Mode : le printemps-été 2020 des créateurs belges
Vecteur de réflexion et miroir des évolutions de la société, la mode n’a jamais été aussi engagée. Après avoir relayé les conscientisations féministes post #metoo, manifesté un nécessaire rééquilibrage dans la considération de tous les genres et parfois pris position politiquement – notamment de la part de nombreuses marques américaines – l’industrie s’engage concrètement pour la préservation de l’environnement. Les Belges, qui mènent souvent leur propre maison indépendante, n’ont donc pas grand-chose à changer dans leurs bonnes pratiques : une création manufacturée en quantités raisonnables au regard de l’hyperconsommation de l’époque, le sourcing de belles matières et une démarche historiquement “créateurs” s’aligne de fait sur les critères de production durable. Nuancé, affûté, facile à mixer et à transposer, l’été des designers bruxellois ou anversois, qu’ils se soient installés à Paris ou qu’ils conservent leur studio en Flandre, perpétue l’élégance de la culture du Nord. Avec souvent des tonalités méditerranéennes et une sensualité solaire.
Cédric Charlier : l’envie d’évasion
Le créateur belge installé à Paris – et qui fait un tabac outre-Atlantique – s’est engagé dans l’été prochain comme dans un road trip à travers l'Arizona et l'Utah. Il a invité les tonalités de couchers de soleil saturés, de montagnes aux couleurs de terre et de sable, et les bleus profonds du voyage initiatique – et festif – d’une femme bourlingueuse, indépendante et sophistiquée. Cette collection mixe une esthétique contemporaine (denim, satin et fleurs surpiquées), avec les codes d’une vie urbaine pratique et romantique.
Son point fort de la saison : la poésie
Une exploration de l’élégance sensuelle et ludique toujours plus poussée, via les accessoires notamment. La nature insuffle une originalité intemporelle aux sacs et aux sandales, tandis que les trenchs, jupes longues, chemises plissées et franges inspirent une épopée du quotidien comme un parfum de western.
Dries Van Noten x Christian Lacroix : la collection qui remet les pendules de la mode à l’heure
Deux créateurs mythiques de l’émergence d’un prêt-à-porter couture dès la fin des années 80 ont joint leurs talents pour composer une collection qui a saisi les amoureux de mode au cœur et aux codes, avec un langage créatif complémentaire, de fleurs, de couleurs, de broderies, de plissés, nœuds, traînes et plumes aussi spectaculaires que portables “à la ville”. C’est la grâce des grands : démontrer, sans se soucier des temps qui passent et des tendances qui lassent, que la mode est un langage qui peut exprimer tous les minimalismes avec emphase (et réciproquement), et fédérer les générations autour de l’expression pure du vêtement : qu’il reste beau, intègre, et éloquent.
Son point fort de la saison : l’extravagance
Les deux créateurs, qui représentent ici la Belgique du Nord et la France provençale, nous offrent cette saison la possibilité d’une harmonie flamboyante de la rigueur et de l’excentricité. Des pièces ouvragées comme de la haute couture, dont le message est aussi limpide qu’un pantalon à volants mordoré : cet été, la discrétion ne sera pas une option.
Y/Project : pour faire de sa vie un opéra
Pour se mettre dans l’ambiance de la collection, une valse straussienne qui aurait déraillé servait de bande son au défilé. Brugeois, Glenn Martens, qui mène cette marque parisienne, invite régulièrement la Renaissance dans ses silhouettes ; il la dévoie, l’interprète et nous la restitue en Reconnaissance. Une mode “statement”, qui mixe les silhouettes de peintures de maîtres flamands, des perspectives et “vrais-semblants”, pour s’inventer une identité avant-gardiste et second degré.
Son point fort de la saison : le baroque qui casse la baraque
Des robes de bal qui passent parfaitement pour faire les courses (ou presque), des imprimés trompe-l’œil en spirale pour créer une illusion d’optique et accentuer les courbes féminines, à marier avec des pulls B.C.B.G. très “Neuilly sur l’Escaut”. Il y a de l’humour dans cette mode, et une infinité d’histoires importantes et versatiles à rappeler.
Olivier Theyskens : la sensualité vertigineuse
Son univers mêle la séduction impérieuse d’une allure post-victorienne et la fluidité d’une lingerie destinée à devenir armure hiératique face au quotidien. Le prêt-à-porter de celui qui fût un prodige précoce de la mode belge s’apparente plutôt à de la haute couture, ultrastructurée pour offrir une dimension spectaculaire qui destine ces pièces à imposer une présence hypnotisante. Cette collection s’adresse plus volontiers à des silhouettes longilignes, à l’androgynie détournée.
Son point fort de la saison : la transversalité du jour à la nuit
Ces pièces rendent conquérantes, elles aspirent l’espace autour de qui les adopte. Hors normes et hors temps, Olivier Theyskens pense la mode comme un show distingué. La nonchalance n’est pas de mise, l’autorité bruisse dans le taffetas et les lignes de ce nouveau printemps sont en réalité des lignes de démarcation, entre l’éclat et le rationnel.
Maison Ann Demeulemeester : solide comme un rock
Sébastien Meunier, le plus belge des créateurs français, préside au style de la marque depuis 2013 et propose ce printemps une collection radicale, sharp et rock, qui diffuse sa propre musique à l’oreille de qui arbore une jupe échancrée jusqu’au cœur ou du noir lumineux en contraste avec la peau. Les coupes sont essentielles, presque animales, cinématographiques. On se glisse dans ce parti-pris ultrasexy pour aborder la vie en conquérante, la cuisse assertive, la poitrine galbée.
Son point fort de la saison : sexy is the new black
Fidèle aux codes de la maison auxquels il insuffle sa propre identité, Sébastien Meunier utilise ses superpositions emblématiques et ajoure les silhouettes pour laisser s’exprimer le corps là où on ne l’attend pas. Entre tenue de danse et tenue de transe, cette collection habille les amazones modernes pour toutes leurs vies.
Haider Ackermann : croiser les genres
Les années 90 sont évoquées dans chaque ligne et l’androgynie sous-tend tout le propos de cette collection avec ses gris radieux, qui clament que rien n’a à être noir ou blanc, ni le masculin, ni le féminin, ni hier, ni demain. Cette saison décline le costume comme postulat d’un smoking qui n’a pas à choisir entre posture et décontraction, chemise dedans ou dehors, moderne ou vintage, fille ou garçon.
Son point fort de la saison : la fluidité en toutes occasions
Costards color block ou robes de vestales en bandeaux qui structurent le buste, tout est assez élégant pour le tapis rouge et suffisamment indolent pour un verre improvisé. La sensualité est évidente en ventres nus, mais ouvertement inaccessible : c’est le postulat altier d’une peau faite pour interpeller et d’une affirmation de soi qui ne peut que toucher.
Christian Wijnants : l’exotisme exhaustif
Héros de mailles et de plissés, Christian Wijnants développe chaque saison ses thèmes imprimés légers comme un souffle de cachemire. Ses tombés sont mythiques, ses motifs tracés pour le bonheur par la couleur. Cet été, le créateur nous invite à une exploration sensuellement sophistiquée, avec des silhouettes à l’intensité fauve. Le travail du peintre afro-américain Henry a inspiré une palette presque vivante, pour un carnet de voyage de laine et de soie. Dans les mariages de dessins, une énergie puissante nous incite à exprimer notre nature cosmopolite, et l’ampleur de nos mouvements (d’humeur et d’amour).
Son point fort de la saison : la joie du pointillisme pixellisé
Les volumes amples et fluides valorisent toutes les morphologies, les mouvements sont déliés, les influences mixées. Christian Wijnants interprète les motifs animaliers, exalte les couleurs de la nature pour créer du plaisir et des accessoires (sandales en bandes cuir entrelacées, sacs souples, talons carrés, style pointu). C’est une collection pour jouer avec la mode, qui ne demande que cela cette année.
A.F. Vandevorst : les dualités
Ils ont créé pendant 22 ans, en duo, une histoire à deux récits, entre lignes japonisantes et vêtements de travail. Trompe-l’œil et doubles lectures, l’inspiration vient à An Vandevorst et Filip Arickx du désir d'uniformes portables en cocktail et d’une fluidité des genres romancée. Les robes chemises révèlent une sensualité masculine-féminine par le biais d’un vêtement utilitaire de biais, lui aussi. Cette collection easy luxury douce et sophistiquée clashe dans la tiédeur de la ville, offre un minimalisme chic et décontracté.
Leur point fort de la saison : l’avant-garde facile à vivre
Il y a du second degré à la fois dans les pièces et la façon de les porter, et des mélanges d’influences dans les accessoires, qui permettent tous les mélanges tout en garantissant une épure extravagante et poétique. Une allure rock et effrontée comme on en aura toutes besoin cet été.
Jean-Paul Knott : l’été tendrement chemisé
Créateur prescripteur et grand voyageur, sa signature affûtée et dépouillée porte la richesse du mélange des cultures par l’élégance. Son statement explore l’interprétation des dix pièces nécessaires à exprimer toutes les émotions et faciles à emporter dans la valise de sa vie. Il s'applique donc à inventer des lignes essentielles transposables à tous les genres et toutes les morphologies, souvent déclinées des couleurs du ciel, lui qui passe tant de temps en avion. Cette saison, ce sera donc le bleu, profond, denim, qui confère une dimension universelle à une pièce qui l’est déjà : la chemise, pour femme, pour homme et vice-versa, en robe ou en tunique, fondamentale et parfaite, comme on l’attend.
Son point fort de la saison : la simplicité sophistiquée
Depuis toujours, Jean-Paul Knott va à l'encontre des vêtements “à la mode”, plus intéressé par la construction et l’utilité des pièces que par un effet saisonnier. Ses étoffes, mélanges de textures naturelles et techniques, ouvrent des perspectives de légèreté, d'échange, de facilité, d'équilibre du vêtement. Pour cet été il développe une ligne “uniforme” monochrome jeans ou blanc, rigoureusement indémodable et irrésistible.