le quartier Dansaert &agrave; Bruxelles, d&egrave;s les premiers balbutiements du raz-de-mar&eacute;e venu de la mer du Nord. Par go&ucirc;t de la d&eacute;couverte, du challenge et de l&rsquo;ind&eacute;pendance. Depuis lors, elle a suivi toutes les g&eacute;n&eacute;rations de cr&eacute;ateurs belges, jusqu&rsquo;aux toutes jeunes marques &eacute;mergentes. &quot;La nouvelle g&eacute;n&eacute;ration est tr&egrave;s r&eacute;aliste. Ces jeunes cr&eacute;ateurs produisent ce qu&rsquo;ils pourront vendre, restent attach&eacute;s &agrave; une certaine &eacute;pure et r&eacute;duisent leur discours &agrave; l&rsquo;essentiel. Ils pensent pratique, ils sont exigeants. La mode a chang&eacute;, mais il reste un ADN belge : ils osent, ils poussent, ils vont loin. Mais ils restent aussi modestes et en retrait. Ils ne la jouent pas glamour et star system.&quot;&nbsp;En somme, la mode belge s&rsquo;&eacute;panouit et &eacute;tend le n&eacute;o-minimalisme &agrave;&hellip; son ego.

Pourquoi la mode belge est-elle l’une des plus influente au monde ?

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