Trois artistes qui prouvent que la relève de l’art contemporain belge est arrivée
La "relève" de l’art contemporain belge est sonnée sans interruption, à grand coup de noms que l’on s’échange entre branchés, informés, esthètes et poseurs. Deux mondes se croisent alors : ceux qui s’agitent et ceux qui font. Derrière les conventions et apparences, derrière les pâmoisons et la spéculation, des gens honnêtes travaillent sans relâche, dans leurs ateliers, à faire vivre et trembler les sensibilités. C’est le cas de ces trois êtres intègres et inspirés.
Veerle Beckers, l’intègre
Ici, pas d’action. Ni de réaction. Tout est instantané de regards posés sur des éléments figés. Pas de gens, pas de récit, pas de distraction. Mais une forme de précision qui touche à l’évidence dans son apparente simplicité. Veerle Beckers, artiste belge née en 1976, sait. Elle sait la matière, le reflet, la déformation causée par la lumière ou la tension sur un élément apparemment inerte. En apparence seulement, car sous sa main rien ne se fige, tout volète. À l’exact opposé des natures mortes dont le nom évoque bien la sensation qu’elles provoquent, elle capture l’éphémère en s’en rapprochant jusqu’à l’intimité. Cette chose, là, posée, représentée, est à présent immortelle, pérenne, inscrite. Ici, pas non plus de représentation photographique – même si sa maîtrise technique et ses formations en peinture et en restauration de peintures lui permettraient de travailler l’hyperréalisme – mais un retour à la forme, à sa compréhension, à sa définition collective, à sa finition objective. Entre abstraction et représentation, le langage de Veerle est magique. Touchant, généreux, complexe, mais évident, subtil, mais flagrant. Délicat, aussi, tant son honnêteté transparait.
" Joli ", "Harlem", "Capri", "Lundi". Lorsqu’elle nomme ses œuvres des prénoms, moments ou lieux qui la touchent, ce sont autant de souvenirs qu’elle capture. Une maison de papier, des gants, des cubes empilés, un kimono à pois, un arbre : toute la vie y est. Dans son atelier couvert d’images, de dessins, d’extraits d’œuvres et autoportraits de maîtres de la peinture et de la photographie, citations, aphorismes… Fragments qui composent son univers riche, suspendu, agité, son dialogue intérieur. C’est tout cela qu’elle lie lorsqu’elle tend elle-même ses toiles de lin sur cadre, lorsqu’elle mélange les pigments, lorsqu’elle renoue – dans cette préparation-là – avec la noblesse d’un certain artisanat. Sincérité, justesse et vérité, voilà comment tout résumer.
Veerle Beckers est représentée par la Kristof De Clercq Gallery.
Nel Aerts, la vraie
Plus qu’une observation : une prise de position sans discours, revendication, ni agressivité. Si Nel Aerts (aka NA), née en 1987 à Anvers, inscrit l’opposition dans ses créations, c’est avec autant de force que de subtilité. Dessins, peintures, collages, œuvres textiles, performances et installations sculpturales portent la marque de son interrogation profonde à propos de la place de l’art dans le monde. Avec intelligence, subtilité et poésie, elle lie les références de l’histoire de l’art à la part fictionnelle qui se développe dans les têtes, les cœurs et les yeux de celles·eux, d’elles·eux. Oniriques, optimistes, désespérées, échappées, ses représentations sont teintées d’une foi absolue en la vérité de ses émotions. Chez Nel Aerts, on rit, on pleure, on voyage, on a peur, on se cache et on vit, ici, aujourd’hui. On conjugue réalité et illusion, on ne craint pas de prendre sur soi. On se secoue, même, parfois, tantôt en prenant de la distance et en observant, tantôt en crevant le décor pour aller s’y rouler, histoire de faire le plein de vérité.
"The 100% Exposure Buggy" (chariot de golf retravaillé avec du ruban adhésif en toile, à la fois objet d’art et moyen de transport), l’œuvre collaborative de Nel Aerts et Gert Verhoeven était visible dans le cadre de la 7e édition de la triennale Beaufort 2021, jusqu’au 7 novembre 2021 le long de la côte belge.
Pour en découvrir plus : "Swallow Maelstrom Hut Heads", l’ouvrage publié à l’occasion de l’exposition du même nom à la PLUS-ONE Gallery, Anvers.
Bus Tomasi, l’effacé
De lui on ne sait rien, sinon qu’il peint. Imperméable aux mondanités, farouchement déterminé à préserver son identité, Bus Tomasi est un artiste entier. Une discrétion en lien avec un statement artistique profond : "Je n’ai pas à être au centre de l’attention. Je connais l’impact de l’image et la mienne m’appartient. Je ne suis pas le sujet, je suis l’objet." Dans son œuvre, visages, figures, yeux et voyages immobiles dansent autour de feux sacrés. Un univers empli de symboles, de festons, d’explosions parfois guidées par des inscriptions. Des mots qui ancrent et encrent son travail dans un temps donné, révélant le fil conducteur de ses obsessions, ses expériences, sa déraison. Dans son travail, des couches de lecture à explorer, une fascinante complexité. Chez lui, pas de volonté de transmission d’une vision de l’époque. Son monde, intemporel, lui appartient. Son monde, c’est le sien et il ne prétend pas traduire celui qui l’entoure. Il se retourne vers son intériorité, regardant depuis le dedans pour trier, exalter, puis apaiser ses visions. Pas de prétendue universalité, simplement des histoires. S’il masque certains éléments de ses toiles à coup de peinture opaque, c’est pour cacher l’insupportable et lutter à sa façon contre la surexposition.
Instagram : @bus_tomasi