Bernard Dubois : qui est cet architecte belge dont tout le monde parle ?
Après avoir obtenu un diplôme de photographie et de chimie à La Cambre en 2009, il a dévié de sa trajectoire initiale pour se diriger vers l'architecture. Dix ans plus tard, Bernard Dubois est un architecte sollicité à l’international pour concevoir des boutiques, des galeries d'art, des studios de design d'intérieur et des projets résidentiels. Son style ? Rigoureux et analytique, un savant mélange des courants classique, moderniste et postmoderniste. Discussion autour de son obsession pour le perfectionnisme et l'ambiguïté.
De quel projet êtes-vous le plus fier ?
Je travaille la plupart du temps à l’étranger, mais je suis assez fier de mes projets en Belgique. Tout particulièrement le dernier en date, une galerie d'art pour Xavier Hufkens à Bruxelles. Nous avons complètement modulé l'espace en trois pièces pour créer une circulation d'objets d'art. Un autre moment fort de ma carrière a été la collaboration avec Isaac Reina pour Maniera, l'un des studios de design les plus intéressants que je connaisse. Pour ce projet, j'ai conçu une gamme de mobilier modulaire. Je suis également très fier de mon rôle de co-commissaire du pavillon belge lors de la Biennale de Venise en 2014.
Comment voyez-vous l'avenir de l'architecture ?
Nous utilisons de plus en plus d'outils numériques pour pouvoir travailler à distance. De nombreux projets sont situés à l'étranger. Je me suis donc vu contraint de travailler à distance à cause de la crise sanitaire. Ça peut sembler contradictoire de suivre de loin quelque chose d'aussi physique qu'un bâtiment, mais ça fonctionne très bien. Je n’ai pas du tout à me plaindre.
Lorsque que vous vous penchez sur un projet, avez-vous à l'esprit des préoccupations temporelles liées à la durabilité par exemple ?
Dans le cadre de mes créations, j'essaie de ne pas entrer dans des considérations temporelles. Je travaille selon un style, un goût et une méthode qui me sont propres. Ce qui est lié au temps finit tôt ou tard par vieillir et doit être refait. Lorsqu'on se concentre sur la qualité plutôt que sur le temps, on allonge automatiquement la durée de vie d’un projet.
Quelle est votre obsession en matière de design ?
J'apprécie les matières brutes et leur couleur naturelle. J'aime jouer avec les formes, mélanger différents styles et courants. Chaque projet devient intéressant s’il présente une certaine ambiguïté. Par exemple, pour le restaurant parisien PNY, dans la rue du Faubourg Saint-Denis, je me suis inspiré du postmodernisme japonais des années 80. Mais sans le côté pittoresque et coloré, en privilégiant plutôt les couleurs naturelles du matériau. Cette façon de faire rappelle l’Art déco. C’est ainsi qu’on crée quelque chose de nouveau.
Quand un projet est-il terminé ?
En réalité, un projet n'est jamais terminé. Néanmoins, il y a bien un moment où il touche à sa fin : quand j’abandonne. Nous repoussons systématiquement nos limites en quête de perfection. Mais bien sûr, celle-ci n'existe pas. Pour moi, ce n'est jamais suffisant. Alors le point final, c’est le moment où j’estime qu’un projet est assez bon, le moment où je renonce. Et il est différent à chaque fois. Ça dépend de ma soif de détails et de qualité. J'abandonne toujours le plus tard possible.
Que voulez-vous que les gens ressentent en voyant votre travail ?
J'espère qu’ils ressentent la même chose que moi lorsque je visite un endroit qui m'inspire. À la Fondation Maeght à Saint-Paul-De-Vence, par exemple, je me sens à la fois heureux et fasciné. J'espère également que mes projets suscitent une certaine excitation chez les visiteurs.
De quels projets rêvez-vous encore ?
Je mène actuellement plusieurs projets de front : une galerie d’art, un hôtel, un restaurant et quelques appartements. J’aime beaucoup aussi les maisons individuelles : à Palm Beach en Floride, j’ai imaginé un concept de logement très radical, qui est malheureusement aujourd’hui en stand-by à cause de la Covid-19.
Voyez-vous le monde selon les catégories du beau et du laid ?
Bien sûr, pour moi le monde est divisé entre ce qui est beau et ce qui ne l’est pas. Mais n’oublions pas ce qui est laid mais beau, ni ce qui est beau mais laid. D’une part, je remarque que quelque chose de laid recèle souvent une beauté secrète, qui demande à être découverte. D’un autre côté, je vois aussi des choses qui sont belles objectivement, mais sont si ennuyeuses qu’elles en deviennent presque vulgaires. Cela arrive souvent sur Instagram. Je suis particulièrement fasciné par une forme de laideur qui présente un potentiel d’adaptation ou de réinterprétation en quelque chose de beau.
Que faites-vous pour défendre votre idée du beau ?
Sur un chantier, le plastique et la silicone me frustrent. Pour chaque projet, je fais promettre aux entrepreneurs qu’aucun plastique ou silicone ne sera utilisé sans que je sois consulté.
Souffrez-vous d’une déformation professionnelle ?
Bien sûr ! Je remarque les détails, les matériaux et la composition de tout ce qui me tombe sous les yeux. J'essaie aussi systématiquement de comprendre le contexte de quelque chose, de façon parfois arbitraire. La porte d'un train par exemple, qui a sans doute fait l'objet de discussions interminables entre différentes parties. Il y a une histoire et une lutte derrière chaque projet ou objet. J’ai également l’habitude de bien analyser un espace pour vérifier la sécurité, la stabilité et la conformité aux normes anti-incendie.
Enfant, étiez-vous déjà fasciné par l'esthétique ?
Mon hobby était la photographie, je faisais des photos d'architecture, sans rien y connaître à l’époque. J'avais aussi une énorme collection de cubes Lego, de quoi remplir une pièce entière. Je construisais toutes sortes de choses, mais en m’imposant constamment des restrictions de façon à me remettre en question. Les versions miniatures d'une Rolls-Royce, d'une Corvette ou d'une Porsche n'existaient pas dans le catalogue Lego, alors je les ai conçues moi-même.
Quand parvenez-vous à arrêter votre "œil observateur, analytique et créatif" ?
Quand je pédale ou conduis. À Paris, j’utilise surtout le vélo ; à Bruxelles, je prends la voiture. J'adore me mettre au volant tout en écoutant de la musique, ça me rappelle mes 18 ans. Dans ces moments-là, j’arrive à déconnecter du travail.