L'OFFICIEL Belgique vous dévoile les coulisses du MET Gala
Chaque année au mois de mai, cet événement caritatif – on a tendance à l’oublier sous les strass – rassemble l’ultra gotha des arts et du spectacle. Dopés par une exponentielle médiatisation, les enjeux s’envolent.
En 2023, c’était Angèle, l’année précédente, Stromae. Au rang des personnalités internationales conviées, les Belges se distinguent par leur interprétation, comme souvent sophistiquée et décalée, du thème proposé. Entre grande réunion de travail – c’est l’un des plus importants rendez-vous de réseautage – et bal costumé, toutes les extravagances sont permises, et encouragées.
À l’origine, ce gala avait été lancé en 1948 par la puissante publiciste américaine Eleanor Lambert, qui tenait la mode dans le creux de sa main et l’y a gardé au chaud toute sa vie, jusqu’en 2003. Accueilli par le Metropolitan Museum of Art, il ouvre l'exposition de printemps du Costume Institute, le département mode du musée. Un gros vernissage, en somme. Mais Eleanor était aussi une bienfaitrice dévouée à la cause culturelle. Fondatrice du Council of Fashion Designers of America (CFDA) et initiatrice de la Fashion Week de New York, "son" gala a rapidement été surnommé "The Party of the Year" (la soirée de l’année). Ce dîner mondain avait pour but de récolter des fonds pour la section mode du MET, fraîchement inaugurée. À l’époque, le billet d’entrée coûtait 50 dollars (moins de 650 dollars en valeur actuelle, même pas le prix d’une chaussure pour s’y rendre). Aujourd’hui, le siège est à 50 000 dollars et la table entière, généralement réservée par des marques de luxe pour inviter leurs égéries et ambassadeurs, à 300 000 dollars. Avec une moyenne de 500 participants chaque année, le gala compose une belle enveloppe pour le Costume Institute Benefit, qui finance grâce à cette manne ses nouvelles acquisitions, ses expositions, son entretien.
Les magazines en renfort du prestige
Si Anna Wintour décide aujourd’hui à peu près de tout concernant le MET Gala, c’est parce que l’iconique rédactrice en chef de Vogue US depuis trente-cinq ans en a été nommée coprésidente en 1995. Elle valide chaque participation, dispose d’une équipe qui se consacre entièrement à l’événement. Depuis 2014, le département mode a carrément été rebaptisé Anna Wintour Costume Center. Avant elle, Diana Vreeland, rédactrice en chef de Harper's Bazaar puis de Vogue, avait propulsé l’événement au rang de dîner le plus couru au monde, invitant Elton John, Cher, Diana Ross, Andy Warhol, Liza Minnelli dans les années 70. C’est elle aussi qui a lancé la tradition des thèmes annuels. En 1972, le premier était Fashion Plate (l’assiette mode), avec depuis une montée en puissance des défis d’originalité. Pour les maisons de mode présentes, la visibilité est telle que des équipes sont dédiées aux tenues de leurs égéries des mois à l’avance. Impliqué dans le vestiaire Burberry du MET Gala de 2023, Pablo Henrard, diplômé de La Cambre Mode[s] et designer pour la marque anglaise, a effectué de nombreux allers-retours entre New York, Los Angeles, Londres et Paris, "parce que la maison habillait une douzaine de talents". Le directeur artistique Daniel Lee avait choisi d'orienter sa table autour des rappeurs qui ont émergé dans les années 90 : Dr. Dre, Mary J. Blige, son producteur historique Jimmy Iovine et sa femme Liberty Ross, de la première campagne de Burberry par Daniel. Auprès d'eux, les rappeurs Skepta, Stormzy et le chanteur d’afrobeats Burna Boy.
Le MET marathon des marques
Pablo Henrard se souvient : "Je menais les essayages avec tous les invités Burberry, je suivais les projets flous (les pièces souples, celles qui ne sont pas du tailleur, NDLR) et les robes conçues pour les actrices, comme Jodie Comer (vue notamment dans Killing Eve, NDLR). C'était un challenge logistique. Le jour même, tout le quartier était entièrement bloqué. Au Mark Hotel où les stars se préparaient, certains essayages étaient faits en last minute parce qu'il est compliqué de faire déplacer les talents plus tôt. Comme il est important de ménager les égos, il ne faut pas donner l'impression que certains sont plus importants que d'autres, or c'est la façon dont la soirée est organisée. Il y a une hiérarchie dans l'arrivée des voitures et des maisons de mode. L'équipe VIP gère le ballet de la dépose au pied du tapis rouge avec le MET et c'est un peu un casse-tête diplomatique. Pour moi, cela a représenté six semaines à très peu dormir, à faire la navette avec Paris, notamment chez la Maison Lemarié pour la robe entièrement brodée de plumes de Jodie Comer. D'année en année, il y a de plus en plus d'enjeux autour de ce bal. Pour Burberry, c'est le plus gros projet et le budget le plus élevé de l'équipe VIP pour avoir la table la plus iconique possible."
Une tension à la hauteur des enjeux
Si ce sont donc généralement les grandes marques qui habillent leurs invités de pièces conçues spécialement pour eux, certains artistes imposent leur singularité. Lorsque en 2022 Stromae a appris à peine un moins avant le gala qu’il compterait parmi les guests, Coralie Barbier, sa femme et styliste pour leur projet de design Mosaert, a drastiquement bousculé son agenda. Dans un entretien accordé au journal Le Parisien, Stromae raconte : "Cela a été un gros stress pour Coralie de me faire une tenue aussi vite, mais elle a fait le job et pour la marque Mosaert, on ne pouvait faire mieux comme pub." Le contexte, si prestigieux soit-il, a aussi amusé le chanteur. "Avec Léna Situations et Camille Cottin, on s'est retrouvés entre francophones, on était tous un peu perdus, comme à une rentrée scolaire. C'était marrant." Un coup de pression qui a moins fait rire l’actrice Jennifer Garner, invitée au gala en 2007, mais encore assez marquée en décembre dernier pour avoir témoigné dans une vidéo tournée pour Vogue : "Je ne suis venue qu’une seule fois au Met Ball, et j’ai trouvé ça un peu effrayant, alors je n’y suis pas retournée." Cependant, posant sur le tapis rouge au bras du créateur Valentino Garavani, elle se rappelle avoir porté "une robe rouge magique Valentino, j'étais son date de la soirée, je me sentais majestueuse et spéciale." Mais vaccinée. D’autres personnalités ont été effarouchées par ce dîner à haute intensité : Amy Schumer a déclaré après sa participation au dîner qu’elle l’avait "ressenti comme une punition" et Demi Lovato, actrice Disney invitée à l’édition 2016, parle quant à elle d’une "terrible expérience". Voisine de table du designer Jeremy Scott, elle ne s’est pas cachée après coup d’avoir été "si mal à l'aise que j'avais envie de boire", avant de filer à 22h à une réunion des Alcooliques Anonymes, pour préserver sa sobriété.
Un exercice de diplomatie
Sous le dôme électrique du gala glamour le plus en vue, ce sont les coulisses qui contribuent un peu à la sérénité, pas seulement du côté des "poseurs", mais aussi des "faiseurs". Pour Pablo Henrard, la partie la plus délicate de son travail aura été d'habiller la chanteuse Mary J. Blige, "parce qu’entre ce que la marque projette sur une personnalité et ce qu’elle-même veut montrer sur le tapis rouge, tout ça en insufflant pour cette édition une touche de Karl Lagerfeld, ça frôle l’équilibrisme. Nous voulions composer pour tout le monde un thème bicolore emblématique de Karl, avec le "bleu knight" signature de Daniel Lee. Mais certains essayaient de négocier les couleurs, comme l’acteur Barry Keoghan (rires). C'étaient beaucoup de discussions avec les stars, leurs stylistes et leurs agents. Une forme de politique, en quelque sorte. Pour cette raison, nous n’avons pu réaliser la robe de Mary J. Blige que deux jours avant le gala. Dans cet environnement très stressant, il est difficile de mener notre mission de façon décontractée. Pour autant, c’était une expérience incroyablement enrichissante. Mais je ne sais pas si je pourrais faire ça tous les ans !"
Il ne faut pas dire "fontaine, je ne boirai plus ton champagne"… Gwyneth Paltrow avait juré en 2013, dans une interview accordée à USA Today, qu’on ne l’y prendrait plus. "Vous voulez que je sois honnête ? C’était nul !" Elle avait par ailleurs trouvé l’événement "bouillant, avec trop de monde, je n’ai pas aimé du tout. Vous vous dites que ça va être tellement glamour et incroyable, et que vous allez voir toutes ces personnes célèbres… Et puis vous arrivez là-bas, il fait chaud, il y a foule, tout le monde vous pousse." En passant, elle épingle Kanye West : "Il a joué, il était furieux et il a jeté son micro. C'était tout un drame !" Qui n’a pas empêché la prêtresse du new age de luxe d’y revenir en 2017 et en 2019.
METière à dédramatiser
La créatrice et spectaculaire businesswoman Diane von Fürstenberg, icône new-yorkaise née à Bruxelles, est quant à elle une habituée beaucoup plus enthousiaste et détendue du MET Ball, auquel elle assiste régulièrement depuis 50 ans. "Les premières fois, c'était avec Diana Vreeland. À l'époque, ce gala était beaucoup moins médiatisé qu'aujourd'hui, c'était surtout une belle soirée mondaine. J'ai toujours joué le jeu du thème proposé, je me créais un costume selon les circonstances. Pour la soirée anglaise, je me suis habillée en Union Jack. Celui qui m'a le plus amusée était le Camp, en 2019, pour lequel je me suis habillée en Statue de la Liberté, parce que j'étais marraine du monument depuis dix ans. En arrivant, j'ai eu un étourdissement en montant les escaliers. J'ai envisagé d'aller à l'hôpital, mais en imaginant la tête du personnel soignant en me voyant arriver en Statue de la Liberté, j'ai préféré reprendre mes esprits toute seule." Elle rit. Diane décrit le MET Gala comme un événement symbolique, un moment d'extravagance assumée. "Tout est excessif. Dans ce type de soirée, la plus grande tension réside dans la préparation. Je l'aborde de façon plutôt légère et distrayante." Quid de la pression dont témoignent tant d’autres stars ? "Avec le temps, on relativise tout ça. Et je m'amuse surtout à interpréter à chaque fois un clin d'œil personnel. Pour la tenue de statue, j'ai créé un imprimé à partir de la couverture d'Interview Magazine. Le plus important a toujours été pour moi d’utiliser un beau tissu qu'on colorie et qu'on imprime de manière heureuse. Puis les formes, essentielles, permettent de se sentir confiante." Cette année sera celle de Sleeping Beauties: Reawakening Fashion. L’exposition relative présentera 250 pièces de la collection permanente du Costume Institute, dont certaines inédites. Max Hollein, Directeur général du Metropolitan Museum of Art explique que le thème "repoussera les limites de notre imagination et nous invitera à expérimenter les multiples facettes sensorielles d’un vêtement". Le vertige du prestige, avec, peut-être, une ou deux gouttes de sueur dans le dos.