Mode

Carol Piron, Marie Noorbergen, Kimy Gringoire : rencontre avec le Girls Gang de Bruxelles

Bang, bang ! Quand Carol Piron, Kimy Gringoire et Marie Noorbergen se retrouvent toutes les trois à Bruxelles, cela crée des étincelles et une collab du feu de Dieu.
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C’est dans un studio parisien et en cercle restreint (confinement oblige) que le shooting de la collection capsule Inner Flame signées Filles à Papa x Kimy Gringoire a lieu. Ce jour-là, sous les doigts de la makeup Artist belge Jenneke Croubels, les cils flambent, les mains s’embrasent, le regard se consume… Le pitch de la séance photo ? Inner Flame parle de féminité, de force intérieure, de cette flamme qui brûle en chacun.e de nous. Sous le feu des projecteurs, cinq bijoux aussi flamboyants qu’accessibles (ils coûtent tous moins de 200 euros pièce) : des boucles d'oreilles XXL, des anneaux de feu qui ondulent et se dédoublent, mais aussi des bagues de phalanges et des bagues d'ongles, en laiton ou en gun metal, le tout piqué de cristaux Swarovski et fabriqué en Italie. Résultat : une campagne torride réalisée par la photographe (belge elle aussi) Marie Noorbergen, tout juste rentrée de L.A. Il n’en fallait pas plus pour attiser notre curiosité et vouloir en savoir plus sur cette association rendue possible grâce à un (heureux) concours de circonstances… 

Retour de flammes

C’est lors du premier confinement que les trois femmes se sont retrouvées pour la première fois, au même endroit, au même moment. - La créatrice de joaillerie Kimy Gringoire (Kim Mee Hye) était rentrée précipitamment de Paris, la photographe et directrice artistique Marie Noorbergen de Los Angeles où elle vivait depuis plus de 20 ans… - "On se retrouvait toutes les trois en Belgique, un agenda anormalement vide. C’était le moment de créer quelque chose ensemble", explique Carol, à la tête du label liégeois Filles à Papa. "On avait envie de vivre une aventure à trois. Cette collab’ était le prétexte parfait", ajoute la créatrice. "Kimy et moi, nous sommes amies depuis longtemps. J’admire son travail et vice versa. Amies et muses, la création a toujours animé intensément nos relations. Marie s’est ensuite greffée au projet pour mettre en lumière la collection grâce à ses talents de photographe et de directrice artistique." Un trio explosif, animé par l’intime conviction que l’aventure collective démultiplient les forces et les talents. "En s’associant, on s’offre des opportunités l’une et l’autre", ajoute Marie. "L’état d’esprit de Inner Flame, c’est le partage, la générosité, l’amour. Avec la crise que nous connaissons, le collectif prend le pas sur l’individualisme et c’est tant mieux !", confie Kimy. "Notre association s’est faite naturellement. Nos envies et esthétiques se répondent. On ne s’est pas trop posé de questions. On s’est dit : on va se lancer et ça va marcher !", nous explique Marie. "Et puis, ce n’est pas par hasard qu’on a choisi la flamme comme emblème", ajoute Carol. "Elle est le reflet d’une certaine forme de liberté, d’affranchissement et le symbole d’un esprit frondeur, que nous célébrons chaque saison chez FAP. Ça avait donc tout son sens de la mettre à l’honneur pour cette première collection de bijoux aussi." Une collection racée à porter comme un talisman pour affirmer et célébrer sa part de féminité sans restriction de genre : "Le terme féminité ne concerne pas que les femmes. Je connais beaucoup d’hommes qui ont bien plus de féminité que moi par exemple", plaisante Kimy. Dans les rangs des égéries flamboyantes de cette nouvelle ligne de bijoux, on retrouve l’agent parisienne Elena Cavagnara, les mannequins Steffy Argelich et Teddy Quinlivan, la photographe Marie Wynants, la charismatique Paz De La Huerta, l’influenceuse japonaise Akimoto Kozue, le danseur contemporain Ed Munro, la it-girl Courtney Trop (@alwaysjudging), la designer mode Nicola Lecourtmansion… Des personnalités fortes, atypiques, explosives à l’image de la ligne disponible sur l’e-shop de Filles à Papa et dans une sélection de points de vente. 

Carol Piron

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Celle qui, avec sa sœur Sarah, met la fashionsphère à ses pieds depuis plus de dix ans avec son label hybride F À P est tout, sauf une tête brûlée... Entre deux collab’, elle nous parle d’avenir et de flamme créative.

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© Serge Leblon

"Cette année particulière a eu, selon moi, le grand avantage de forcer l’industrie de la mode à se poser les bonnes questions et à revoir ses modes de fonctionnements. Sarah et moi, ça fait déjà un petit moment qu’on se sent essoufflées par les rythmes effrénés des collections. Le marché se calque sur un calendrier qui tue à petit feu la spontanéité créative. De plus, ce rythme soutenu ne correspond ni à la réalité du terrain ni aux envies de la consommatrice. Des collections hiver qui arrivent en magasin en plein mois de juin, ça n’a aucun sens ! Etant une petite structure d’une dizaine de personnes, on peut se permettre de faire les choses plus ou moins à notre façon. Aujourd’hui plus qu’avant, on a envie de se faire plaisir en sortant des collections réduites, sans concessions, transgressives et adaptées au moment : une ligne inspirée des années 80’ pour l’été, de la maille et du denim pour l’hiver… L’idée étant de se laisser le temps et de proposer des lignes singulières misant sur le partage et le collectif avec des projets réunissant artistes et créatifs. Inner Flame étant la première capsule du style." Et comme pour immortaliser cette nouvelle ère, le logo Filles à Papa devient F À P, plus direct mais aussi plus énigmatique... Une identité graphique revue et corrigée comme pour réaffirmer haut et fort l’ADN d’un label qui s’amuse à brouiller les pistes depuis plus de dix ans : un vestiaire urbain, du sportswear, des jeux de coupes et de matières, mixés à des slogans catchy ou clairement provoc' qui empruntent ses codes aux années 90 et 80, avec une touche couture dans la façon et une bonne dose de second degré dans le fond. "Parallèlement à F À P, on a envie de développer la ligne "Tomboy", devenu petit à petit une marque Streetwear à part entière.Tomboy… Un statement fort qui à l’origine n’était ni plus ni moins le slogan d'un sweatshirt présenté lors de la collection printemps-été 2013 de Filles à Papa. Devenus emblèmes universels, Tomboy voit depuis quelques mois ses collaborations se succéder comme avec la sortie du t-shirt "Tomboy Tour Cancelled" de la DJ Charlotte De Witte et la ligne de sport couture cosigné par le label 42I54. "On prévoit aussi une série de pop-up à Anvers, à Shanghai et à Knokke cet été. En espérant que cette fois, ce soit en mode fiesta sur la plage !", réplique Carol. Même si la présence physique des collections en boutique reste super importante pour familiariser les gens à la qualité des coupes et des matières, l’e-shop de la griffe a plus que jamais le vent en poupe et permet à Carol et Sarah de s’adapter aux exigences du marché sans devoir subir la pression des quatre collections mais aussi et surtout de séduire une clientèle internationale... Depuis son lancement et encore plus depuis la crise sanitaire, il cartonne partout mais surtout, Outre-Atlantique : "Notre marque est clairement taillée pour ce marché où son côté hybride et barré plaît énormément. Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux et au boom de la vente en ligne, on peut se permettre de rêver une mode plus spontanée, intuitive, en phase avec la réalité et l’air du temps. Tout cela se fera petit à petit. Pour l’heure, on mise sur les collections capsule en collaboration avec des artistes et créatifs qu’on aime et qu’on a envie de mettre en avant. Le tout sans agenda."

Marie Noorbergen

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Directrice artistique au style singulier, photographe instinctive, cette belge expatriée à L.A. depuis 20 ans diffuse dans chacune de ses storytelling une certaine idée de la modernité. 

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© Serge Leblon

A travers son objectif, Marie Noorbergen valorise l'authenticité, réinvente la notion de représentation et ne s'arrête devant rien pour réaliser les plus belles images possibles. Formée à La Cambre, elle crée des identités visuelles aussi reconnaissables qu’inclassables. Grande blonde au style étudié, celle qui nous accueille ce jour-là dans son pied-à-terre ixellois quitte la Belgique juste après ses études de graphisme pour travailler comme directrice artistique pour l’agence de pub Air à Paris. "J’ai quitté la Belgique dès que j’ai pu. Mon rêve à l’époque était de vivre à New York. Le hasard de la vie a fait que je me suis mariée avec un homme qui habitait Los Angeles. J’ai déménagé là-bas en 2002. Au début, j’ai eu un peu de mal à m’acclimater. J’étais freelance avec un portfolio orienté mode et luxe et je devais trouver du boulot dans la capitale du t-shirt, du denim et de la basket. Bref, je devais tout recommencer à zéro." Et d’ajouter : "Aux Etats-Unis, ça ne les intéresse pas ce que tu as pu faire avant... On s’en fout de ton background. Pour eux, ce qui compte, c’est que tu sois opérationnel. C’est assez sain, honnête et direct comme manière de travailler. Tout le monde a sa chance, peu importe le milieu dont tu viens. Ce qui compte, ce sont tes idées et ta capacité à les réaliser." Elle travaille alors en tant qu’indépendante dans des agences comme le bureau Base Design de New York et en tant qu’employée pour une marque de jeans pour laquelle elle conceptualise les campagnes. "Un jour mon boss m’a demandé d’arrêter d’engager des photographes et de shooter moi-même les images… Je me suis lancée comme ça. Un peu par hasard. La photo m’a plu et le fait de maîtriser tout le processus créatif de A à Z encore plus. Ce qui m’excite, c’est de créer des univers aux identités fortes et singulières. Broder une histoire qui a du sens que ce soit pour une marque de fringues comme pour un théâtre. Un.e bon.ne directeur.rice artistique doit s'effacer devant le travail qu'on lui commande. Il faut savoir écouter, observer, faire preuve d’empathie, mettre son ego de côté. C’est de cette manière que naissent des concepts vrais, authentiques, dénués de stéréotypes", ajoute-t-elle. "Inner Flame est une de ces histoires vraies, particulières et personnelles... Elle parle d’un retour en Belgique en pleine crise sanitaire, d’une histoire d’amitié entre trois filles qui se retrouvent réunies autour d’un projet commun à un moment charnière de leur vie." Aujourd’hui, alors qu’elle est installée en Belgique depuis un an, elle nous dit avoir l’impression d’être au bon endroit, au bon moment. "Je me surprends même à ne plus vouloir repartir. L’autodérision, la fantaisie, le décalage à la belge m’avaient manqué." Et quand on lui demande quelle est sa vision de l’avenir, cette directrice de création répond : "L’avenir appartient à ceux qui feront bouger les lignes entre les codes féminins et masculins, refusant la rigidité des cases du passé. S’affranchir des préjugés, ouvrir les yeux sur ce nouveau monde, revoir les classiques et s’employer à inventer et transgresser, c’est ça le gros challenge de demain." Selon elle, les marques les plus à même de tenir la vague de cette évolution sont celles dont l’histoire permet d’être agile pour survivre à l’épreuve du temps. Une histoire que tout le monde peut se partager et s’approprier, une identité qui se distingue par son pouvoir fédérateur, c’est de cet incessant jeu de rôle, qui demande tout de même de "rester soi-même", que naîtra, selon elle, une entité nouvelle.

Kimy Gringoire

L’agent double

Entre Londres, le Mexique et Paris où elle a posé ses valises pendant un temps, la créatrice belge Kimy Gringoire a su rendre incontournable la hype de sa griffe Kim Mee Hye. De retour en Belgique après 10 ans, l’heure est au bilan. 

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© Serge Leblon

C’est en 2012 que Kimy Gringoire crée officiellement sa marque, lui offrant son nom coréen en guise de griffe : Kim Mee Hye. Elle qui se dit "brouillonne, intuitive, déterminée" signe alors des pièces intimes et affirmées : un pendentif croix, des manchettes menottes, une bague swing-swing qui joue les doubles faces. Avec leurs courbes pures, généreuses, délicates, instinctives, ses bijoux aux messages souvent cachés happent l’œil averti avant de coller à la peau... Son univers, à la fois fragile et rebelle interpelle. Pas étonnant donc que depuis ses débuts, les plus belles boutiques la plébiscitent, de Colette à Paris à Opening Ceremony à New York en passant par 10 Corso Como à Séoul. Passionnée par le design, inspirée par l’univers du tatouage, elle crée des bijoux talisman à porter cachés (ou pas), partout, tout le temps. Au fil des ses virées aux quatre coins du globe, ses créations deviennent tantôt plus ornementales, tantôt plus sophistiquées… "Mes inspirations évoluent en fonction de mes rencontres. Tout, en fait, est une histoire de rencontres", témoigne-t-elle. Pour preuve, depuis ses débuts, des personnes influentes comme Inge Gelaude (directrice de création chez Villa Eugénie), Pascale Delcor (Hermès) ou Jan Hoet et sa compagne Delphine Beckaert - qui exposeront ses bijoux dans leur galerie Hoet Bekaert à Gand et Knokke - croient en elle et la soutiennent. "Mes bijoux (en or et pierres précieuses) fabriqués à Anvers s’adressent à une clientèle haut de gamme. C’est un produit niche qui concilie luxe et esprit underground. Punk dans l’âme, il y a un antagonisme entre qui je suis et le public à qui s’adressent mes bijoux. Du coup, avoir une vitrine comme celle de Colette à Paris a été une opportunité incroyable pour me faire connaître. C’était un vrai tremplin à l’époque pour les talents émergeants et je trouve ça dommage que personne n’aie repris le flambeau.", confie-t-elle. Confinée en Belgique depuis le mois de mars, elle profite de ces moments d’accalmie pour faire le bilan : "Nous vivons un moment étrange où toutes nos certitudes ont été balayées. Je ne m’attendais pas à revenir vivre en Belgique. Mais le fait d’être là me fait prendre conscience qu’on n’est pas si mal ici finalement. Paris c’est inspirant quand tu peux sortir, voir des expos et des amis. En confinement, coincée dans un 50 m2, cette ville n’a plus beaucoup d’intérêt. Contre toute attente, je me vois rester à Bruxelles. Je me suis apaisée. La super synergie entre Carole, Marie et moi m’a aidé à retrouver mes marques. Et puis, je suis tombée amoureuse... J’ai trouvé quelqu’un qui me donne envie d’explorer d’autres horizons dans la création. L’envie de créer des objets plus grands, de me frotter à d’autres matériaux, de sortir de ma zone de confort. Dessiner des collections pour d’autres marques de bijoux comme je l’ai fait pour Dinh Van dernièrement me plaît beaucoup aussi. Nous sommes dans l’ère de la collaboration et cela me réjouit."

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