Tsar B : rencontre avec une chanteuse impossible à cataloguer
On ne pose pas de questions à Tsar B. On écoute religieusement son avis sur Dali, la chair de poule, les défaillances des chargeurs de téléphone et ses conflits intérieurs.
"Je décrirais mon style comme un mélange d’influences seventies, de baroque, de glam et de punk. C’est ainsi que je le vois." Justine Bourgeus, plus connue sous le nom de Tsar B, se raconte de façon décousue. Elle éprouve de toute évidence les mêmes difficultés que le journaliste musical lambda à apposer une étiquette précise sur sa musique. Une chose est sûre : elle déborde d’idées et de dynamisme. En sept ans, elle a enchaîné deux albums dont celui qui vient de sortir, trois EP et le film-concert délirant Les Dîners de Gala, où elle donne vie au livre de recettes de Dali sur fond de réinterprétation classique de sa musique. Si elle s’est beaucoup investie depuis deux ans dans la tournée liée à ce projet, la conception, en coulisse, de son dernier bébé musical lui a pris deux fois plus de temps. Elle vient juste de réintégrer ses pénates après sa sortie. "To The Stars" met en lumière une autre facette de cette chanteuse, musicienne, productrice et artiste visuelle belge. Tsar B alterne projet solo, duo féérique à coups de beats classiques et de banquet théâtral et groupe de punk multicéphale pour ce dernier opus. Un album également impossible à cataloguer car il mêle chanson traditionnelle italienne, trance, réarrangement d’un morceau de Haendel et rythmes puissants sans oublier la voix toujours aussi envoûtante de l’artiste. Un heureux hasard ? "L’ensemble peut paraître assez éclectique, parfois même improvisé, mais il reste cohérent grâce au style Tsar B en fil rouge et donc à ma patte perso en termes de création, synthé, voix et violon. Contrairement aux artistes qui font appel à des producteurs externes au risque de voir émerger rapidement un conflit autour du style, je ne confie ma musique à personne d’autre. Je crée en fonction de l’ambiance dans laquelle je me trouve. Il m’a fallu cinq ans pour écrire To The Stars. Une période au cours de laquelle je suis passée d’un esprit de fête exubérant au confinement dû au Covid pour mieux replonger dans la fête. Dans le même temps, ma vie amoureuse assez mouvementée m’a incitée à me redéfinir. J’ai mis à profit le confinement pour entamer une introspection et me plonger dans la littérature. Les livres d’art sont pour moi une source d’inspiration. J’ai découvert par hasard Les Dîners de Gala de Dali et j’ai eu l’idée de créer un concert classique à sa façon avec sa table de banquet surréaliste. To The Stars est un patchwork d’influences baroques et d’ambiance festive des eighties, d’expériences éphémères mais aussi plus durables. Entre rires et larmes, légèreté et profondeur. Le reflet de mon vécu de l’époque. Il m’arrive des tas de choses, ça part dans tous les sens mais tout colle au final. J’ai l’impression que ma réalité prend chaque mois un nouveau virage. Mais je vois ça comme une bénédiction, car personne n’a envie de monotonie."
UNE VOIX QUI FAIT SENS
Les rythmes oniriques de Justine Bourgeus ont très vite suscité l’engouement du monde de la danse. Une bonne surprise pour sa production sonore qui semble taillée sur mesure pour le R’n’B, mais aussi le ballet moderne et la pole dance. On ne compte plus les vidéos de twerk au son d’"Escalate" sur Instagram. "C’est cool mais ça fait parfois un effet bizarre de voir d’autres personnes réinterpréter des chansons dans lesquelles j’ai mis tellement de moi-même. Quand j’ai écrit Escalate, je me sentais déprimée tout en ressentant cette magie inhérente au processus de création. J’étais donc à la fois en mode prise de pouvoir et oisiveté. Et là, je vois tous ces gens danser en dégageant une puissance et une force qui vont bien au-delà de ce que je voulais exprimer. Par rapport à ce que j’ai fait auparavant, To The Stars est plus fluide et s’adresse surtout aux danseurs de pole dance, si j’en crois les vidéos postées. J’ai mis près de cinq ans à faire cet album. Parler de soi, c’est plonger dans un voyage émotionnel d’une grande intensité. Je m’assure que chaque note est bien dictée par mon cœur. En fait, il ne s’agit pas d’écriture au sens littéral. Je compose d’abord des mélodies sur lesquelles je mets des paroles ou plutôt je donne la parole à mon subconscient. Parfois, ça me fait peur comme quand les mots qui me viennent me font prendre conscience que je me suis trompée de petit ami. Rien à voir avec mon petit ami actuel qui est l’homme de ma vie. Je veux juste souligner à quel point c’est interpellant même si ça permet de mieux se connaître. Raison pour laquelle ça fait un bien fou de prendre du recul de temps en temps et d’écrire pour d’autres. Je compose pas mal de bandes originales pour le cinéma et la télévision. En général, les réalisateurs m’envoient leur script mais je les lis rarement. Je préfère qu’ils me racontent leur histoire en direct. Je m’en imprègne totalement au point qu’une musique jaillit spontanément en moi. C’est tellement intéressant de provoquer certaines émotions chez les spectateurs grâce à des sons subtils et captivants."
CHAIR DE POULE
Des émotions qui, dans le cas de Tsar B, sont encore exacerbées par son fidèle violon qui, comme elle nous l’a confirmé, ne la quitte pas depuis ses 12 ans. "Je me souviens encore du moment où je l’ai acheté. Quelque chose clochait, mais ça lui donnait aussi un son plus cool par rapport aux autres violons. Je n’ai pas besoin d’une haute technicité, car je l’utilise presque comme un synthétiseur et, de toute façon, je prends plaisir à déformer les sons. Je joue dans des groupes depuis l’âge de 14 ans. Au début, j’ai un peu mis de côté ma passion pour la musique classique et le baroque, mais quand je l’ai intégrée dans mon répertoire, le public a réagi avec enthousiasme. Le plus grand compliment qu’on peut me faire? Me dire que j’ai réussi à émouvoir quelqu’un aux larmes. J’ai lu un jour que le son d’un violon évoque, dans notre inconscient, un cri humain aigu et poignant qui donne la chair de poule. Les poils qui se hérissent face au danger sont une manifestation de l’instinct primitif que l’on observe encore chez les animaux. De quoi expliquer dans les grandes lignes l’impact émotionnel d’un violon." On s’étonne d’autant plus de voir Tsar B détruire son instrument bien-aimé dans "To The Stars". Comme Jimi Hendrix en son temps, elle n’y voit pas l’expression d’une colère, mais plutôt une déclaration d’amour et la preuve de la passion dévorante qu’il lui inspire. "C’est ma façon d’honorer le violon. Mon album aussi est plein d’amour, un sentiment omniprésent ces dernières années sous toutes ses formes. De nombreux hommes ont croisé mon chemin et je leur dédie en quelque sorte à chacun une chanson. Au début du processus, je sortais d’une rupture après une relation de plusieurs années. Je m’en suis relevée, j’ai vieilli et mûri, et ça s’entend. Je réalise maintenant l’importance de la réflexion et de l’analyse. Il faut tendre vers une vie moins superficielle et ne pas se contenter de demi-mesures. Ces dernières années ont été dures, les difficultés ne m’ont pas épargnée et je ne me suis pas toujours facilité la vie. Je suis sortie de ma zone de confort et j’explore de nouveaux espaces où je peux déployer pleinement mon potentiel. D’où le choix du titre To The Stars. J’ai fait cadeau de cet album à l’astronaute Dirk Frimout, qui m’a raconté ce que l’on ressent quand on est projeté dans l’espace. On est d’abord pressé contre son siège par une force gigantesque, puis on se retrouve en apesanteur et, finalement, on observe le monde à distance. Cela correspond à ce que je ressens en ce moment."
DON QUICHOTTE
Le côté aventurier de l’artiste prend aussi parfois des accents tragicomiques dont elle ne se prive pas. Dans le clip "Auwtch", qui raconte une relation perçue d’avance comme douloureuse, elle file au galop vers son grand amour sur une monture mécanique, prête à le frapper en plein cœur avec son arc et ses flèches. Sauf qu’elle fait du sur-place avec, en toile de fond, un décor factice sans âme. "Le type même du héros raté comme Don Quichotte qui mène une bataille acharnée et futile contre des moulins à vent. Je suis armée d’un arc et de flèches, mais je rate ma cible. Je savais que cette histoire était vouée à l’échec et me ferait souffrir mais ça ne m’a pas empêchée de m’obstiner. Maintenant que l’album est sorti, je veux me consacrer davantage au volet visuel. La musique, c’est magnifique, l’image aussi. J’ai des idées très précises sur les clips et j’aime m’entourer de personnes dont la créativité rejoint la mienne. Le réalisateur Lennert Madou en fait partie. Tout comme des stylistes de la trempe de Tom Eerebout, Eveline Briand et Deborah Uber. Il m’arrive de contacter directement des designers. J’aime découvrir leur atelier et leur univers, et créer avec eux. La mode est un ingrédient important pour Tsar B : impossible de se produire sur scène sans le look approprié. Ginger Bogaert a dessiné toutes les tenues du groupe pour la tournée de To The Stars. Je considère mes vêtements comme des partenaires à part entière. Non pas pour m’identifier à un rôle, mais parce qu’ils apportent la touche finale à Tsar B en qui je vois mon alter ego. Dans ma musique, je mets mon âme à nu et, sur scène, j’ai la même fragilité que dans la vraie vie sauf que, quand je me glisse dans la peau de Star B, je me sens beaucoup plus forte." Interprète, productrice, DJ et artiste visuelle, Tsar B est-elle une bête de scène ou une force tranquille à l’arrière-plan ? Et comment réussit-elle à tout faire ? "Le silence n’a pas de prix, car il faut savoir se purifier l’oreille entre toutes les musiques. Recharger ses batteries et appuyer sur “pause”. J’ai cru dernièrement que je souffrais d’acouphènes: mon amoureux me parlait et j’acquiesçais d’un air impassible mais au fond de moi, j’étais folle d’angoisse parce que je n’entendais qu’un bourdonnement continu. Le soir, j’ai découvert qu’il était dû à un problème avec le chargeur de mon téléphone. Quel soulagement! Je suis constamment entourée de sons, ils prennent une telle place dans ma vie que je suis incapable de me passer de moments de tranquillité. Il arrive que mon emploi du temps soit moins chargé, mais le plus souvent, j’ai des tonnes de choses à faire en même temps. Je suis quelqu’un de flexible, qui veut relever plein de défis et même trop. Pas au point de me perdre, car au plus profond de moi, je suis un caméléon mais parfois ça sature dans ma tête. Auwtch est très révélateur à cet égard. Le clip a été tourné d’une traite en accéléré puis ralenti. Lors du tournage, j’ai dû faire de la synchro labiale à un rythme deux fois plus rapide que dans le morceau original. Mon petit ami m’a récemment fait remarquer que je vis beaucoup plus vite que les gens normaux. On a compris pourquoi le tournage de Auwtch n’a pas posé de problème: mon cerveau est coincé dans un univers où tout va deux fois plus vite."