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Cartier : quand la Haute Joaillerie insuffle la vie aux sagas animales mystérieuses

Un léopard des neiges s’avance vers une proie insouciante sur une banquise en déliquescence. La glace craque sous son poids et les premières fissures se dessinent avant d’exploser dans un chaos fracassant de blocs scintillants, à l’image des dizaines de diamants qui la composent ! La toute dernière collection de Haute Joaillerie de Cartier offre un théâtre à de mystérieuses sagas animales.

© Pierre Mouton
© Pierre Mouton

Personne n’échappe à la fascination exercée depuis des temps immémoriaux par le règne animal, pas même les esprits rationnels. D’aucuns se reconnaissent dans la sensualité de la panthère, d’autres se raccrochent par instinct à la sagesse de la tortue, d’autres encore convoitent la joie de vivre du flamant rose : la nature animale dans toute sa splendeur. Cartier joue sur cette nature sauvage qui sommeille en nous dans sa collection de haute joaillerie éponyme. Rien de surprenant au vu de la place du bestiaire dans son histoire prolifique. Mais cette saison, la maison de joaillerie déploie des associations étonnantes. L’architecture, en particulier, est mise à l’avant-plan : entre immeuble autour duquel s’enroule sensuellement un couple de serpents, gratte-ciel Art déco où s’achève le vol d’un scarabée énigmatique et construction en anneau alternant pierres linéaires et écailles de crocodile. Une collection bourrée d’effets en trompe-l’œil où les animaux semblent jouer à cache-cache avec l’humain. Leur présence reste perceptible jusque dans les modèles où ils sont invisibles. Et c’est précisément cette invitation à entrer dans leur monde mystérieux et leurs jeux, qui forme le fil conducteur.

Une émotion que les designers de Cartier au savoir-faire inégalable et à l’imagination débordante excellent à faire jaillir. Pas de hasard non plus dans la créativité figurant au cœur des trois jours de lancement à Vienne au début de l’année. Au programme : des performances exceptionnelles servies sur un plateau à la fine fleur de la presse mode en la présence de stars comme Elle Fanning et Sofia Coppola. Le coup d’envoi a été donné par le danseur étoile Julian MacKay dans une chorégraphie intimiste autour de la nature sauvage de l’homme. Une performance qui a fait sensation comme celles du chœur Wiener Sängerknaben, du ténor Fabio Sartori, du danseur "volant" Arthur Cadre, des valseurs viennois et enfin de l’auteure-compositrice-interprète Raye qui lui ont succédé.

Les plus beaux édifices de la capitale viennoise ont servi d’écrin, de la soirée au Kunsthistorisches Museum au splendide gala de clôture au MAK Museum en passant par la présentation au Kursalon. Des perles qui, à l’instar de la maison Cartier, conjuguent le respect du patrimoine et des traditions avec la modernité et le design. Une véritable fête des sens qui incarne les innombrables facettes de la collection Nature Sauvage. Ou comme l’exprime si bien Jacqueline Karachi-Langane, directrice de création : "C’est intemporel, élégant et discret... avec un rien de trop." Les treize designers placés sous son aile ont livré leur interprétation personnelle de la mission initiale. Elle nous parle du pouvoir de l’imagination et de la réalisation scrupuleuse des rêves.

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L’O : Le règne animal fait partie des codes immuables de Cartier, de quelle manière a-t-il été revisité dans cette collection ? Est-il encore possible de le faire ?

JACQUELINE KARACHI-LANGANE : Les animaux marquent effectivement chaque collection de leur présence, mais cette fois-ci, nous avons décidé de leur confier un rôle dans toutes les créations. Nous avons procédé comme des scénaristes et imaginé des histoires autour des interactions parfois improbables entre les animaux et les pierres. J’aime beaucoup la diversité qui ressort des créations de nos designers : les uns ont disparu dans un univers onirique et donné vie à l’énergie d’une jungle ou d’une région polaire, d’autres ont clairement misé sur la confrontation en plantant les animaux sauvages dans un décor urbain improbable. Dans les deux cas, ils ont fait appel à des techniques de camouflage et de trompe-l’œil sur le plan graphique. Au départ de chaque création : une pierre spécifique dont l’énergie se fond dans le caractère et la personnalité de chaque animal. Quand on crée des bijoux à un tel niveau, on ne peut négliger la dimension spirituelle et énergétique d’une pierre.

L’O : Comment se représenter ce processus de création ?

JK-L : Imaginez un groupe très diversifié de créateurs investis de leurs bagage, culture et univers personnels. Chacun opère sa sélection parmi une collection de pierres brutes rassemblées par mes soins avec la complicité d’une équipe d’experts. Un choix qui déjà en dit long et pour lequel ils ont toute latitude. Certains se décident tout de suite et d’autres passent par une étape de recherches. Tous entament ensuite un processus personnel d’une durée d’environ deux ans pour passer du dessin au résultat final. Durant cette période, ils sont les seuls maîtres à bord sur le plan créatif. Peu m’importe de savoir s’ils dessinent à la main ou s’aident d’une machine, s’ils commencent par sculpter un élément en 3D ou pas. Il s’agit d’un parcours personnel sur lequel je tiens à avoir le moins d’influence possible car la créativité ne peut s’épanouir sans liberté. Cartier valorise l’intuition au plus haut point et se refuse dès lors à brider les créateurs. Je m’en tiens à mon rôle de supervision de l’ensemble pour préserver la frontière entre les différentes créations. Et si je dois intervenir, la plupart du temps pour des corrections minimes, ce n’est jamais directement sur la création, mais via une esquisse à la main sur une feuille séparée, car ce n’est pas à moi d’imprimer mon empreinte sur le résultat final.

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L’O : Le regard spécifique qui prévaut au final est celui du client qui achète et porte le bijou. Quel profil de clients se laisse séduire par ce type de modèles animaliers ?

JK-L : Tout le monde, en fait, même si ça m’étonne toujours ! Peu de gens peuvent résister à ce petit supplément d’âme qui imprègne toutes les créations. Une interaction et une reconnaissance se nouent entre la personne qui porte le bijou et l’animal. Sans oublier cette nature sauvage qui pousse à exprimer son âme à travers un bijou. Nos créateurs ne sont pas sous les feux de la rampe. Avant d’être directrice de la création, j’ai moi-même été dans la peau d’une créatrice anonyme chez Cartier pendant vingt ans. Il m’est déjà arrivé d’être envahie par l’émotion en croisant quelqu’un arborant l’une de mes créations des années plus tard. Car cette personne avait lu et complété à sa manière l’histoire que j’avais écrite. Et cette superposition est toujours source d’échanges intéressants. Comme pour cette création autour d’un serpent que j’avais imaginée portée par un tout autre type de personne que celui de la femme douce, spirituelle et très intelligente qui se trouvait devant moi mais où la symbiose était tellement parfaite que j’en ai eu les larmes aux yeux.

L’O : Nous évoquons des significations plus profondes et un jeu de cache-cache subtil, mais pour ce qui est des bijoux très imposants, impossibles à ignorer, quel est le rôle de la discrétion dans la haute joaillerie ?

JK-L : Bonne question ! Cartier applique la philosophie du rien de trop. Notre mission consiste à laisser parler les pierres, déjà très expressives par nature. L’objectif n’est donc pas de les étouffer dans des créations trop pompeuses. D’où ce jeu de trompe-l’œil et de camouflage. Prenons par exemple le collier Mochelys : à première vue, il se compose d’un feuillage élégant, mais en y regardant de plus près, on découvre qu’il dissimule une tortue, qui se transforme aussi en broche. De nouveau une histoire multicouche. Je pense que cette subtilité, née d’un savoir- faire hors du commun, fait office d’antidote poétique à toute forme d’ostentation. Dans cette superposition se cache aussi la modernité de Cartier : un œil attentif peut lire entre les lignes de chaque bijou le reflet du monde qui nous entoure. Le bracelet- bague "La panthère jaillissante", par exemple, est une première en soi : sa réalisation relève de la prouesse technique, mais il est de notre devoir de repousser les limites de la haute joaillerie. Les femmes ont, en effet, de nouvelles aspirations et ne portent plus les bijoux de la même manière ni pour les mêmes raisons. C’est une part de poésie qu’il nous incombe d’intégrer dans l’histoire de Cartier au sens large.

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