Romain Bichot : une ascension en vêtements narratifs et dramatiques
Sa collection baptisée d’un prophétique "Call me if you get lost" a placé Romain Bichot sur le chemin du succès, en remportant deux prix lors du prestigieux Festival d’Hyères. Portrait de celui qui écrit son histoire en vêtements narratifs et dramatiques.
Diplômé de La Cambre Mode[s] en 2022, le Bruxellois avait déjà été repéré par les équipes de Balenciaga pendant ses études, ce qui est généralement précurseur d’une carrière prometteuse. Recruté "au cul du catwalk" à peine la dernière mannequin rentrée dans les coulisses, il a débuté comme assistant designer à la Couture femme, avant d’être promu cette année designer junior prêt-à-porter, "volant sur différents postes en couture", précise-t-il. Lui qui aime scénariser ses collections est arrivé à la mode par le théâtre : "C’est le costume, objet métaphysique qui permet de devenir quelqu'un d'autre, qui m'a mené au vêtement."
Habiller le rôle
"Dans mon travail, je développe toujours une réflexion autour d'un personnage et la manière dont il réagit avec un univers. J’ai créé cette collection en m’inspirant de ce qu’on ressent lorsqu’on sort de boîte de nuit et qu’on flotte entre euphorie et intuition, qu’il faut se protéger de la peur avec ce qu'on trouve sur le trottoir. Ici, un matelas, de la rubalise ou des bâches." Il évoque un entre-deux, un entre doux, et tire le fil d’une élaboration rigoureuse, pour le coup très éveillée, de pièces spectaculaires. "Ce qui m'intéresse dans le vêtement, c'est la construction, les renforts, la façon, le travail à la main. J’ai toujours été attiré par la couture, avec une perception très personnelle du vêtement comme objet, avec une définition poussée, en testant précisément la limite entre ce vêtement et l'objet. C’est le cas par exemple de la jupe matelas, qui mêle technique du tailleur, capitonnage et assemblage, différentes disciplines elles-mêmes intégrées par strates." Cinéphage, Romain dévore des vieux films depuis l’enfance, avec une affection particulière pour l'esthétique hitchcockienne et l'image impactante de vêtements glacés, parfaits. "J’aime beaucoup les films d'espionnage et leur esthétique de contrôle et de pouvoir."
Un futur très couture
Le jeune créateur aimerait fonder un jour sa marque, mais estime plus sage dans l’immédiat de poursuivre sa carrière chez Balenciaga "pour apprendre, notamment sur la partie business et production du métier. J’ai envie d’acquérir plus de savoir et d’expérience. Mes pièces, très couture, prennent beaucoup de temps à réaliser et, de toute façon, je ne vise pas les grosses productions. Je vois arriver des jeunes créateurs qui s'alignent sur les demandes du marché avec des produits commerciaux dès qu'ils commencent à gagner en visibilité. Moi, je préfère rester dans mon secteur plus niche, je n'ai pas envie de faire des T-shirts parce que je dois vendre. Les pièces “image” m’intéressent beaucoup plus." Récompensé à Hyères du Prix 19M des Métiers d’Arts et du Prix L’Atelier des Matières de Chanel, il prépare, en collaboration avec cette grande maison, la collection qu’il présentera l'année prochaine au festival. Tout ce qu'il a reçu, l'expérience comprise, il va le réinvestir. "Call me if you get lost" était inspirée des images de la ville en chantier et puisait dans les rebuts abandonnés sur la chaussée, qui deviennent des fantasmes d’absolution urbaine. Romain porte une réflexion sur son identité créative et sa ligne blanche à lui guide la portabilité au-delà du concept. Sa balade n'est pas une errance.