"Spencer" : pourquoi il faut absolument voir le biopic sur Lady Di avec Kristen Stewart
Sept ans après son Jackie, où il filmait sobrement et avec tact une formidable Natalie Portman en Jackie Kennedy rongée par le chagrin du deuil, Pablo Larraín s’intéresse à une autre figure féminine tragique du XX° siècle, Diana Spencer.
À Sandringham House, en décembre 1991, la famille royale britannique passe les fêtes de Noël - et attend Diana, perdue sur une route pourtant empruntée mille fois, "Where the fuck am I ?" se demande-t-elle. Egarée, donc, dans un paysage glacé - et un mariage guère plus chaleureux. Kristen Stewart en Lady Di spectrale, accablée par des charges symboliques génialement incarnées par le personnage du Major Gregory (Timothy Spall), dont la présence magnétique semble l’accompagner comme une ombre aux intentions malveillantes (on pense beaucoup au personnage de la gouvernante de Rebecca d’Alfred Hitchcock), est exceptionnelle. Son interprétation, loin de l’imitation, ne cherchant jamais une véracité impossible à reproduire, emmène le film du côté de la fable fantastique. Seuls échos tangibles de l’histoire de son personnage, la gaucherie de la Princesse de Galles, inévitable tant nulle part elle n’était à sa place ou conforme à ce qu’on attendait d’elle, d’où une certaine coquetterie affectée, que Stewart restitue avec une finesse bouleversante.
Le manoir de Sandrigham évoque, lui, furieusement, l’hôtel de Shining, Larraín le filme à la manière de Kubrick (toutes proportions gardées, précisons), comme un labyrinthe mental dont il est impossible de ressortir indemne. Entouré, étouffé même par une brume glacée, baigné d’une lumière sublime, anxiogène, laiteuse et dense, il prend l’allure d’une maison hantée par des vivants-ectoplasmes. La somptueuse musique composée par Jonny Greenwood (le guitariste de Radiohead, qui signant aussi récemment les bandes originales de The Power of the Dog ou Liquorice Pizza, impose un style impressionnant) participe pleinement de cette atmosphère malaisante, toxique.
Cernée par les obligations rituelles, harcelée par les services du protocole, Diana n’existe que par procuration, et seuls les rares moments avec ses enfants échappent brièvement aux conventions. Le film surligne l’absurdité de ce mécanisme, la supercherie qui permet le bon fonctionnement d’un système qui ne tolère aucune contestation - serait-elle aussi superficielle que le choix d’une robe au détriment de celle qui était prévue. Dans ce théâtre d’ombres en costumes royaux, c’est moins l’hypocrisie qui alimente le moteur d’un deus ex-machina qui ne sauvera personne, qu’un instinct de survie primitif, impitoyable, vorace et prédateur. Moins frontalement brutal, mais plus insidieusement cruel pour la monarchie que la dernière saison de The Crown, Spencer a des accents opératiques - première scène du dernier acte d’une histoire rongée par un poison lent et qui ne pouvait que s’achever dans la tragédie.
Un film de Pablo Larraín. Avec Kristen Stewart, Sally Hawkins, Timothy Spall, Sean Harris et Jack Farthing. Dans les salles belges depuis le 15 décembre 2021.