Qui sont Ellen et Marie Martens, duo à la tête du jeune label belge Rosie Antwerp ?
Depuis leur appartement rose poudré d'Anvers, elles ont lancé un label qui propose une ribambelle d'imprimés captivants et de silhouettes ludiques. Marie et Ellen ont respectivement 27 et 22 ans. L'une n'aime pas les chiffres et crée de la magie avec un pinceau et de l'encre, tandis que l'autre ne jure que par les tableaux Excel et est, de son propre aveu, incapable de dessiner un cœur. Le yin et le yang, le noir et le blanc : une discussion avec les deux sœurs s’apparente à une partie de ping-pong, où compliments et commentaires désabusés fusent à une vitesse vertigineuse.
En tant que spectateur, on se contente d'apprécier la partie, dont le coup d’envoi doit être replacé dans le contexte d'une année Covid. Marie, qui a obtenu son diplôme avec mention à l'Académie d'Anvers en 2020, ne se voyait pas lancer sa propre marque immédiatement et a préféré commencer par faire un stage chez Dries Van Noten. L'atmosphère créative qui y régnait lui a redonné la foi – et le courage – nécessaires pour se lancer tout de même à son compte. "Swans, ma collection de fin d'études, avait remporté un prix de la presse, mais j'étais la seule étudiante de dernière année à sortir une collection féminine et l'une des seules Belges." Ellen : "C'était une collection très forte, tes origines n’ont rien à voir là-dedans ! Je suis partiale, mais tes créations étaient vraiment les plus belles." Marie éclate de rire : "Merci Ellen, c'est super gentil." Celles·eux qui s'aventurent dans la mode à notre époque n'ont ni formule magique ni conseils miracles. Tout le monde s'accorde à dire que "ça" doit être différent, mais les nouveaux-venus doivent développer leur propre vision pour y parvenir. Marie : "Nous ne voulons pas être une entreprise de mode classique, figée dans ses certitudes ; nous avons encore le luxe de pouvoir déterminer la direction que nous voulons emprunter. Nous n'allons pas nous lancer à un rythme effréné avec des productions gigantesques et des délais serrés. Nous démarrons à petite échelle, avec notre propre boutique en ligne et deux collections par an. Celles·eux qui se lancent doivent tracer leur propre voie, sans chercher à ressembler à ce qui existe déjà." Ellen : "La personnalité est essentielle, même quand on est à la tête d'une grosse entreprise ; le client doit pouvoir reconnaître une marque dans ce qu’elle vend. Certaines maisons de mode établies deviennent de pâles imitations d'elles-mêmes au bout d'un moment, elles semblent avoir perdu leur âme. Jacquemus est un exemple à suivre à cet égard. Il a une vision très forte et innovante, on sent l'homme derrière la marque. À travers son travail, il crée un style de vie : le nom de Jacquemus évoque une mer scintillante, des champs de lavande, des céréales... Instagram est un excellent outil pour véhiculer ces images. Quand je pense à la marque, je ne l’associe pas nécessairement aux vêtements, ce qui est une bonne chose ! C'est ce qui manque, selon nous, à certains grands labels : le client s'estime chanceux de pouvoir acheter une pièce de la marque, mais la magie s'arrête là ; il pénètre dans un monde vide." Vide, un mot qui ne colle pas du tout à l’univers des deux sœurs. Leur appartement déborde de vie, tant par son aménagement haut en couleur que par la présence d'une sympathique bande de compagnons à quatre pattes. Adoptés dans un refuge, ils semblent avoir leur mot à dire sur l'identité de Rosie Antwerp.
Chiens, chats et lapins gambadent joyeusement parmi les dessins de Marie, éléments essentiels de la marque. Ses croquis sont imprimés ou brodés directement sur les vêtements, ce qui donne parfois l'impression de porter une peinture. "Le dessin est le moyen le plus simple de créer son propre monde. Je pars d'un personnage et avant même que je ne m’en rende compte, une histoire est née. Je réalise des croquis numériques et je peins sur toile ; nous caressons d’ailleurs l'idée de vendre mes peintures sous forme de tirages limités." Rosie Antwerp, un clin d'œil à la petite sœur du duo, propose, en plus d'une ligne unisexe, deux collections par an, dont la première édition compte neuf modèles en quatre tailles. "Il n'en faut pas plus", explique Ellen. "Marie est du genre more is more, alors que j'ai tendance à privilégier le minimalisme et limiter le budget. C'est fondamental pour moi de proposer un luxe abordable : des pièces uniques mais faciles à porter, pour les femmes de tous âges, de 16 à 60 ans. Cette inclusivité est une priorité, ma sœur ne conçoit pas ses créations en fonction d'un seul type de femme. Sur la boutique en ligne, vous pouvez encoder vos mensurations et un modèle correspondant à votre silhouette vous sera proposé. Tout le monde doit se sentir le bienvenu. Les collections permanentes comprennent des pièces fortes, tandis que la ligne unisexe est davantage axée sur des basiques, tout en proposant à intervalles réguliers des éditions limitées et des collaborations créatives. La marque représente notre petit monde, coloré et chaotique, où se côtoient amis, créateurs et animaux." Après une longue liste de celles·eux qui ont inspiré les créations de Rosie Antwerp, l'interview touche à sa fin. Marie : "J'ai l'impression que nous avons beaucoup parlé, je ne sais même pas à quelles questions j'ai répondu." Ellen : "Je pense qu’on a tout dit." Et elles semblent vraiment à bout de souffle.