Rencontre avec Almine Rech, la plus célèbre des galeristes françaises
Le terme optique définit le moment où les yeux se fixent en dehors de la mise au point. “Resting Point of Accommodation” désigne l’état proche de la rêverie ou de l’autohypnose, quand on décroche un instant pour se laisser aller à une reposante introspection. Le curateur Bill Powers a sélectionné pour cette exposition bruxelloise treize artistes, principalement américains, surtout des femmes, généralement des peintres, pour exprimer cette alternative périphérique à la contemplation artistique. À l’occasion d’une interview croisée avec Almine Rech, les deux esthètes explorent ensemble le moment où deux regards critiques et avisés se focalisent sur un même point.
L’OFFICIEL : Quel est le concept qui caractérise vos galeries ?
ALMINE RECH : Le paysage de l’art contemporain s’est considérablement transformé depuis que j’ai ouvert notre galerie phare à Paris en 1997. C’est sur cette progression et cette évolution que je concentre l’essentiel de mon attention. Nous ne travaillons pas selon des esthétiques ou thèmes uniques, mais nous explorons un éventail de talents artistiques à travers les régions, les générations et les origines, pour que ces divers univers entrent en dialogue direct à travers des expositions de groupe telles que Resting Point of Accommodation.
L’O : En quoi votre sélection d’artistes vous distingue-t-elle des autres galeries ?
AR : Nous nous sommes toujours attachés à composer un équilibre entre artistes émergents et établis ou historiques - c’est une caractéristique déterminante de la programmation de la galerie, qui ne changera jamais. Actuellement, je rencontre des artistes plus jeunes, je découvre leurs processus créatifs, et cette inspiration qui émerge de leur travail est l’un des aspects les plus passionnants de mon métier. Nos collaborations avec les artistes découlent toujours d’une véritable passion pour leur travail, et de leur contribution à l’histoire vivante de l’art contemporain.
L’O : Est-ce que la sélection d’artistes majoritairement féminine est intentionnelle ? Sinon, qu’est-ce qui vous a séduit dans leur travail ?
BILL POWERS : Je ne sais plus si c’est Joan Mitchell ou Helen Frankenthaler – quelqu’un de cette époque – mais si vous lui demandiez ce que cela représentait d’être une artiste féminine, elle mettait brusquement fin à l’entrevue. Dans toutes les expositions que j’organise, il m’est avant tout important d’apporter nouveauté et cohérence.
L’O : Que pensez-vous de l’évolution de l’art contemporain en Belgique ? Quelles sont les singularités de ce marché ?
BP : Il y a tout le temps de nouvelles ouvertures de galeries à Bruxelles, même pendant la pandémie, ce qui est encourageant.
AR : Il ne fait aucun doute que la Belgique est devenue un épicentre des arts et de la culture. Nous avons compris très tôt que nous voulions participer à sa croissance et contribuer à sa scène artistique contemporaine florissante. Il y a un fort appétit de découverte à Bruxelles, ce qui en fait un lieu incroyable pour exposer les nouveaux talents de notre sélection.
L’O : Selon vous, comment le contexte actuel influencera-t-il le monde de l’art contemporain et le travail des galeries ?
BP : L’énergie sur le marché est complètement orientée vers l’émergence, mais ce n’est pas une question d’âge. Quelqu’un comme Peter Williams, professeur d’art à la retraite, vient d’obtenir sa première exposition personnelle dans un musée en Amérique. Le programme Yale MFA (Master of Fine Arts) a gagné en force récemment, et au moins trois des artistes de cette exposition proviennent de ce même programme d’études supérieures.
AR : Je pense que l’intérêt pour les artistes de la génération Y s’est considérablement accru ces dernières années ; les collectionneurs veulent faire partie du nouveau siècle de création. Le contexte actuel n’a fait qu’accentuer cet aspect, et la technologie nous a énormément aidés pendant la période de pandémie. Mais peu importe ce que l’avenir nous réserve, l’art et la culture composeront indéfectiblement une partie essentielle de notre vie. Aujourd’hui plus que jamais, il est extrêmement gratifiant de nourrir le désir des gens de vivre l’expérience de s’engager et de se sentir inspirés par l’art. En live, ou grâce aux nouveaux formats numériques.
“Resting Point of Accommodation”, Almine Rech, 20 rue de l’Abbaye à 1050 Bruxelles. Du 21 avril au 29 mai 2021. Pour (re)découvrir les œuvres de Kathia St. Hilaire, Leyla Faye, Alina Perez, Mike Lee, Ana Benaroya, Ted Pim, Che Lovelace, Geoff McFetridge, Umar Rashid, Hiejin Yoo, Emma Stern, Brianna Brooks et Emma cc Cook.