Hommes

Elvis Pompilio : le magicien académicien

En octobre dernier, l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique a intégré le chapelier autodidacte, gros bonnet depuis bientôt 40 ans, parmi ses membres titulaires. Un modiste honoré, mais toujours modeste. 

© Stéphane Boudin
© Stéphane Boudin

L’Académie l’a élu notamment pour "avoir fait reconnaître la chapellerie comme un art à part entière". Premier représentant d’une nouvelle discipline dans la Classe des Arts - le stylisme - le designer ouvre donc la voie à la reconnaissance de la mode parmi les arts académiques. Lui qui, passionnément, a toujours travaillé à décaler l’attendu et à doubler de second degré ses collections extravagantes, élégantes. 

Le chapeau comme vocation 

"À la fin des années 70, quand les créateurs ont commencé à être à la mode, d’abord Gaultier et Alaïa, puis les Belges, les chapeaux étaient encore peu représentés. Très jeune, je me nourrissais de l'influence des stylistes français et italiens, Armani en particulier, et des nouveaux couturiers qui émergeaient. Le week-end, je travaillais comme vendeur dans un magasin de fripes à Liège, quand c'était encore à l'avant-garde. J'avais 16 ans, je ne me lassais pas d'admirer les robes perlées peintes à la main et j’ai commencé à créer des chapeaux pour compléter les étalages en vitrines." Bien avant cela, lorsqu’il était enfant, Elvis, prénommé en hommage au crooner et qui a fait honneur à son nom en bougeant des lignes à sa façon, fabriquait des couvre-chefs pour les déguisements de ses cousins. "Robin des Bois ou Maharadjah, tout m'inspirait. Cette fascination pour les chapeaux qui identifient un personnage est restée. On peut habiller quelqu'un en noir, puis selon qu’on lui fasse porter un sombrero mexicain, une calotte de prêtre ou un stetson, toute la silhouette change, on oriente à la fois l'intention et le contexte."

Le talent à la tête du client

Dans son nouvel atelier – show-room – boutique situé dans un quartier où fourmillent les galeries d’art à Bruxelles, Elvis expose lui aussi avec vitrine sur rue. Il souligne que "pour concevoir un chapeau, on part d'une structure en bois sculpté, puis la matière choisie est moulée. C’est la rencontre des savoir-faire, un art en 3D qui renvoie à la forme et à la physionomie, un artisanat délicat de sculpture et de visagisme." Celui qui a coiffé Madonna, Axelle Red, Sharon Stone, réalisé les chapeaux iconiques d'Amélie Nothomb, qui a créé pour Guillaume Gallienne et Valérie Lemercier, tandis qu’Arno comptait sur lui pour que le ciel ne lui tombe pas (directement) sur la tête, se réjouit de rejoindre une organisation qui célèbre la culture. "Il y a tant de variété parmi les académiciens qu'on apprend toujours quelque chose. Cette distinction est très gratifiante, parce que lorsqu'on exerce un métier de passion, avec ses défauts et ses qualités, le travail passe toujours d'abord. Cette nomination récompense une œuvre sur la durée, l'ensemble d’une carrière, et si ça me touche beaucoup, c’est important aussi pour les gens qui m'ont toujours soutenu. Je les sens presque plus émus que moi. Cette vie de modiste m'a demandé beaucoup de concessions, j’y ai consacré beaucoup de moments personnels." Aujourd’hui mentor et conférencier, le jeune garçon aux doigts d’or qui travaillait "pour aider à la maison", désormais académicien, continue de faire sortir la magie de son chapeau.

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