Maastricht : pourquoi cette ville est devenue un passage obligé pour les amateurs d'art ?
Quel est le point commun entre André Rieu, D’Artagnan, Max Verstappen et la reine Beatrix de la Maison d’Orange-Nassau ? Réponse : Maastricht, où leurs chemins ont convergé à différents moments avec, à la clé, un supplément d’éclat pour la ville frontalière.
En résumé, Maastricht a vu naître le premier et s’éteindre le deuxième d’une balle de mousquet dans la gorge, mais la ville a aussi été choisie par le troisième pour célébrer dans l’allégresse son nouveau statut de champion du monde de Formule 1 et par la quatrième pour la signature du Traité fondateur de l’Union européenne. Quatre icônes et quatre univers totalement différents qui, d’une manière ou d’une autre, se rejoignent dans cette petite ville des Pays-Bas hors du commun, située à quelques pas de la frontière belge. Sans être une destination classique, Maastricht mériterait à tout le moins d’être qualifiée de "pas tout à fait comme les autres". Ses rues pavées pittoresques et ses bâtiments imposants respirent avant tout l’histoire. À juste titre car cette ville, qui figure parmi les plus anciennes des Pays-Bas, joue un rôle politique de carrefour culturel européen depuis l’époque romaine. Une recherche rapide révèle l’existence non pas d’un, mais de quatre traités de Maastricht visant à réguler les mouvements sociopolitiques qui ont agité la scène européenne entre le XIVe et le XXe siècle. Les amateurs de vieilles pierres et d’anecdotes glorieuses peuvent s’en donner à cœur joie des jours durant en explorant les (vestiges des) palais, cryptes, monastères, salles du trésor, églises et autres remparts. Saint Servais, le saint patron vénéré de la ville et tout premier évêque du pays, se prétendait cousin du Christ lui-même. Les sceptiques en trouvent la preuve, noir sur blanc, dans la salle du trésor de la basilique Saint-Servais, où il est représenté dans sa prime jeunesse aux côtés de l’enfant Jésus. À deux pas du centre historique, le quartier du Sphinx attire un public intéressé par une période plus moderne de l’histoire. Long de 120 m, le Sphinx Passage retrace le passé industriel de Maastricht, à coups de carreaux de céramique peuplés de tasses à thé - on est bien aux Pays-Bas - et autres cuvettes de toilette en porcelaine richement décorée. Ici, l’industrie de la céramique a provoqué à la fois un boom économique et des révolutions sociales au début du XIXe siècle. Aujourd’hui, les anciens entrepôts et ateliers abritent des initiatives artistiques comme le temple de la musique pop De Muziekgieterij, le cinéma indépendant Lumière et le Bureau Europa, une plateforme axée sur l’architecture, l’urbanisme et le design. L’ancien bâtiment Eiffel, qui a été le cœur de l’usine de la famille Sphinx jusque dans les années 1940, accueille aujourd’hui des étudiants, des nomades numériques et des voyageurs branchés sous le nom de The Social Hub. Dans cet ancien quartier industriel où l’art et la créativité se côtoient, on déguste aussi des salades healthy et des matcha latte. Inutile d’en dire plus pour imaginer l’ambiance qui y règne.
ART
On peut dire que l’art et Maastricht ne font qu’un, tant la ville regorge de galeries et de musées. Véritable repère visuel, le Bonnefanten est sans doute celui qui se démarque le plus en raison de sa tour en forme de coupole entièrement recouverte de zinc, conçue dans les années 1990 par la légende italienne Aldo Rossi. Ce musée abrite une collection impressionnante, principalement d’art visuel, émanant d’artistes connus et moins connus. On peut y admirer des gravures sur bois du Moyen-Âge tout comme la dernière œuvre de David Lynch. Jusqu’au 12 mai, le Bonnefanten accueille une exposition touchante consacrée à l’artiste américano-japonais Shinkichi Tajiri et mise sur pied par ses propres petits-enfants. En plus de ses créations, elle présente des archives familiales, des anecdotes et des œuvres d’amis et de sources d’inspiration, comme Isamu Noguchi, Karel Appel, Constant, Lucebert et Julio González. Moins connu, le Centre de la culture contemporaine Marres est peut-être encore plus attachant. Ce bâtiment majestueux, qui fut autrefois la demeure de la riche famille de brasseurs Marres, met l’accent sur une expérience sensorielle globale. Les expositions, conférences et spectacles y sont concoctés main dans la main avec des artistes, mais aussi des chefs, des parfumeurs, des scientifiques et des musiciens. Il n’est pas rare d’y voir des installations imposantes envahir les pièces, les couloirs et les escaliers. Dans le passé, Marres a ainsi pris des allures entre autres de palais baroque, de jungle dense et de salle de concert. Du 7 mars au 26 mai, l’artiste péruvien Arturo Kameya a transformé l’édifice en un hôtel occupé par "les fantômes de l’État défaillant du Pérou". Entre salle de bains carrelée faisant office de restaurant, fontaine à bière aux multiples bras et grande chambre envahie de poissons flottants à l’étage pour symboliser un monde imaginaire où la vérité n’existe plus. Inutile de préciser que l’effet de surprise était au rendez-vous !
Pour se remettre de ses émotions, un verre à la main, direction Marres Kitchen et son charmant jardin d’herbes aromatiques, le plus grand de la ville et aussi un parc public, pour déguster la cuisine méditerranéenne la plus savoureuse. La gastronomie est une valeur sûre à Maastricht, qui met tout en œuvre pour se débarrasser des clichés du style bitterballen et hareng salé. Au Safar, la chef libanaise enchante les papilles avec les bons petits plats de son pays. Le restaurant, ainsi que le spa Sanctum et les chambres d’hôtes design de la Maison Haas Hustinx ont été aménagés dans un manoir des années 1920 magnifiquement restauré. La propriété donne directement sur la place historique Vrijthof, où André Rieu se produit chaque été en concert et où les habitants se pressent sur les innombrables terrasses dominées par la Basilique Saint-Servais. Là encore, il y en a pour tous les goûts. Mention spéciale pour Au Coin des Bons Enfants, un ancien pub folklorique promu restaurant étoilé au Michelin. On y sirote des grands crus dans un patio ensoleillé l’été et au coin d’une cheminée crépitante l’hiver.
TEFAF
À Maastricht, la réservation est obligatoire, surtout en mars quand la TEFAF y prend traditionnellement ses quartiers. L’édition 2024 de cette foire d’art, d’antiquités et de design considérée comme l’une des plus grandes au monde s’est tenue du 9 au 14 mars. Elle rassemble chaque année, sous un même toit, plus de 7 000 ans d’histoire de l’art, entre cuillères de l’Antiquité et installation robotisée en fonte sortie tout droit de l’imagination d’un génie quelques jours plus tôt. Forte de plus de 260 marchands d’art prestigieux venus de 22 pays, la TEFAF de Maastricht offre une vitrine aux plus belles œuvres d’art présentes sur le marché. Outre des tableaux de maîtres anciens et des antiquités, classiques et autres, on y trouve aussi de l’art moderne et contemporain, des photos, des bijoux, des pièces de design du XXe siècle et des œuvres sur papier. La TEFAF est unique et plébiscitée pour la richesse des interactions qu’elle favorise et qui dépassent de loin les murs du Centre de convention MECC, son point d’ancrage officiel. Les marchands d’art, les experts et les collectionneurs plongent sur la ville pour se rencontrer autour de bonnes tables ou flâner dans les rues pavées avec l’intention de percer le secret de chaque œuvre. Car la TEFAF a ceci de particulier qu’on y vient pour admirer des œuvres, mais aussi pour les déchiffrer et les comprendre. En mettant l’accent sur l’histoire et l’origine de chaque objet, les marchands d’art immergent les visiteurs dans un monde féerique truffé d’histoires fantastiques. Un lunch au Safar, par exemple, nous a fourni l’occasion d’approfondir nos connaissances sur un Picasso oublié. Et une rencontre au coin de la librairie des Dominicains, peut-être la plus belle au monde, a débouché sur une discussion avec un expert en objets dits de Chine de commande, un chapitre amusant de la saga de l’art du XVIIIe siècle, où l’Orient s’est soudainement lancé avec un succès retentissant dans la fabrication de fausses antiquités destinées à l’exportation. On comprend mieux pourquoi une famille sur deux aux Pays-Bas possède des objets en porcelaine d’une ressemblance suspecte...
Maastricht, c’est aussi une ville qui s’agrippe comme une pieuvre avide à la campagne environnante et la maintient sous son emprise. La montagne des Jésuites, un magnifique exemple d’absurdité, vaut vraiment le détour. Entre 1880 et 1967, cette ancienne carrière de marne, située juste à l’extérieur de la ville, a été utilisée comme atelier (ré)créatif par les pères jésuites d’une abbaye voisine. Durant leur seul jour de repos hebdomadaire, ils y ont réalisé d’innombrables dessins, peintures et sculptures, qui témoignent de leur sens de l’humour et de leur connaissance du monde. Des hiéroglyphes égyptiens aux princesses Disney, en passant par les imitations de cathédrales et les blagues salaces : ces œuvres qui n’ont jamais été destinées au grand public forment un ensemble très hétéroclite. La visite de ce musée souterrain, classé monument national en 1996, donne l’impression de parcourir un gigantesque album de droodles, où se mélangent dessins et gribouillages : ça manque parfois de précision et de talent, mais c’est précisément ce qui confère à l’expérience son caractère authentique. Ce lieu présente aussi un côté un peu glauque, car des générations entières d’habitants ont grandi avec la peur d’y être enfermés s’ils n’étaient pas sages… Un sort que de nombreux tableaux hollandais très précieux comme la Ronde de Nuit de Rembrandt ont d’ailleurs connu pendant la Seconde Guerre mondiale pour échapper aux prédateurs nazis. Et parce que toute bonne histoire s’achève par un bon dessert, de préférence après un plat et une entrée tout aussi délicieux, impossible de faire l’impasse sur le château de Neercanne tout proche. Un domaine dont on trouve des traces dès la période romaine, comme en témoignent les anciennes tombes dans l’arrière-cour, et qui a vu passer plus d’un champ de bataille historique, à voir les boulets de canon qui remontent de temps à autre à la surface de l’étang. Aujourd’hui, un restaurant étoilé, un bistrot primé et une magnifique cave à vin se déploient à l’intérieur et autour du château baroque. C’est le cadre choisi par Max Verstappen pour fêter sa victoire en Formule 1 en 2021 et par la reine Beatrix pour inviter les chefs d’État européens à signer l’ultime Traité de Maastricht en 1992. En mars de l’année dernière, le château s’est enrichi de sept suites de luxe uniques où s’endormir la tête pleine d’histoires après une journée bien remplie dans la bouillonnante Maastricht. Pour des nuits peuplées de rêves savoureux, absurdes et toujours surprenants, des rêves pas tout à fait comme les autres, ce qui n’étonnera personne…