“Prise Au Jeu” : un regard critique et engagé sur la rom-com Netflix avec Gina Rodriguez
“Prise Au Jeu” sur Netflix, ou la comédie romantique qui mêle fantaisie et romance à la réalité des Millenials. Drôle. Exquise. Politique. Inlassable.
Alerte spoilers.
Chaque année à cette même période, c’est la même pointe d’amertume et d’aversion qui se manifeste en moi lorsque je scroll mon feed Facebook et Instagram. C’est la Saint-Valentin, tout le monde semble vouloir déclarer son amour en public et soudainement, c’est toute l’esthétique de la toile qui change pour ne plus afficher que des tonnes de clichés immortalisant de magnifiques bouquets de roses, des repas étoilés, des demandes en fiançailles, ou encore les cadres idylliques dans lesquels une nuit torride se prépare. Sauf que ces clichés, ce sont souvent les autres femmes qui les partagent. Rarement (pour ne pas dire jamais) moi. Et cette année encore, je ne déroge pas à la règle de cette soirée de mi-février qui se ressent désormais comme une tradition : seule avec moi-même, allongée devant la dernière rom-com sortie sur Netflix (cette année, Prise Au Jeu), avec pour fidèles compagnons mon plaid et… mon chat.
Un parfait tableau de la Millennial Woman, direz-vous : celle qui, selon ce que montrent ses réseaux sociaux, n’a aucun mal à accomplir ses ambitions et objectifs pro/perso. Mais qui, en parallèle, entame en secret sa onzième année de célibat à force de ne courir qu’après des situationships désastreuses. Qui collectionne les discussions superficielles sur Tinder, les dates sans suite et qui s’est, pour couronner le tout, récemment entichée de la mauvaise personne.
De façade, l’homme qui m’a piquée semblait tout avoir de l’adulte accompli que les femmes comme moi, à l’aube de la trentaine, en soif d’affection sincère, idéalisent et avec qui elles rêvent de pouvoir partager le restant de leur vie. Spoiler alert : j’ai dû finir par prendre mes jambes à mon cou et me sauver. Exactement comme Mackenzie, la protagoniste de Prise Au Jeu (interprétée par l’actrice primée aux Golden Globes, Gina Rodriguez), a dû se sauver de sa relation avec Nick (interprété par la star de la série à succès Lucifer, Tom Ellis), elle aussi. M’inspirant avec surprise la force nécessaire pour mettre un terme à ma propre situation sentimentale floue et abjecte.
“Prise Au Jeu” : le synopsis
Au visionnage de sa bande annonce, Prise Au Jeu a tout de la comédie romantique traditionnelle et moderne. Transportés dans les rues et quartiers de la Grosse Pomme, les spectateurs suivent les folles aventures de Mackenzie, une journaliste sportive au train de vie trépidant, de son meilleur ami Adam (interprété par la star de la série New Girl, Damon Wayans Jr.) ainsi que du reste de leur bande d’amis au cœur de la dating scene new-yorkaise.
Prêts à tout et sans limite pour une fun partie de jambe en l’air sans attache avec les différentes cibles qu’ils repèrent dans des endroits publics, la bande d’amis se prête alors à un jeu de mise en scène pour séduire, n’hésitant pas à inventer de toutes pièces les stratagèmes les plus osés afin de se donner toutes les chances de passer à l’acte. Sans conteste une technique gagnante… jusqu’au jour où Mack s’éprend de sa dernière target : Nick Russel, le reporter de guerre quarantenaire aux allures de gentleman : grand, protecteur, sportif, indisponible (sauf exception), à la mâchoire carrée, à la barbe grisonnante et dont le charme reflète une certaine pudeur, une finesse intellectuelle, un sens du raffinement. Soit l’incarnation archétypale du mâle mature.
Malgré cette image d’idéal masculin que représente Nick pour la gente féminine (je m’engage à l’affirmer au nom de toutes), Adam refuse de croire qu’il est le perfect match pour sa meilleure amie. Selon lui, Nick et Mack n’ont aucun point commun. Et il ne se prive pas de le faire savoir, s’opposant presque à leur relation. Le genre de rebondissement qui donne lieu à une chute prévisible et absolument typique des comédies romantiques les plus iconiques : le fameux scénario “from friends to lovers”.
On ne peut dès lors pas dire que les réalisatrices Trish Sie et Whit Anderson nous offrent quoi que ce soit d’innovant avec ce genre de production. On reste sur une formule classique réconfortante, optimiste. En revanche, là où Prise Au Jeu se démarque, c’est dans l’art avec lequel Sie et Anderson parviennent, tantôt avec subtilité, tantôt avec humour et légèreté, à mêler au sujet complexe de l’amour plusieurs phénomènes sociaux qui méritent d’être mis en lumière.
Une représentation de la hookup culture au service de la déstigmatisation de la femme
Lorsqu’il s’agit de comédie romantique, on s’attend toujours à se retrouver face à une représentation illusoire de l’amour, à l’image du fameux “et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”. Mais si Mack a en effet droit à sa fin heureuse et super cheesy, durant les deux premiers actes du film, la protagoniste casse à plusieurs reprises les codes du monde utopique habituellement représenté dans ces comédies pour nous plonger dans une reproduction pour le moins réaliste de la société à laquelle les Millenials sont confrontés.
C’est d’abord en plein cœur de la hookup culture qu’elle et sa bande d’amis nous plongent. Soit dans une jungle au sein de laquelle nous, Millenials, tentons en vain de nous trouver ou nous redécouvrir. Où le sexe semble être le seul moyen envisageable pour donner ou recevoir l’affection que notre corps et esprit ne cessent de réclamer, sans pour autant mettre notre liberté et paix intérieure en danger. Notre réalité nous pousse à ne pas avoir de temps pour les sentiments bien qu’au fond, la plupart d’entre nous rêve de vivre ce grand amour.
Quant à prendre du plaisir sexuel sans contrainte, le personnage féminin de Mack se voit placé à l’égal de l’homme, révélant sans tabou les pratiques actuelles d’un bon nombre de femmes, brisant alors un stéréotype de genre dont ces dernières ont été et sont encore trop souvent victimes aujourd’hui. De fait, dans Prise Au Jeu, on ne perçoit aucun jugement ni aucune stigmatisation à l’encontre de Mack et du style de vie qu’elle a choisi de mener. Au contraire, la dimension sportive/de jeu de compétition donnée au film rend ses tactiques de drague exaltantes, poussant autant ses amis que le public à prendre le rôle de cheerleaders et à l’encourager dans ses tentatives.
D’autant plus revigorant, le fait que Mack choisisse ses cibles telle une femme indépendante répondant à ses instincts. Elle ne cherche pas à être sauvée par le prince charmant car elle incarne déjà elle-même la force, la résilience, et l’autosuffisance. En revanche, la nostalgie soudaine qu’elle éprouve pour un amour et un engagement à l’image de celui que ses parents ont eu le bonheur de partager vient secouer les choses et semble faire remonter un sentiment plus intense à la surface.
Et si tous ces jeux de rôles, toute cette mascarade à laquelle Mack et sa bande d’amis se prêtent avec amusement n’étaient en fait qu’une couverture pour enfouir un sentiment plus profond ?
Amour et séduction à l’épreuve du sentiment d’illégitimité
Entre fantaisie et manipulation, la frontière est mince. C’est ce que Mack nous prouve lorsqu’elle contourne les règles de ces ruses qu’elle et ses amis adorent tant et se met à en faire usage dans le but d’entamer une vraie relation avec Nick. La femme à l’imagination débordante qui nous est présentée dès les premières minutes du film, dont on peut qualifier les intentions d’innocentes et ne tournant qu’autour du plaisir, se transforme alors en professionnelle de la chasse aux comportements de plus en plus… manipulateurs. S’en suit alors une traque à la hauteur des meilleurs agents du FBI (ou pas finalement… après tout, quand nos vies entières sont exposées sur le web, rien n’est difficile à trouver) afin de tout découvrir sur Nick et être en mesure de mieux l’apprivoiser. La bande d’amis veut tout savoir avant de passer à l’offensive : qui il est, qui il aime, ce qu’il fait, quand et comment il le fait.
À la déception d’Adam, l’obsession de vouloir à tout prix plaire à Nick rend Mackenzie méconnaissable. Ses efforts pour forcer le destin et atteindre, en dépit de tout, son objectif de conclure pour du long terme nous permet de déceler chez la protagoniste une lutte intérieure contre le sentiment d’illégitimité. Comme si l’assurance qu’on lui connaissait s’était soudainement envolée et qu’elle ne se sentait pas digne du “bachelor le plus convoité de New York”. Et si j’aurais honnêtement aimé pouvoir détester et blâmer Nick d’avoir touché notre héroïne dans son estime d’elle-même, ce serait mentir de dire que cette écorce dans son for intérieur, Mackenzie n’en est pas l’unique responsable.
Je sais d’expérience qu’en tant que femmes, on commet souvent l’erreur de se laisser éprendre d’un potentiel. Pour une l’image idéalisée, romantisée, voire parfois même imaginée de toute pièce, d’une personne à qui l’on souhaiterait jurer fidélité. J’en suis la première coupable. On avance dans cette relation en s’attachant à une réalité qui n’existe pas, que l’on espère voir se révéler un jour. Et qui ne manque jamais de nous heurter en plein cœur lorsqu’elle ne se manifeste jamais. Puis, on se questionne, les yeux remplis de larmes, sur ce que l’on a bien pu rater ou faire de mal. Mais on se demande rarement si les efforts ou les intentions sont réciproques. Si on vibre réellement sur la même fréquence que cette personne. Si elle est en fait bien l’élue pour nous…
Au début de cette critique, je confiais être parvenue à m’éloigner de ma dernière situationship grâce à la force que m’a inspirée Mackenzie lorsqu’elle a finalement vu sa relation avec Nick pour ce qu’elle était réellement. Une femme qui connait tout d’un homme qui lui, ne sait rien d’elle. Parce qu’elle a décidé à tort d’effacer sa vraie identité pour la réécrire à l’image d’une femme qu’elle n’est pas. Dans le seul but de se sentir légitimement aimée et désirée. A l’origine de ce déclic, on trouve le wake-up call de ce cher et tendre Adam pour qui lucidité et authenticité font partie de ses qualités infléchissables. Et que je me dois de remercier à mon tour pour la prise de conscience que son discours est parvenu à provoquer chez moi.
Adam, c’est cet homme attentionné, dévoué, qui connait sa meilleure amie mieux que personne. Il l’affectionne d’un amour honnête et sincère, et n’hésite pas à la mettre face à ses travers pour son bien. Evidemment, son charisme n’égale pas celui de Nick Russel. Au contraire, il est plutôt l’incarnation de l’adulte qui a conservé son âme d’adolescent, tentant de ne pas prendre la vie trop au sérieux et portant des chemises froissées. Mais ne serait-ce justement pas auprès d’une compagnie comme la sienne qu’une femme libre, créative et aimante comme Mackenzie, ou comme vous qui lisez cette critique, serait plus sûre de trouver l’harmonie qu’elle recherche ?
En ce qui me concerne, j’ai la chance d’avoir un Adam à mes côtés, et je dois avouer que la vie semble avoir davantage de belles choses à offrir lorsque l’on passe du temps ensemble.
Un sentiment d’illégitimité qui touche aussi le paysage journalistique
Prise Au Jeu aborde une autre thématique sociologique importante à laquelle vient se rattacher le sentiment d’illégitimité dont souffre Mackenzie. Ce ressenti n’est pas uniquement lié à son identité personnelle. C’est également de son identité professionnelle dont il est question : son rôle de journaliste sportive ; des conditions précaires auxquelles elle, mais également beaucoup d’autres journalistes en dehors de la fiction, doivent constamment s’adapter ; sans oublier le mépris que nous essuyons constamment de la part de nos pairs ainsi que de la part de certaines catégories de lecteurs qui considèrent la presse liée au divertissement comme du journalisme de seconde zone. De piètre qualité.
C’est peu souvent que le public a l’occasion de faire face à une représentation davantage réaliste de ce type de presse au cinéma. Car non, notre réalité n’est pas aussi glamour ni étincelante qu’Hollywood a l’habitude de le laisser paraître. Et non, la diversité et l’inclusion au sein des salles de rédaction n’est pas aussi présente ni équitable (que ce soit en termes de genre, d’ethnie ou de race) que lorsque Gina Rodriguez, Damon Wayans Jr. et Liza Koshy se rassemblent pour interpréter leur rôle.
C’est alors avec beaucoup de respect que je salue le discours ainsi que le parti pris des réalisatrices Sie et Anderson à travers cette réalisation Netflix au regard de l’industrie du journalisme. Prêtant moi-même ma plume à des titres de presse féminine, je revendique fièrement ma passion pour ma profession et l’impact qu’ont mes sujets de prédilection (comme la culture, la psychologie et le bien-être féminin) sur la société. Je vous l’accorde, ces sujets sont frivoles et bien moins importants que les news liées à l’économie ou à la guerre. Mais leur capacité d’empouvoirement du lectorat reste à ne pas sous-estimer. En aucun cas. Jamais.
L’interview exclusive de L’OFFICIEL Belgique avec Gina Rodriguez et Damon Wayans Jr.
Prise Au Jeu, disponible sur Netflix depuis le 14 février 2024.