14 créateurs de mode noirs qui redéfinissent la mode en Belgique
La 29e édition du Black History Month (Mois de l’histoire des Noirs) qui se tient tous les ans durant le mois de février, a débuté le lundi 1er février 2021 aux Etats-Unis, au Canada mais aussi dans certaines villes allemandes. L’occasion de découvrir et mettre en lumière les talents d’hier et d’aujourd’hui, la culture, les réalisations et les enjeux quotidiens de la communauté noire. S’il faut admettre que la condition des noires et leur valorisation ne devrait pas dépendre d’une période définie, le Mois de l’histoire des Noirs reste l’occasion de revenir médiatiquement sur certaines problématiques qui touchent essentiellement les Afro-descendants.
Parmi ces problématiques : le manque d'inclusion et de diversité omniprésent qui règne sur les défilés des grandes villes auxquelles les mannequins et, même les créateurs non-blancs doivent faire face. Car au XXIe siècle, les grands absents des rendez-vous mode restent toujours les créateurs noirs. Qu’ils soient émergents ou confirmés, ces créateurs sont souvent minoritaires, exploités, voire plagiés pour leurs idées et peu reconnus par les grandes instances de mode. A l’instar d’autres pays, la Belgique ne fait pas exception. Pourtant, aussi méconnus soient-ils, les créateurs et créatrices noirs talentueux ne manquent pas dans le plat pays. Ils sont opulents, hors de la norme et créatifs, leur influence est palpable, ces créateurs façonnent, remodèlent et réinventent les matières pour secouer les codes stricts de la mode.
Voici 15 créateurs noirs qui soufflent un vent novateur sur la mode belge à connaître absoluement si ce n'est pas déjà le cas.
Mansour Badjoko wa Likeko
Mansour Badjoko wa Likeko est un designer belgo-congolais né en 1986. Dès l’âge de 12 ans, il développe un intérêt pour la façon dont les humains communiquent à travers les vêtements, ce qui le motive à suivre en 2004 des cours de stylisme à La Cambre dont il sera diplômé avec Distinction en 2009. Balenciaga, Thom Browne… il apprendra des meilleurs studios de création pour se parfaire. En 2019, fort de ses expériences dans les plus grandes maisons, il lance Mansour Martin, une marque de prêt-à-porter en collaboration avec son ami d’enfance et designer, Martin Liesnard. La marque est androgyne, elle s’inspire des émotions et représente la réflexion de leur vision du monde, elle se veut éco-responsable en adoptant une démarche durable et éthique. À deux, ils créent leurs propres codes et règles, un monde alternatif, teinté d'utopie.
"Je ne fais pas cela pour la gloire, le prestige ou la fortune. Je suis animé par un idéal : acheter moins, acheter mieux. Je pense que notre génération mérite de meilleurs vêtements : fabriqués de manière éthique, avec un grand souci de l'environnement et des personnes. Nous méritons des biens qui dureront plus de deux mois. J'essaie simplement de concevoir des produits qui valent la peine d'être achetés", confiait ainsi Mansour Badjoko au magazine THE WORD.
Valentine Avoh
Légère, précise et raffinée, Valentine Avoh crée depuis 2017, dans son atelier bruxellois, des robes de mariée sur mesure. Depuis petite, la talentueuse créatrice crée et imagine, mais c’est à l’âge de 20 ans que son rêve prend forme. Elle s’envole en direction de Londres, foyer de la mode, pour suivre les cours de stylisme et modélisme du London College of Fashion (rien que ça), elle en sera même diplômée. D’Alexander McQueen à San Andrès Milano en passant par Marc Philippe Coudeyre, elle travaillera 10 ans en tant que petite main, puis cheffe d’atelier avant de lancer sa marque. Ses réalisations inspirées d’anciennes icones du cinéma hollywoodien, sont couvertes de plumes, de tulles et de perles minutieusement brodés, en soie ou en dentelle. Valentine Avoh a su se créer un univers bien à elle, défiant les lois du temps, dans un esprit Haute Couture. Elle a su s’imposer sur un marché qui ne laisse que peu de place aux personnes non-blanches et compte bien y rester.
Kevin Tizo
Designs frais et colorés, résolument luxe et éthique, l’univers de Kevin Tizo est une ode à la femme, à l’exotisme et au voyage. Travaillant tantôt le cuir de Pirarucu, tantôt le Galuchat, ce designer bruxellois d’origine congolaise maîtrise avec brio le maniement du cuir marin en proposant des pièces de maroquinerie authentiques et novatrices. Ses créations sont cousues mains en Italie et se démarquent par une collection riche et polychrome, des coupes franches aux couleurs chatoyantes mais également par sa démarche zéro-déchet. Avec sa marque lancée en 2020, Kevin Tizo l’a bien compris : Green is the new black ! Les peaux de poissons proviennent de la production alimentaire, tandis que les tanneries travaillent avec des produits éco-friendly, de quoi donner une leçon aux grandes maisons de luxe.
Stromae
Stromae, de son vrai nom Paul Van Haver, s’est associé en 2013 à Coralie Barbier, sa femme, pour lancer Mosaert, une ligne de prêt-à-porter, expression de sa musique par les vêtements. Le chanteur bien connu pour son univers artistique très marqué et impulsé par la mixité de ses origines belgo-rwandaises, portait depuis l’album “Racine Carrée” quelques articles de la marque. Les produits du label Moseart sont la réflexion d’un esthétique poussé à l’extrême, mêlant le graphisme des imprimés wax à la géométrie parfaite des polygones d’une qualité et d’une originalité remarquable. Les collections sont pensées sous la forme de capsules, souvent en rupture de stock dès leur lancement et fabriqués en Europe, notamment en Belgique, et sont disponibles dans les boutiques haut gamme, comme Colette ou Le Bon Marché. À l’occasion de la sortie de la denrière collection capsule du label, intitulée "Rencontre", l’équipe de Mosaert a entièrement retravaillé son identité visuelle, laissant derrière elle les motifs pastel iconiques de la marque pour se tourner vers une collection plus colorée, plus poétique, plus sobre... et surtout totalement éco-repsonsable.
Noémie Makboulian
Si on lui avait dit un jour qu’elle deviendrait créatrice de mode, elle vous aurait ri au nez. Noémie Makboulian, cette jeune créatrice belgo-congolaise de 28 ans n’avait pas prévu le tournant que sa vie allait prendre ces trois dernières années. Après son diplôme, elle entame des études de Relations Publiques qu’elle a fini par arrêter et commence à travailler dans l’atelier de sa maman, styliste de profession. Une révélation pour la jeune femme, qui développera une première collection de veste puis de haute couture en parallèle.
Jeu de textures, de matières nobles, coupe structurée et arrondies sur mesure, la créatrice parvient à nous plonger dans son univers qui s’inspire d’un mélange entre charme et féminité désinvolte des films des années 80/90, désormais signature de son travail. Noémie Makboulian a récemment dévoilé une nouvelle collection capsule inspirée de la sérié à succès Emily in Paris, qui mise sur la vitalité sans limite de la créatrice.
Souleymane Bah
Originaire de Guinée et globe-trotteur dans l’âme, Souleymane Bah est un créateur de chaussures, plus précisément de sandales raffinées confectionnées à la main. À presque 30 ans, riche d’expériences et de voyages à travers l’Afrique subsaharienne, le Maghreb et l’Europe, c’est à Liège que le jeune créateur décide de poser ses valises. Avec le soutien de Creapme et l’aide d’une campagne de crownfunding, il concrétise son projet qui avait germé lors d’un voyage au Kenya et lance UUNGU ("divinité", en swahili) en 2020. Design épuré, tons emplis d’énergie, c’est une marque audacieuse, qui se veut engager dans le commerce équitable. Les matières sont naturelles et par ses réalisations le créateur belgo-guinéen cherche à mettre en lumière les techniques traditionnelles d’artisanat des créateurs africains pour rendre le savoir-faire ancestral du Kenya pérennes. Les sandales sont inspirées du peuple Massai, imaginées et dessinées en France, développées à Liège puis réalisées au Kenya. NOMMO, AKWABA, OBBA, OSHUN, chaque modèle fait référence au nom d’une divinité africaine et est intimement lié au code couleurs de celle-ci.
Bertony Da Silva
Si New York a Supreme et Amsterdam Patta, la Belgique a ARTE. Gaspar Bertony Da Silva, né à Cabinda (Angola), est le créateur de cette marque de streetwear anversoise dont tout le monde parle en ce moment. Des artistes comme Anglèle, PartyNextDoor ou Joey Bada$$ s’arrachent ses réalisations, tandis que le créateur anversois voit le nombre de son personnel doubler chaque année, son chiffre d’affaires gonfler et son nombre de magasins se multiplier. Il y a 10 ans, Bertony Da Silva réalisait, en marge de ses études en graphisme, des t-shirts qu’il vendait à ses proches. C’est seulement en 2014 que la marque ARTENATIVE naît. Il transforme son activité informelle en une activité plus professionnelle à plein temps et lance sa première collection qui sera sold-out en 6 mois. La marque fait partie de cette nouvelle garde créative et débrouillarde, qui résulte de la fusion d’une recherche graphique et celle des cultures underground. La marque "explore différentes formes d’art, allant de l’architecture moderne à la musique" comme l’explique le magazine en ligne RELEASED. Bien que l’âme de la marque soit résolument streetwear, il n'en reste que les lignes de vêtements sont diversifiées, on y retrouve une sélection d’articles aux inspirations aussi bien workwear que sportwear.
Victoria Antwi
Victoria Antwi, créatrice du label anversois ANTWI, insuffle sur la mode un air de fraicheur avec ses réalisations aussi riches en couleurs qu’originales. C’est en 2020, à 24 ans que la créatrice anversoise lance sa marque de prêt-à-porter haute gamme. À l’âge de 9 ans, elle quitte le Ghana pour s’installer en Belgique avec sa famille et poursuit des études générales qui n'aboutiront pas, la redirigeant vers les études professionnalisantes de Couture. Très vite, elle apprend les bases et commence à confectionner ses propres tenues, puis pour les autres, mais il faudra attendre 2017, lors de sa dernière année d’études, pour qu’elle décide de lancer sa propre marque. Elle n’a alors que 24 ans lorsqu'elle décide de relancer sa marque ANTWI en 2020. Nouveau branding, identité visuelle plus marquée, ANTWI est une marque qui s’inspire des matières et des couleurs vives rappelant les couchers de soleil d’Accra et l'art cubain. Les coupes sont franches, plissées et les palettes de couleurs chatoyantes. Si la marque n'en est qu'à ses premiers pas, on parie qu’elle prendra plus de hauteur avec le temps.
Charly Nzogang
Il a fait sensation lors de la Fashion Week de New York qui avait lieu en janvier 2019 et vous n’avez pas fini d’entendre parler de lui. Charly Nzogang, c’est la success-story d’un jeune anderlechtois originaire du Cameroun sur qui, même ses professeurs n'auraient pas parié. Il échoue à trois reprises à sa première année d’étude en stylisme, considéré comme "médiocre" par ses enseignants mais n’abandonnera pas. Un jour, le jeune prodige en devenir reçoit une invitation pour la Fashion Week de New York qui changera son destin. Son passage ne passera pas inaperçu, il est recontacté, on lui propose des contrats pour lancer sa marque en Asie, pour travailler dans des maisons de couture prestigieuses. Ce qui plaît chez Charly Nzogang, c’est son ingéniosité. Il propose des vêtements multifonctions comme des manteaux qui peuvent se porter en jupe, tout en s’inspirant des animés, de la culture japonaise et de la science-fonction. L’essence de son art est de rendre les femmes plus fortes à travers ses créations. "Je veux que les femmes se sentent des guerrières en portant mes tenues, qu’elles n’aient pas peur, que rien ne peut les atteindre. Avec NC, elles doivent se sentir belles et invincibles", expliquait le styliste lors d’une entrevue avec la RTBF.
Louise Assomo
On la surnomme "La Reine des Robes". Louise Assomo fait partie de ces rarissimes créatrices noires, qui ont pu se faire une place dans l’industrie de la mode en Belgique. Diplômée en 2001 de l’école Francisco Ferrer à Bruxelles, la créatrice bruxelloise d’origine camerounaise se distingue des autres en remportant l’Escarpin de Cristal lui permettant d’être mise en lumière par la presse belge. Elle distribue alors ses réalisations dans les plus grandes boutiques internationales, en plus d'habiller les plus grands. Louise Assomo est douée dans ce qu’elle fait, elle ne coud comme personne, au point que Jan Fabre lui confiera la confection d’une robe pour habiller son actrice Ivana Jozic dans le film Another Sleepy Dusty Delta Day. De 2006 à 2011, elle possède un atelier dans le centre de Bruxelles, où elle confectionne ses robes iconiques qui portent sa signature unique et sa volonté de transmettre, d’éduquer sur le sens profond de la couture. Ses réalisations se définissent par de beaux tombés, l’amour des couleurs, des courbes qui embrassent magnifiquement les silhouettes qu’elle habille et des lignes parfaitement symétriques dans des matériaux nobles. La créatrice ne vibre que pour la noblesse que représente la couture, s’inspirant des plus grands noms de la couture comme Thierry Mugler, Dries Van Noten ou le couturier français Claude Montana. Si aujourd’hui la créatrice s’est reconvertie dans le domaine de l’administration, elle continue de vivre secrètement de sa passion et d’exprimer son art à travers la littérature et l’écriture. En honneur à l’héritage mode que cette icône laisse derrière elle, Louise Assomo devait figurer dans cette liste.
Sanhela Teky
C’est dans son atelier niché, rue du Pont, au centre de Liège, que Sanhela Teky confectionne ses créations en wax, ce tissu en coton d’origine hollandaise imprimé de motifs africains. Pour la créatrice belgo-togolaise de 26 ans, il était important de partager et mettre en valeur son héritage culturel à travers les vêtements. Car oui, ses créations sont exclusivement confectionnées en wax, un tissu porté dans plusieurs pays d’Afrique Noire. Si depuis ses 20 ans elle a l’âme d’entreprendre comme ses parents indépendants, c’est en 2020 qu’elle ouvre sa boutique-atelier, intitulée Antilope Lab. Sanhela Teky y propose des pièces de prêt-à-porter mais aussi des accessoires, une manière d’exprimer et de cultiver autour d’elle l’amour de l’Afrique, qu’elle ne connaît que peu.
Nina Rais
"Conçu dans la profondeur de la pensée humaine et dans la création qui nous entoure. C’est la multiplication de l’être, la procréation universelle qui fait de nous des dieux. Nous apportons la Divinité dans chaque produit confectionné." Voilà ce que l’on peut lire sur le site d’OVAMARIA, une marque de T-shirts streetwear créée en collaboration avec Nina Rais. La marque n’est encore qu’à ses débuts mais on peut déjà apercevoir les prémices d’un label qui risque de faire parler de lui prochainement. Les designs sont ingénieux et originaux, sans nul doute inspiré de l’art de la Renaissance reconnaissables par l'utilisation de motifs qui renvoient aux œuvres de Leonard de Vinci ou Michelangelo.
Yeba Olayé
Yeba Olayé, cette créatrice belgo-béninoise de 41 ans, a forgé sa personnalité grâce à son père diplomate qui lui inculquera les valeurs de l’excellence et de la rigueur. Carriériste de nature et déterminée, elle obtient un diplôme d’ingénieur à Solvay qui lui permettra de construire une carrière aussi incroyable qu’Annalise Keating dans le domaine de la finance. En 10 ans, sa vie professionnelle n’est plus que chiffres et résultats, elle décide donc en 2015 de tout envoyer valser et lancer sa propre marque. La jeune femme, mère de deux enfants, est délicate, a une maîtrise constante, c’est une femme libre qui propose des sacs minutieusement conçus pour les femmes indépendantes et actives comme elle. C’est cette même détermination qui a plu à un ancien maître des ateliers Delvaux, avec qui elle va apprendre les secrets du métier. Inspirés de l’architecture et influencés par l’univers de la maison belge, les sacs Yeba se caractérisent par des coupes strictes et faussement simples aux couleurs acidulés.
Elodie Ouedraogo
Elodie Ouedraogo est, avec Olivia Borlée à la tête du label sportswear 42|54. Lancé en 2016 par les deux ex-championnes olympiques, la marque peut se vanter de collaborations avec Samsung, ou encore récemment avec Tomboy, la ligne petite sœur du label Filles à Papa. La marque se veut écologique puisque les T-shirts sont fabriqués à partir de bouteilles en plastique recyclées et cherche à se positionner au même rang que les plus grands pour habiller les sportifs, surtout quand ils sont belges. Pari réussi : la marque est distribuée dans plus de 12 pays, et les collections sont disponibles dans certaines boutiques en Belgique ou en ligne.
Les créateurs noirs ont longtemps été exclus par l’industrie de la mode et pourtant utilisés pour leur talent, ce qui explique le succès disproportionné des designers blancs. En soutenant davantage le travail des créateurs noirs, vous pouvez contribuer à leur revalorisation, permettre de créer de nouvelles opportunités et lutter efficacement contre les discriminations auxquelles, mannequins et créateurs sont confrontés quotidiennement.