Festival de Cannes 2024 : quand la mode fait son cinéma

Anthony Vaccarello, dès 2019, a fait appel à Wong Kar Way et Bret Easton Ellis pour signer des courts-métrages autour de ses collections. La même année, il a produit le sulfureux Lux AEterna de Gaspar Noé, avec Charlotte Gainsbourg et Béatrice Dalle, dans lequel il habille les personnages. En 2023, il s’engage encore plus loin en matière de 7e art puisqu’il est à l’initiative de la création de Saint Laurent Productions, qui a produit Strange Way of Life, d’Almodovar, présenté à Cannes. Un western gay de 31 minutes avec Ethan Hawke et Pedro Pascal. Ce court-métrage est le premier d’une longue liste à venir, pouvait-on lire voilà plusieurs mois. Eh bien le grand jour est arrivé. Pour ce 77e Festival de Cannes, la marque coproduit trois films qui font partie des favoris de cette édition. Commençons par Les Linceuls, de David Cronenberg, avec Vincent Cassel, Viggo Mortensen, Léa Seydoux et Diane Kruger. L’histoire d’un veuf fortuné inconsolable, qui invente un système révolutionnaire et controversé, GraveTech, qui permet aux vivants de se connecter à leurs chers disparus. Continuons avec le thriller musical chanté en espagnol de Jacques Audiard, Emilia Perez, avec Zoe Zaldana, Selena Gomez, Edgar Ramirez et Adriana Paz. L’histoire d’un baron de la drogue mexicain aidé par son avocate à prendre la fuite pour se retirer des affaires et changer de sexe afin de devenir la femme qu’il a toujours rêvé d’être. Enfin, Parthénope, de Paolo Sorrentino, avec Gary Oldman, Celeste Dalla Porta, Luisa Ranieri, Stefania Sandrelli, Isabella Ferrari et Silvio Orlando. Une épopée féminine sous l’angle de la liberté entre Naples et Capri, et qui offre tout le répertoire des sentiments. Anthony Vaccarello déclarait au Figaro : “Mon rôle de directeur artistique s’approche beaucoup de celui de scénariste. Dans mon métier, j’ai toujours eu besoin d’avoir en tête une femme, de me demander ce qu’elle fait, où elle va, à quoi elle pense... Quand j’édite un défilé ou une série photo, j’essaie toujours de raconter des histoires.” Définitivement, mode et cinéma ne font qu’un pour lui. Avec Saint Laurent Productions, Kering devient le premier groupe de luxe à intégrer la production de cinéma dans ses activités, lui qui s’est déjà engagé dans le 7e art avec le prix Women in Motion mettant en lumière les femmes du cinéma, devant et derrière la caméra. Ont déjà été primées Susan Sarandon (2016), Isabelle Huppert (2017), Patty Jenkins (2018), Gong Li (2019), Salma Hayek (2021), Viola Davis (2022) et Michelle Yeoh (2023). Cette année, le prix sera remis à Donna Langley, la présidente de NBC Universal, par François-Henri Pinault, PDG de Kering, Iris Knobloch et Thierry Frémaux, respectivement présidente et délégué général du Festival de Cannes, le dimanche 19 mai. “Recevoir le prix Women in Motion est un immense honneur, et succéder aux personnalités remarquables que sont les précédentes lauréates est une preuve du travail accompli par Kering et mes pairs de notre industrie pour faire avancer la cause des femmes,” a-t-elle commenté.

Le groupe LVMH n’est pas en reste en matière de production, lui qui vient de créer 22 Montaigne Entertainment, une société de production qui va promouvoir ses marques en partenariat avec l’industrie du divertissement. Dirigée par Antoine Arnault, cette société collaborera avec Superconnector Studios et ses fondateurs Jae Goodman et John Kaplan.

Mode et cinéma continuent donc leur chemin main dans la main. Certains designers comme Tom Ford sont même devenus réalisateurs. Alors que les groupes de luxe deviennent producteurs, il n’y avait qu’un pas...

Depuis toujours, la maison Chanel entretient un lien très privilégié avec le monde du cinéma. L’histoire remonte aux années 30 lorsque Coco intègre les studios de la MGM parce que Samuel Goldwyn lui propose d’habiller ses actrices, persuadé que sa mode peut redonner à ses films l’image dont ils ont besoin pour continuer d’attirer le public américain en pleine recession. Mais si cette collaboration ne fonctionne pas comme elle aurait dû, Chanel s’impose néanmoins aux côtés des plus grands réalisateurs, depuis Quai des brumes de Marcel Carné (1938) jusqu’à Personal Shopper d’Olivier Assayas (2016), en passant par La Règle du jeu de Jean Renoir (1939), L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais (1960), Bocacce 70 de Federico Fellini (1962), New York Stories de Francis Ford Coppola (1989), Callas Forever de Franco Zeffirelli (2002), Talons aiguilles de Pedro Almodovar (1992), Café Society de Woody Allen (2016)... Cette histoire d’amour entre Chanel et le cinéma continue de s’écrire à travers les plus grandes actrices – qui sont les égéries et les ambassadrices de la marque –, le soutien aux jeunes talents avec les Révélations des Césars, l’étroite collaboration avec le Festival du cinéma américain de Deauville, ainsi que le mécénat pour la Cinémathèque française.

Last but not least, la campagne du sac Iconique pendant la fashion week. “Virginie Viard, passionnée depuis toujours par le cinéma, et particulièrement l’époque de la Nouvelle Vague, avait envie de rendre hommage à ce chef-d’œuvre de Claude Lelouch. Une œuvre brûlante de sensualité, avec cette scène mythique sur la plage... l’horizon à perte de vue... la mer éternelle... et Deauville bien sûr.” Cette campagne reprend quasiment mot pour mot, plan par plan, certaines séquences originelles du film, avec Penélope Cruz et Brad Pitt, qui se prêtent ici au jeu de l’intimité avec cette phrase mythique : “Sorry, do you have any rooms available ?” Extraite du film Un Homme et une femme (1966) de Claude Lelouch dans lequel Anouk Aimée portait son propre sac Chanel, son porte-bonheur, face à Jean-Louis Trintignant, troublant. L’histoire d’un homme et d’une femme, tous deux veufs, qui se croisent au pensionnat de leurs enfants. D’un regard naît l’envie, le désir, la peur, l’angoisse, l’amour absolu qui peut basculer à tout instant. Le film remporta la palme d’or du Festival de Cannes en 1966, l’Oscar du meilleur film étranger et l’Oscar du meilleur scénario original en 1967. Reprendre donc les scènes cultes de ce film, surtout avec Penélope et Brad, c’est enflammer le monde de la mode et celui du cinéma. “Leurs personnages sont traversés par des tressaillements, des secousses qui donnent la chair de poule. La main de Penélope Cruz se resserre sur son sac, discrètement, comme pour cacher son trouble. Ses doigts caressant le matelassage, le bruit du fermoir tourniquet, la pose de la chaîne sur l’épaule... Identifiable au premier coup d’œil, grâce à sa silhouette parfaite, moderne et rectangulaire, le sac Iconique de Chanel a cette allure impeccablement élégante, qui le rend unique et si désirable.” À l’écran, il nous transmet ce sentiment de liberté pleine d’audace et de fantasmes.