Beauté

All of Me : l'histoire du dernier parfum de Narciso Rodriguez racontée depuis le Mexique

Récit d’une aventure olfactive signée Narciso Rodriguez sous le ciel rose de Los Cabos.

© Céline Pécheux
© Céline Pécheux

Deux nez pour un parfum

Quand Narciso Rodriguez, l’un des couturiers américains les plus inspirants et confidentiels de la fashion sphère, dévoile sa nouvelle fragrance, c’est toute l’industrie qui est en émoi. Car le New-Yorkais d’adoption n’est pas du genre à sortir chaque année un jus différent. Bien au contraire. Durant dix ans, il n’a offert qu’une seule fragrance, For Her (et For Him, pour homme), certes déclinée en plusieurs versions. Pour ce nouveau flacon baptisé All of Me et commercialisé depuis la rentrée, Narciso Rodriguez a convoqué non pas une, mais deux pointures de la parfumerie : Daphné Bugey et Dora Baghriche. "En effet, dans les grandes maisons, les parfums collectifs sont devenus la norme. On ne signe plus seulement à deux mais parfois à trois, voire à quatre", constate Daphné Bugey. "Un exercice pas toujours évident", conclut-elle. En effet, alors que la parfumerie de niche peut oser les partis pris, les poids lourds sont à la recherche de jus susceptibles de plaire au plus grand nombre. Dans cette perspective, mettre en commun les compétences et les savoir-faire est considéré comme le moyen le plus sûr. Recrutées pour leur talent, mais aussi pour leur complicité et leur capacité à œuvrer en équipe, les deux femmes ont commencé leur collaboration par un postulat fidèle à l’ADN olfactive de Narciso Rodriguez : "Bousculer la rose avec comme seconde note de cœur le géranium bourbon". Dora Baghriche, à l’origine de l’idée, voyait dans le lait de géranium la facette gourmande et addictive du parfum. Daphné Bugey y a ensuite ajouté le poudré et l’insolence d’une rose indomptée. "On s’est aperçu qu’en associant nos deux inspirations, on arrivait à une vision plus complète, que l’on a pris beaucoup de plaisir à travailler", confie Daphné Bugey. Ensuite, la phase de recherche a pris du temps… Pour All of Me, il a fallu à peu près deux ans et pas moins de 700 essais menés par le duo de parfumeurs pour arriver au fameux graal. "On pourrait continuer éternellement les essais. En enlevant et en ajoutant des matières premières. Mais quand on est arrivé au bout de l’idée, on le sait. On porte le parfum, on écoute les commentaires de l’entourage et puis on a une intuition qui nous dit que c’est bon, on l’a !" D’après Dora Baghriche, travailler à plusieurs pour des développements aussi longs "permet de garder son calme et une certaine fraîcheur d’esprit". Pour que l’alchimie prenne, il n’y a pas de recette, tout dépend des besoins et de la dynamique générale des nez, chacun planchant sur plusieurs projets en parallèle (une quinzaine en moyenne). Les parfumeurs peuvent "sentir" ensemble ou se passer et se repasser une formule, pour y ôter ou apporter des éléments, "chacun faisant une passe qui change la trajectoire", résume Daphné Bugey. La gageure ? Ne pas se perdre en route, ne pas diluer la créativité. Et gérer la frustration de voir ses propres accords travestis par d’autres. "Bien mené, c’est un travail qui peut enrichir notre savoir-faire, car chacun apporte son expertise et ses affinités pour certaines matières. Cependant, il est important d’avoir entre nous une connivence olfactive, des styles qui ne sont pas totalement opposés", avoue Dora Baghriche, à qui l’on doit (entre autres) Mon Paris d’Yves Saint Laurent. Pour cette dernière, le monde est une source d'inspiration infinie. De ses souvenirs d'enfance à Alger - dans les cuisines de ses grands-mères pâtissières - à ses voyages à travers le monde, chaque expérience est une muse pour ses créations olfactives. Pour Daphné Bugey, la passion pour les fragrances a commencé dès l'âge de 10 ans et depuis lors, rien ne l'a détournée de cette voie. Son mantra est de "tout expérimenter, tout ressentir, afin que je puisse créer à partir d'un lieu de liberté". Pour All of Me, elle embarque la rose dans des territoires moins sages et plus rock’n’roll que ce que la fleur évoque habituellement. Le résultat, sublime, est un jus singulier aussi tendre et féminin que musqué qui, en associant l’odeur emblématique de la précieuse rose centifolia à une note inattendue de géranium bourbon (un ingrédient généralement réservé aux parfums pour homme), transcende les codes de la parfumerie.

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© Céline Pécheux
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L’endroit, Paradero Todos Santos

L’extrémité méridionale de la péninsule du Mexique est l’endroit parfait pour profiter d’un bain de nature mais aussi pour découvrir en primeur la nouvelle sensation olfactive de Narciso Rodriguez… C’est ici, dans ce désert entre deux mers, que le créateur a choisi de célébrer la sortie de son nouveau bébé All of Me, dont la bouteille au jus rosé rappelle le ciel au coucher du soleil de ce paradis terrestre. Isolée du continent américain jusqu’à l’achèvement de la route transpéninsulaire, en 1973, la Basse-Californie du Sud est restée un monde à part. C’est l'État le moins peuplé du Mexique, mais aussi celui qui a le plus de kilomètres de côte et le pourcentage le plus élevé de terres classées en parcs naturels. Il y pousse des végétaux bizarres, comme le cactus éléphant ou le datilillo, un yucca touffu et disloqué qui rappelle l’arbre de Josué. Ses eaux sont si poissonneuses que l’explorateur Jacques-Yves Cousteau décrivait la mer de Cortés comme "l’aquarium du monde". Des milliers de baleines (à bosse, grises, bleues) y passent l’hiver. Dès notre arrivée à l’aéroport de Los Cabos, on est émerveillé par les eaux claires du golfe de Californie d’un côté, les vagues bleu foncé du Pacifique de l’autre, les oasis et les vallées de cactus de 15 m de haut entre les deux… Chef-d'œuvre brutaliste signé Ruben Valdez et Yashar Yektajo, l'Hôtel Paradero, niché en plein cœur d’un paysage désertique de 2 ha, est notre point de chute pour les quatre jours à venir. C’est un bijou hôtelier où tout est calme et volupté. Assiettes locavores, nature omniprésente, emplois locaux… Cet éco-resort est pile dans l’air du temps avec son jardin botanique, son potager et ses suites en rooftop où l’on peut se prélasser dans un filet pour admirer les étoiles. À quelques kilomètres de là, avec sa place ombragée par des palmiers, sa charmante mission espagnole du XVIIIe siècle, ses rues pavées et ses bougainvillées, la petite ville de Todos Santos est le repaire des hippies californiens depuis les années 1970. À l’époque, cet ancien village sucrier était plus ou moins à l’abandon après un âge d’or qui avait asséché son aquifère. Avec l’arrivée de la route goudronnée, au milieu des années 1980, des artistes américains s’y sont installés. Depuis, ses bâtiments historiques - haciendas, entrepôts, moulins à canne à sucre - ont été convertis en galeries d’art, petits hôtels, boutiques, studios de yoga. La nappe phréatique est reconstituée et on y pratique l’agriculture bio. À 3 km de là, les rouleaux du Pacifique s’écrasent sur de grandes plages restées sauvages. Difficile de se baigner, mais les acrobaties des surfeurs et des baleines sont visibles à l’œil nu. Le paradis sur terre. 

© Céline Pécheux
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Le Boss, Narciso Rodriguez

Fidèle à son style minimaliste en tant que fashion designer, Narciso joue les maîtres de cérémonie avec beaucoup de simplicité, heureux de dévoiler aux journalistes présents à Los Cabos sa nouvelle fragrance pour laquelle il a personnellement œuvré pendant deux ans. En effet, celui qui n’organise plus de défilés depuis 2018 mais continue d’habiller des clientes privées (Michelle Obama et Sarah Jessica Parker par exemple) et de s’occuper de ses parfums à succès, a contribué à chacune des étapes de création du nouveau All of Me. "Comme pour mes créations mode, je suis très impliqué quand il s’agit de créer un nouveau parfum. J’imagine que les équipes préféreraient que je le sois moins car je suis très exigeant. (Rires.) Mais je m’amuse beaucoup à élaborer la forme du flacon par exemple. Pour le bouchon, je pense que nous avons dessiné 7000 modèles différents avant de trouver le bon. Créer un parfum, c’est aussi et surtout une conversation avec les parfumeurs. C’est incroyable à quel point un parfum peut vous rappeler ou créer un souvenir. Le musc, pour moi, est la senteur la plus sensuelle et elle est devenue la base de tous mes parfums. Elle a un pouvoir fascinant d’attraction, de séduction et d’addiction. Vingt ans après son lancement, je reçois encore tous les jours des lettres de gens qui me racontent à quel point ils sont amoureux de mon parfum For Her. Récemment, une femme me racontait qu’elle l’avait surnommé l’aimant à amants. (Rires.) Pour All of Me, le point de départ était cette fois la rose et puis, très vite, le géranium est arrivé dans l’équation. Daphné et Dora ont su m’emmener dans des univers olfactifs différents de ce dont j’avais l’habitude. Elles m’ont sorti de ma zone de confort." Quant au choix du nom, All of Me, le créateur n’arrive pas à cacher son émotion quand il nous raconte l’histoire de ses origines : "J’ai des jumeaux qui ont 6 ans aujourd’hui et c’est la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie ! Un jour, j’ai dit à mon fils qu’il était tout pour moi ("My everything"), ce à quoi il m’a répondu : Et toi, papa, tu es mon tout ("My all"). C’est de là qu’est née l’idée de All of Me. C’est une histoire très personnelle. J’ai mis beaucoup de moi dans ce parfum et j’espère vraiment qu’il rend dignement hommage à toutes les femmes, à leur complexité et à leur beauté."

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