Beauté

Fragrances de niche : quand le luxe devient un art à part entière

Le flacon ou l’ivresse des sens, l’opulence ou l’épure, le nom ou le fait main, l’art ou la matière ? Sujet à interprétation, le luxe en parfumerie est toujours question d’exclusivité, de différenciation, de temps de fabrication. Coup de sonde dans le monde des fragrances de niche.

© Beauty by Kroonen
© Beauty by Kroonen

Réaction à une industrie du parfum qui essaime ses blockbusters à grande échelle, les effluves dits de niche ont émergé dès les années 70 (1968 même, pour la première eau de toilette de Diptyque) avec leurs invitations au voyage olfactif pour connaisseurs et leur réseau de distribution confidentiel. Dans le sillage de L’Artisan Parfumeur, d’Annick Goutal, de Serge Lutens… sont nées beaucoup de marques indépendantes. Aujourd’hui, certaines ont été rachetées par de grands groupes - qui ont eux-mêmes lancé des collections exclusives de jus moins lisses, avec plus de parti pris -, tandis que d’autres gardent le cap de la différence. Mais "niche ne veut pas dire qualité ou luxe", comme le précise Sylviane Lust, experte parfums chez Beauty by Kroonen, concept store bruxellois de Ioana Kroonen. "D’où l’importance de notre travail de sélection." Leurs critères sont nombreux pour dénicher des perles rares à faire découvrir à une clientèle exigeante, qui prend le temps de chercher, tester, porter, pour trouver LA fragrance qui va fusionner avec sa peau et sa personnalité, raviver des souvenirs heureux, éveiller certaines émotions, confiance ou réconfort, créer une aura autour de soi.

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© Beauty by Kroonen

Matériel VS immatériel

"Pour nous, la belle matière, ça se sent. Mais certaines personnes recherchent également un objet d’exception qu’elles vont exposer chez elles", reprend la passionnée d’essences. "Les flacons de la collection Storie Veneziane de Valmont sont des sculptures en relief d’un visage en verre de Murano sur le devant de la bouteille dorée, par exemple. Le jus Alessandrite est aldéhydé, délicat, boudoir. Chez Floraïku, maison française à l’esthétisme japonais, le bouchon se transforme en vaporisateur de sac et le tout est présenté dans une boîte bento. Le parfum Golden Eyes est très boisé, mais très enveloppant et velouté, pas du tout agressif. La senteur et son contenant se répondent, forment un objet de désir luxueux et pratique."

Pour les amoureux des fragrances, l’ivresse des sens prime souvent sur la forme d’un flacon. "L’odeur elle-même véhicule parfois la notion de luxe", estime Sylviane Lust. "Comme White de Puredistance qui évoque pour moi la soie, le cachemire, les perles, une crème de beauté haut de gamme, précieuse."

Certaines marques de niche se sont positionnées dans un univers luxueux dès le début et y sont restées. Ainsi Amouage, qui a été créée par le sultan d’Oman pour mettre à l’honneur les matières premières du sultanat comme l’encens. "Leur premier parfum, Gold (1983), a été composé par un grand nez français, Guy Robert (Dioressence, Calèche…) qui a reçu carte blanche, sans limite de coût ou d’ingrédients rares. La fragrance est d’un luxe absolu, par la qualité des matières premières et leur quantité hors normes."

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© Beauty by Kroonen

Du champ au flacon 

Aux antipodes du bling-bling et des campagnes marketing, Matière Première se démarque précisément par la qualité de ses ingrédients et ses formules courtes, son lien fondamental à la terre, son ambition folle de cultiver ses propres fleurs à Grasse (rose centifolia et tubéreuse), pour donner naissance à des jus épurés autour d’une matière star. Et des ingrédients de qualité utilisés en grande concentration, cela se sent, sans cocoter, cela crée de puissants effluves de modernité. En témoignent les récents extraits, qui refacettent les eaux de parfum existantes avec une matière invitée, comme la cardamome noire du Népal - utilisée pour la première fois en parfumerie - qui redessine Santal Austral. Pour Aurélien Guichard, fondateur et nez de la marque, "less is more". Résolument. "J’ai une conception du haut de gamme liée à l’authenticité. Et personnellement, je trouve le terme “luxe” difficile. Là où le luxe a longtemps été synonyme de label, j’y vois un savoir-faire. À la fois un sentiment de fait main, de matière qualitative et une recherche esthétique. Je trouve intéressante la notion de rareté mais également surtout le fait que les choses ne soient pas faciles à obtenir. Chez Matière Première, il y a un travail immense sur le sourcing: le fait de produire nous-mêmes nos propres fleurs, cela paraît presque impossible. Revenir à des choses fondamentales qui nécessitent des efforts importants, c’est ça, le luxe, pour moi. Le contraire de la facilité, le contraire de la façon de faire de tout le monde. Le luxe est parfois invisible également : toutes nos récoltes se font en organique, on recherche la qualité avant le rendement… Ce sont nos engagements, dont on ne fait pas des arguments marketing."

Ce retour à l’essentiel, telle est la définition du luxe selon Aurélien Guichard, "et on s’en était tellement éloigné. Se rapprocher d’une création plutôt que d’un produit, revenir à l’artisanat, la créativité, avec de la patine, de la texture, laisser macérer, maturer les ingrédients d’une formule. Prendre le temps d’un processus complexe."

Créativité exacerbée 

David Frossard a accompagné un grand nombre de marques de niche au cours des vingt dernières années, de Byredo à L’Artisan Parfumeur, Memo, Frapin… Formé à l’origine pour enseigner la philosophie, il a récemment lancé son propre label d’essences. Pas de "storytelling abracadabrantesque" ni de suremballage, ce pro du parfum entend revenir à l’évidence avec Obvious. De la qualité, de l’écoconception et beaucoup de créativité. "Cela me surprend de voir qu’au fil du temps, beaucoup de marques de niche se sont décorrélées du monde dans lequel on vit, avec ses impératifs écologiques", dit-il. "Le luxe, pour une fragrance, cela commence par la qualité des matières premières, qu’elles soient naturelles ou synthétiques puisqu’il y a des ingrédients de synthèse qui valent très cher. Mettre de l’argent dans le concentré et la créativité. Le monde du parfum est immatériel, infini: on peut tout faire. Et en même temps, c’est un monde ultra-marketé, donc on est vite limité d’un point de vue créatif. Le luxe, c’est d’être soi malgré tout et de parvenir à faire des jus qui font bouger un peu les lignes. Sinon, les gens gardent un nez stéréotypé." À côté de sa ligne impressionniste autour d’une matière première, il propose une nouvelle collection High Standards réalisée avec le nez belge Julien Rasquinet (Amouage, Creed) et composée de trois parfums-voyages complexes qu’il faut prendre le temps d’explorer : en direction de Mexico (Frida’s Thorns), du Bhoutan (Himalayan Spell) et d’une île éolienne, Salina (Malfa Walls).

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