Mode

4 créateurs qui réinventent la mode belge à suivre de près

Créateurs d’une mode qui est le miroir de la société, ils dévoilent leurs intentions envers ce nouveau monde qui se reflète dans leurs prochaines collections.
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Qu’ils aient fondé il y a peu leur maison de mode indépendante ou qu’ils tiennent déjà le cap depuis longtemps, quels sont leurs engagements, leurs déclics ? Faisant face à la fois aux défis de l'offre exponentielle sur Internet, et aux pendules de la production que tous appellent à remettre à l’heure, ces quatre créateurs racontent leur processus créatif, dans un monde qui (ré)apprend à attendre. Nous les avons rencontrés et photographiés à l’hôtel Jam à Bruxelles, scène d’artistes et lieu ouvert à la culture contemporaine. Un univers dédié aux saisons, aux voyages et à l’inspiration, où ils ont déposé leurs réflexions, le temps d’un cliché et d’un échange d’idées. 

  

Ester Manas

Style exclusif, modèles inclusifs

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© Dirk Alexander

Derrière un nom, deux créatifs. Ester Manas et Balthazar Delepierre sont tous les deux diplômés de La Cambre. L’une en mode, l’autre en images et typographie. Ils travaillent ensemble depuis le début de leurs études, en couple à la ville et au studio. Leur mode est éthique, dans sa fabrication et sa philosophie. 

"Nous avons fondé la marque en 2019, après avoir remporté le prix Galeries Lafayette au Festival d’Hyères. Paradoxalement pour nous, cette période est très porteuse. Nous disposons de beaucoup de temps pour créer, nous en avons profité pour développer de nouveaux points de vente, et nous ressentons un véritable engouement pour la marque. Ça se perçoit tant sur la collection précédente, qui avait comme inspiration une super héroïne fictive ancrée dans le monde et non dans une vision dystopique inatteignable, que dans la prochaine, en résonance avec la réalité des changements de la société. C’est une collection qui reflète le temps offert, sans la pression des multiples rencontres et des déplacements habituels, qu’on vit comme un luxe. Nous avons fait des choix pragmatiques : quand il y a moins de distractions créatives, on revient à l’essentiel. On se demande ce qu’on a vraiment envie de designer, dans quelle direction on a envie d’aller, ce qu’on veut laisser comme trace. On se rend compte que cette crise recentre les gens sur les questions fondamentales de savoir ce qu’ils possèdent déjà, et ce dont ils ont besoin. Nous produisions déjà des pièces inclusives et responsables, désormais cette dimension est encore renforcée, de la confection jusqu’à l’élaboration d’une communauté, avec une démarche pédagogique. Nous fabriquons 80% des pièces à Bruxelles, dans un atelier de réinsertion socioprofessionnelle. Comme la production grandit, l’atelier embauche. On se réunit pour mettre en place ensemble la stratégie et la logistique, inscrites dans un projet social à 360 degrés, jusque dans les fondements de la marque. Les matériaux sont à 80% récupérés de surplus de tissus, et toutes nos pièces en synthétiques imprimés sont fabriquées à partir de bouteilles recyclées en provenance des Pays-Bas. Nous concevons aussi des bijoux imprimés en 3D qui contiennent des coquilles d’huîtres, de moules et de Saint-Jacques broyées et agglomérées. Nous sommes très attentifs à l’origine des matières premières. À cet égard, notre marque est responsable en termes de sourcing, de production, d’acheminement, jusqu’aux étiquettes qui sont bios. Nous avons sept points de vente, en Chine, au Canada, en Allemagne, en France, au Qatar, aux États-Unis, et aussi un e-shop. Nous travaillons sur un concept de tailles uniques, sauf le pantalon, disponible en deux tailles. Notre marque est futuriste, car nous l’avons tout de suite centrée sur la transmission. Elle est faite pour tous les corps, avec un vêtement qui s’adapte et peut passer de main en main. Des pièces qui, par leur fabrication, leur qualité, leur intemporalité, pourront avoir plusieurs vies. On aime les femmes qui parlent fort, qui s’assument, qui sont positives et généreuses. Ce genre d’attitude et de caractère seront de toute façon présents dans le futur."

© Dirk Alexander

Arte Antwerp

Décloisonnement et transversalité

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© Dirk Alexander

Bertony Da Silva a fondé sa marque il y a cinq ans, distribuée aujourd’hui dans une centaine de points de vente. En mars, il ouvre sa deuxième boutique, 50 rue Antoine Dansaert à Bruxelles. Autodidacte avec une formation de graphic designer, il décloisonne les arts dans ses collections et trace des ponts entre les disciplines créatives.

"Toutes les réalisations d'Arte Antwerp jusqu'à présent sont le résultat du travail d’une équipe soudée, d’un engagement fort les uns envers les autres, et d’une confiance mutuelle. L'un de mes principaux déclics ces dernières années a trait à l'injustice et au racisme structurel, tant en Belgique que dans le monde. C’est aussi grâce à la façon dont les médias sociaux sont devenus un outil important pour partager des histoires et des infos que nous ne pouvons plus nier les enjeux de pouvoir dans la société. Je porte ces réflexions en moi, dans ma marque et avec mon équipe, et j'essaie de refléter comment nous pourrions apporter un changement. 

Avec la multiplication des propositions de mode sur Internet, je pense que l'un des plus grands défis est d'être vu et mémorisé. Réussir à vraiment se connecter à notre public, comprendre ses souhaits et ses désirs. Je crois qu'en apportant un message pertinent et une histoire visuelle forte, on peut créer une connexion durable avec notre communauté. Le rythme de la mode est soutenu, et il n’est pas facile de s’y tenir, mais pour le moment, c’est nécessaire. Un ralentissement serait appréciable, mais je ne pense pas que ce soit pour demain. Parce que pour instaurer un changement aussi intense et important, il faudrait que tout un système économique soit modifié. Nous assistons à une pandémie mondiale et à un appel au changement. Pourtant, depuis un an dans l'industrie de la mode, rien n'a vraiment bougé. 

Au niveau de notre inspiration, alors que le printemps-été 2021 a été imaginé avant la pandémie et reflète une vie plus joyeuse et insouciante, la collection automne-hiver 2021-2022 raconte une tout autre histoire. À la fois introspectivement et visuellement, cette saison s'inspire de l'Art nouveau, un mouvement artistique profondément enraciné et alimenté par les tournants sociétaux. Nous éprouvons le même genre d’envie de changer pour le mieux."

© Dirk Alexander

Aude de Wolf Belgium

Action (Création) Réaction

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© Dirk Alexander

Elle avait cocréé au début des années 2000 une boutique atelier, Shampoo & Conditioner. Toujours indépendante et attachée aux structures artisanales, elle a lancé il y a deux ans avec Lionel Vandenbemden sa marque aux lignes parfaitement tracées pour l’élégance et la séduction, du bureau au salon (en faisant un détour sur le tapis rouge, juste en changeant de chaussures). 

"J’ai toujours fonctionné en petites productions. Comme je conçois mes micro-séries quasi à l’instant, je n’ai pas de stock, et une grande réactivité pour la réalisation. Je fabrique presque tout moi-même, dans mon atelier, et quelques pièces signature sont produites en série limitée à Bruxelles. Les tissus proviennent de The Fabric Sales (une initiative belge de remise en circuit des surplus d’étoffes commandées par des maisons prestigieuses), ce qui me permet d’accéder rapidement à des rouleaux de première qualité, sans devoir commander des mois à l’avance, et de contribuer à une réutilisation de matières premières. C’est une démarche durable et transmissible. Cela m’a permis de lancer une production de masques quasiment dès le début du premier confinement. Ils ont évolué en concept de pièce complète, déclinée en écharpe, le Scarf Mask. Pour des questions d’éthique de fabrication, je ne négocie pas le prix de l’atelier avec qui je travaille, pour que tout le monde s’en sorte. Mais je tiens à cette proximité car en réalité, si on n’est pas juste à côté, il est très difficile de surveiller la chaîne de production. Pour réagir aux nouveaux besoins de mes clientes, l’été passé, j’ai commencé à produire des caftans, des pièces de lin, de soie, des pantalons super confortables en alcantara. Pour vivre à la maison et sortir dans la foulée, avec une tenue adaptée. Pour le cycle de mes modèles, les iconiques se suivent au fil des saisons, en changeant de couleur et de matières. J’adapte, je refais les patrons, je recommence. Dans ce contexte, les longues robes fendues peuvent s’adopter avec des escarpins pour un effet red carpet, ou avec des baskets pour tous les jours. Les vêtements en lamé marchent un peu moins bien en ce moment, on s’en doute, mais les manteaux et les chemisiers doivent sans doute leur succès aux rendez-vous à l’extérieur et aux réunions par Zoom. J’observe que les clientes recherchent de plus en plus des pièces à la fois sensuelles et durables. L’une de mes pièces phares, la combinaison pantalon, est emblématique de l’époque. On est habillée tout de suite, on enfile le haut et le bas sans devoir réfléchir, élégante avec un talon de 12, et exécutive en bottes. Dans le nouveau modèle, j’ai intégré un porte-masque, quand on l’enlève et qu’on ne veut pas le garder à la main. J’essaie de créer ce que les femmes ont envie de porter, et ce qui colle à leur réalité."

© Dirk Alexander

Jan Jan Van Essche

Éthique, post-ethnique, esthétique

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© Dirk Alexander

Il a étudié à l’Académie d’Anvers parce que c’était la seule option qu’il voulait considérer. Créée en 2011, sa marque est selon lui relativement jeune, avec 45 points de vente avant le Covid-19. Depuis quatre ans, il compose des collections unisexes, inspirées des kimonos ou des boubous, dont les formes conviennent à tous les corps et à tous les genres.

"Avec mon équipe nous concevons tout nous-mêmes, pas à pas, et ce ralentissement sollicité par pratiquement toute l’industrie de la mode faisait partie de notre ADN dès le départ. Je crée des vêtements confortables, pour que les gens se sentent libres dans leurs mouvements, pour ne pas contraindre le corps. Dans ce contexte de crise sanitaire, vivre et travailler chez soi change la perspective sur la façon de s’habiller. Désormais, on choisit ses vêtements pour être à l’aise à la maison plus que pour paraître. Notre production est éthique en soi, nous fabriquons principalement en Belgique et en Europe. Le choix des matériaux est très important, puisque les coupes sont minimalistes. Nos tissus de haute qualité viennent d’Italie et du Japon. Pour obtenir un tel résultat, nous faisons d’importantes recherches chaque saison. Il y a actuellement de plus en plus de jeunes marques qui pensent hors du cadre. J’espère qu’elles seront mieux et plus reconnues, et pas seulement estampillées avant-garde. Je ne pense pas qu’il existe un seul futur pour la mode, mais plusieurs voies. Les gens commencent à être sensibles à une réflexion en profondeur, à des propositions sincères. Je n’ai pas eu à changer fondamentalement ma stratégie puisque j’ai toujours fait des pièces intemporelles. Mais en boutique, on constate que les clients sont de plus en plus attentifs aux valeurs véhiculées par un vêtement, à son toucher. Ils veulent un costume qui ait la sensation d’un pyjama. Du confort et de l’élégance, pour s’élever par l’harmonie d’une pièce qui leur ressemble. Mes inspirations sont principalement ethniques et oversized. J’aime les coupes traditionnelles, mais je ne reste pas dans le premier degré. Je revois les lignes et j’en fais des pièces de ville. Je ne suis pas dans la nostalgie, je tire vers le futur."

© Dirk Alexander

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