AZ Factory : comment le label d'Alber Elbaz soutient la création belge ?
Initié par Alber Elbaz après son départ de chez Lanvin, ce laboratoire de talents vise une mode intelligente, attentive, pratique et axée sur les solutions. Projet collaboratif depuis la disparition de son fondateur en 2021, le label soutient la création indépendante, de A à Z.
Chaque saison, des designers, dans la plupart des cas émergents et issus du monde entier, sont approchés par cette marque expérimentale mais solide. Des créatifs au diapason de l’ambition d’Alber Elbaz en direction d’une mode qui “résout les problèmes et crée de la joie”. Les collections sont conçues en collaboration avec les ateliers et les experts attachés à la maison, qui appartient au groupe de luxe suisse Richemont. Chaque lancement est a priori pensé comme une expérience unique, mais peut jeter les bases d’un partenariat à long terme. Une perspective motivante pour de jeunes structures parfois artisanales, qui bénéficient d’une formation accélérée. Ester Manas, diplômée de La Cambre qui signe sa marque avec son compagnon et associé Balthazar Delepierre, sortira sa collection AZ Factory en novembre. Elle témoigne que “tout est possible quand on travaille avec ces équipes : nous sommes passés de deux personnes à une trentaine, nous avons intégré le respect d'un héritage, et appris la patience inhérente à un processus développé avec plusieurs dizaines de professionnels. Cette expérience nous a fait grandir comme designers : nous savons ce que nous voulons et ce que nous valons, le prix de la liberté. Ça nous a fait fantasmer pour Ester Manas.”
Automne-hiver pluriartistique
Du côté d’AZ, l’objectif en sélectionnant des marques montantes est de les aider à structurer leur croissance. Mais les collaborations à venir incluent aussi des talents reconnus qui sont à un tournant de leur carrière, et même des projets “hors mode”, pour instaurer un dialogue créatif innovant. Si la discrète équipe de management préfère laisser s’exprimer les designers qui conçoivent les collections, elle souligne que “la magie se déclenche quand le résultat surpasse la somme de travail fournie par les différents acteurs. Nous cherchons à provoquer la rencontre imprévisible de codes et de techniques pour aboutir à des esthétiques originales.” Dès la rentrée, on a pu arborer le fruit Couture de la collaboration d’AZ Factory avec un autre Belge, Cyril Bourez, également formé à La Cambre où il enseigne désormais en deuxième année. Une école plébiscitée par la maison “pour sa capacité unique à former les talents de demain tout en respectant toujours leur singularité. Ester Manas et AZ Factory ont par exemple en commun la volonté de créer une mode pour les femmes réelles, qui s’assument sans complexe, dans une approche moderne et naturelle.”
Faim d'innovation
Alliant l'artisanat traditionnel avec des applications et une technologie d'avant-garde, AZ Factory a conçu avec Ester Manas une collection complète d'une trentaine de looks, qui comprend plus de 60 pièces et accessoires. Le duo de créateurs y a intégré un clin d'œil au nœud papillon cher à Alber. “C’est un élément fort, qu'il adorait. Pour marier nos univers, nous avons eu recours à deux sources d’informations : des images d’archives et la mémoire de l'équipe de création, qui est exceptionnelle. Cette collection, qui est à la fois un hommage et une interprétation, resitue des emblèmes de mode. Visuellement, le thème de la gastronomie est très présent, car elle fait partie intégrante du plaisir de la création, à la fois chez nous et chez Alber qui organisait de grands buffets pour ses équipes, avec une attention particulière à la communication et au partage. La cuisine, la chair, la mode, ce sont des sujets brûlants, surtout quand on parle du corps comme nous le faisons. Ça nous amusait de sublimer la gourmandise avec un imprimé de nature morte présentée sur table, des couleurs fruitées qui évoquent le melon, et une maille brocoli galbante, nuageuse, organique. Nous avons par ailleurs créé un tee- shirt à slogan lié au take-away, et un sac smiley réinterprété à partir du logo d'AZ, qui évoque un macaron poudré. C’est notre accessoire-pâtisserie.” Ce qu'il y a d'Alber dans Ester ? “Émotionnellement une grande générosité, la force de l' humour pour parler de ce qui fâche, l'amour du corps, la liberté brute, tangible. Les couleurs vives pour souligner la confiance d'une femme qui se montre et qui prend sa place. Nous travaillons chacun à notre façon le glamour qui épouse le corps, l'opulence dans les courbes, les volants qui définissent les lignes.”
La couture comme un sport
Parallèlement, la collaboration avec Cyril Bourez est née d’un jeu intellectuel : conjuguer deux valeurs très importantes pour Alber, le savoir-faire de l’atelier et l’upcycling. “Certaines pièces sont comme des collages, j'ai imaginé des manches Alber Elbaz qui auraient été catapultées sur des maillots de football américain. Je me suis aussi inspiré de nombreux bas de robes d'Alber à partir d'images et de dessins, que j'ai reproduits sur des vêtements de sport. Je me suis concentré sur le geste, qui est sa signature.” Le jeune créateur a fabriqué sa collection à partir de tenues de sport vintage, 35 pièces uniques, potentiellement réactivables à la demande. “C’est une ligne athletic Couture dans l'ADN voulu par Alber, avec l’idée d'être habillé en luxe artisanal mais de pouvoir mener sa vie en courant.” Cyril s'est inspiré du vestiaire sportif américain “pour son image lisible et archétypal”, a fondé ses pièces sur l'usage du jersey pour décliner une collection féminine, élégante et sensuelle à partir du langage masculin, qui est a priori son domaine de création. “J'ai voulu ramener l'homme dans la Couture femme pour créer une mode fraîche, inconséquente, libre dans le mouvement. Une partie de la collection comprend des chemises hawaïennes interprétées en jupe, et des tee-shirts boyfriend. J'ai intégré des dessins d'Alber et des archives pour évoquer son vocabulaire, toujours actuel. Avec AZ nous sommes en conversation, mais j'ai bénéficié d'une remarquable liberté. J'ai eu accès à un savoir-faire exceptionnel, j'ai pu collaborer avec les équipes de design qui ont travaillé avec Alber, mais aussi chez Celine, Y/Project, Versace, et qui cumulent des expériences incroyables.” Pour la dimension artisanale, les pièces de sport authentiques ont été chinées à Bruxelles par le jeune designer lui-même, “parce que nous avons les meilleures boutiques du genre !” Il y a dans cette collection une note d'humour, un nécessaire décalage, du second degré. AZ signe cette saison et durablement, une Couture tissée de belgitude, inclusive, décisive.