Paris : pourquoi il faut se précipiter au restaurant Boubalé
L’équipe derrière les mirifiques Shabour, Shana et Tekès explore magnifiquement le répertoire ashkénaze.
Une cuisine ne vient jamais de nulle part : elle porte toujours une histoire, une tradition, une culture. Dont la modernité ne demande parfois qu'à être réveillée. Le patrimoine culinaire ashkénaze et sa richesse exceptionnelle étaient encore mal éclairés à Paris. On connaît l’immense talent d'Assaf Granit, qui attise, avec le chef Dan Yosha, l’éclat de la galaxie des restaurants imaginés de Paris à Saint-Barth, en passant par Berlin ou Jérusalem, en harmonie avec la vision de Tomer Lanzman.
Géniaux inventeurs de lieux uniques, où accueil enveloppant, ambiance aux vibrations sensuelles, et cartes affûtées, ils font des étincelles. Granit a conçu pour Boubalé un menu renversant. Avec Itamar Gargi, au sein de l’hôtel Grand Mazarin, ils donnent des classiques une lecture libre, à la manière de jazzmen se jouant des grilles harmoniques et des lignes mélodiques. Le foie haché, modèle du genre, à la belle mâche onctueuse, en tension entre poivre noir, poudre de jaune d’œuf, adouci par les oignons caramélisés, escorté de mouillettes craquantes, incarne génialement la démarche de Boubalé : consciente d’un héritage, décidée à le faire revivre dans toute sa gourmandise éternelle, généreuse.
Une parfaite challah avec crème fraîche et tomate, un délicat tahini de betteraves, ouvrent le bal, avant de décliner les standards - goulash au bœuf avec gnocchi ; poulet effiloché avec pickles de carottes et lachoch (petite galette aux ascendances yéménites) - et d’inattendues variations autour des pommes de terre enlacées par le compté, l’emmenthal, les oignons et une salsa verde, ou ce délicat bar aux textures contrastées (croustillant de la peau, moelleux doudou de la chair) alangui sur un ragoût de légumes à la profondeur sapide de divan. En dessert, une compote de fruits aux éclats épicés consolés par une glace ajoutant moins de la sucrosité qu’un contrepoint vif. Au diapason, les cocktails inventifs (mais pas gadgets, ouf) et la carte des vins jouent des notes profondes et vives, parcourant l’Europe de l’Est et le pourtour méditerranéen.
Si l’on songe à un esprit d’improvisation autour des harmonies des partitions de la grande cuisine ashkénaze, nulle fausse note : tout en justesse, des jus, cuissons, associations, la carte percute les sens autant qu’elle enjôle. Il faut cependant lever le nez de l’assiette que l’on contemplerait longtemps, tant les arts de la table sont d’une délicatesse remarquable, aux tonalités poétiques, aux échos nostalgiques, évoquant avec tact là d’où vient cette cuisine : d’une culture vibrante de vie, que le nazisme voulait éradiquer. La salle est admirablement décorée, ménageant petits salons et bars discrets, ses teintes chaudes, voluptueuses, son ambiance électrique (on saluera à cet égard le décorateur d’avoir trouvé le juste équilibre permettant d’entendre ses commensaux sans étouffer le feu de la soirée), et son équipe, élégante, attentive, participent pleinement de cette réussite. Sentimentale, sensible, ouvragée avec cœur et précision, la cuisine de Boubalé, soit petite chérie en yiddish, en fait un restaurant précieux. Un cadeau.
6 Rue des Archives, 75004 Paris. Réservations : 07 81 45 41 58
www.boubaleparis.com