Art & Culture

On est allé à Cannes et aux Plages Électroniques

Cannes, son autre festival, ses bons plans pour un trip hors croisette.

© Valentin Antonucci
© Valentin Antonucci

"Là c’est la résidence secondaire de l’émir du Qatar, quand il débarque en été y a des gardes à chaque porte, et là-bas au fond à l’horizon c’est la Villa Domergue, c’est là que le jury du festival de Cannes délibère"… Enfin plus maintenant, le lieu est désormais tenu secret, mais des anecdotes comme celles-là, mon chauffeur de taxi m’en débite dix à la minute, en me conduisant prestement à l’hôtel (Okko) où je séjournerai pendant trois jours, le temps du festival. Non, pas le festival de Cannes, dont l’aura se fait sentir à chaque coin de rue (fresques street art, photos "Avoir 20 ans sur la Croisette" dans tout le centre-ville…) : l’autre festival. Les Plages Électroniques. Mais si, on t’en parlait ici. Il vient d’ailleurs d’être élu "meilleur festival (électro) français" par DJ Mag, le fameux magazine londonien prescripteur en matière de clubbing. Meilleur, c’est-à-dire 45e de leur top 100, derrière pas mal de festivals néerlandais et croates… et derrière Tomorrowland évidemment (n°1, pas moins). Une véritable consécration pour ce festival qui s’enorgueillit donc d’être "la plus grande beach party de France", dans une ville où on a plus l’habitude de parader en Bugatti et de mater son reflet dans les vitrines des boutiques Dior et Chanel que de s’enjailler sur du Hamza ou du Blessed Madonna.

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© Palais des Festivals CANNES/Herve Fabre

Le chauffeur me dépose devant l’hôtel sous un ciel lourd mais il me rassure : "Ici à Cannes quand il pleut ça dure cinq minutes", et le temps de déposer mon sac à la réception, le ciel se dégage. On fait un tour du bloc avant de rejoindre le festival, et quel bonheur de tomber sur la librairie "Autour d’un livre…" à deux rues de là : une librairie de quartier qui s’est fait connaître bien au-delà de Cannes pendant le confinement, pour son refus de fermer malgré les astreintes et les descentes de police. Une poche de résistance en pleine baie des anges, une bulle de belles lettres au milieu du bling-bling – c’était l’instant "shopping malin" à Cannes, mais le fest nous attend.

Saucegod et EDM

On déboule au Palais : celui des Festivals, au bord de la playa, avec le tapis rouge qui reste là toute l’année pour se prendre pour une star/en selfie, c’est gratuit. On est vendredi soir avec l’ambiance idoine, les gens sont chauds et beaux, le Get 27 coule à flots. On arrive juste à temps dans le carré VIP pour mater notre héros national, celui qu’on appelle le Saucegod, le king du pull up à la belge, le VRP du Hennessy et du sirop de codéine, le seul de nos compatriotes qui remplit Bercy en trois jours, avec Damso et Angèle. Comme tout bon rappeur qui se respecte le mec déroule ses tubes sans temps mort ni chichis (pour la chicha chépas), avec un gros climax comme aux Ardentes : le très house/pop "Fade Up", tout le monde les bras en l’air, la fête peut vraiment commencer.

"Les pieds dans le sable, la tête dans le son", nous avait prévenu Matthieu Corosine, le producteur (avec sa société Panda Events) du festival, et de fait c’est possible, pour la scène "Plage" du moins : nombreux·ses sont celles et ceux qui profitent du spot, assez enchanteur mais fallait-il le préciser, pour se rafraîchir tout en profitant des dj sets et des concerts. "C’est le seul festival en France qui propose une telle expérience", renchérit notre interlocuteur, et c’est sûr que l’expérience vaut le déplacement : un mot-clé, d’ailleurs, qui nous sera asséné plusieurs fois pendant le séjour, et dont Panda Events s’est fait la spécialité – des Plages Électroniques en passant par le Moga à Caparica au Portugal et à Essaouira au Maroc. "L’idée ici et au Moga, c’est vraiment d’offrir une vraie valeur ajoutée, qui va mettre en lumière la destination, en exploitant le potentiel culturel, historique et patrimonial de la ville". Et de rester plus ou moins "à taille humaine", ici 20 000 personnes max. par jour, de quoi rester "dans la convivialité", et d’assurer une certaine "fluidité" entre chacune des huit scènes du festival…

Headliners oblige, c’est au niveau de la scène "Plage" que se masse le gros du public pendant ces trois jours, qu’il s’agisse d’Armin Van Buuren, de DJ Snake ou de Tale of Us : le premier aura donné des airs de Tomorrowland à la Croisette et le deuxième occasionné un beau bordel à base de gros drops et de tubes planétaires ("Lean On" de Major Lazer, c’est aussi lui)… Quant aux troisièmes (un duo) ils auront clôturé le festival en beauté, avec leur techno classieuse et leurs visuels bien fractals… Mais à côté de ces grosses têtes d’affiche qui à elles seules auront ramené pas mal de monde, il y avait de quoi faire niveau découvertes : on pense à la DJ hispano-cubaine Toccororo qui a bien chauffé le Solarium tout en haut du Palais avec son mix de house, d’afro beats et de footwork, et à l’imprévisible Marea Stamper alias The Blessed Madonna, dont les remixes s’arrachent chez les stars, de Robyn à Dua Lipa. De l’EDM façon Armin Van Buuren à l’hyperpop d’ELOI (future star), cette première soirée aux Plages aura tenu toutes ses promesses. Il est passé minuit, l’after bat son plein dans le Salon des Ambassadeurs au sein même du Palais : on rentre se coucher, des visites touristiques nous attendent le lendemain. 

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Hamza © GAERAU

"Le headliner, c’est la ville"… et la mer

"Aux Plages comme à Moga, on a un public qui ne vient pas forcément que pour le line-up, mais pour passer un bon moment, rencontrer des gens, et découvrir ce qu’il y a autour". Ici les îles de Lérins, le joli village de Mougins, voire Nice, Grasse, Monaco, et on en passe. Pas que le festival ne soit qu’un prétexte pour se payer du bon temps dans "la ville la plus glamour de France", mais en tout cas il sert de produit d’appel pour les offices du tourisme du sérail : une façon d’attirer un autre public que celui habitué aux yachts et aux Porsche cayenne, plus jeune et moins privilégié (le ticket d’entrée reste tout à fait abordable). "Ce n’est pas un festival de luxe : disons qu’on se positionne comme un event ‘premium’, plutôt lifestyle, où on fait la fête en profitant de l’expérience qu’offre la ville". Direction donc, pour débuter cette deuxième journée de festival, l’île Saint-Honorat qui se trouve juste en face de la côte cannoise… Avec un petit crochet à l’écomusée sous-marin imaginé par le sculpteur anglais Jason deCaires Taylor, à quelques dizaines de mètres au large de l’île Sainte-Marguerite. Un musée, si on veut : il s’agit donc de six sculptures complètement submergées, à cinq mètres de profondeur, que l’on peut admirer à condition de savoir nager. On y va en speed boat, le masque est fourni, à chacun.e ensuite de trouver les statues sous les bateaux de plaisance, très nombreux dans ce pertuis d’eau cristalline qui sépare les deux îles…

On débarque ensuite sur l’île Saint-Honorat, un bel écrin de verdure réputé pour son vin, celui que produisent les moines bénédictins de l’Abbaye, qui trône fièrement, depuis 16 (!) siècles, au milieu de ce petit paradis. Il fait chaud, calme, on se balade entre les superbes pins parasols en cogitant sur l’existence à défaut de suivre la règle de Saint Benoît ("ora et labora" = "prie et travaille"), notre ventre gargouillant en pensant au cabillaud qui nous attend, à la terrasse de La Tonnelle, le seul resto de l’île qui jouit d’une vue imprenable sur la baie de Cannes et l’île Sainte-Marguerite.

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Île Saint Honorat © Palais des Festivals/Isabelle Fabre

Du Suquet à DJ Snake

Après une pause digestive bienvenue que l’on mettra à profit pour visiter le vieux port et son marché Forville (où l’on vous conseille de goûter aux beignets de fleurs de courgettes, frits sur place dans une ambiance pagnolesque), on monte dans le Suquet et ses ruelles en zig-zag, à l’affût de ce qui fait le charme d’une cité trop souvent cantonnée à sa Croisette, ses hôtels de prestige et ses stars du septième art. Ici le temps s’arrête, le cadre est pittoresque, le visiteur moins m’as-tu-vu, et l’on se promène, au hasard des venelles, tel un Monsieur Hulot (une fresque le représente, sur la façade du "Suquet des Art(iste)s", un espace insolite (une ancienne… morgue) destiné à promouvoir la création plastique contemporaine). De là, encore plus haut, on se prend en photo sur l’esplanade de l’église Notre-Dame-d’Espérance, qui jouit d’une vue imprenable sur toute la côte, avec les lettres CANNES comme à Hollywood, et les beats du festival qui résonnent, au loin, comme un rappel à l’ordre. Il est temps de redescendre, d’aller passer une deuxième soirée aux Plages, où l’on verra : Babysolo33 (encore de l’hyperpop, soit un mix de bluettes teen et d’électro acide), Lujipeka (qui arrivera sur la scène "Plage" directement de l’eau, en bateau) et bien sûr DJ Snake, impressionnant quand il s’agit de mettre le souk à grands renforts de bangers et de "FAITES DU BRUIIIIIT". Haut la main le live le plus fédérateur de ces trois jours de festival… à défaut d’être le plus subtil et nuancé.   

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DJ Snake © Lily Dkb

Picasso avant la fin

Enfin, Mougins. On est dimanche, dernier jour du festival, et on profite de la matinée pour aller voir ce croquignolet village, celui où Pablo Picasso a passé les dernières années de sa vie, de 1961 à 1973. Tout ici, d’ailleurs, nous le rappelle : de l’imposante tête sculptée du peintre à l’entrée du village signée Gabriel Sterck à l’expo du photographe et ami André Villers au lavoir en passant par le centre d’art où a lieu en ce moment une magnifique expo consacrée à ses gravures, Picasso est partout en cette année de célébration (les 50 ans de sa mort). Visites commentées "sur les pas du maître" (dont celle de sa chambre de l’ex-hôtel Vaste Horizon où il a séjourné entre 1936 et 1938, en compagnie de ses copains Man Ray, Paul Eluard et Max Ernst), projections, parcours "Regards sur Picasso" : on vient à Mougins pour chiller loin de la foule du littoral mais donc aussi pour se cultiver, et franchement l’excursion vaut le détour. Après un crochet au Centre de la photographie (belle expo Harold Feinstein) et dans les ateliers d’artistes locaux qui peuplent les charmantes ruelles de ce doux village carte postale, retour à Cannes pour la dernière ligne droite du festival.

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Mougins

On arrive juste à temps pour l’Open Water Party de l’après-midi, soit une grosse bamboule dans l’eau, où les festivaliers ont sorti leur bouée et s’aspergent sur le beat : c’est bon enfant et ça réveille, surtout qu’il n’y a pas que le BPM qui tape à cette heure de zénith. On commence à comprendre ce que voulait nous dire l’orga : c’est vrai, ce festival n’a pas grand-chose à voir avec Werchter ou les Vieilles Charrues, ces events mastodontes où "tu passes trois jours dans un champ avant de rentrer à la maison" : "Notre volonté c’est de proposer un truc différent, un peu lifestyle et à la carte, où tu viens te faire des potes, où tu vas au resto à midi puis à la plage, on est vraiment dans un autre délire". Ce dimanche on a donc barboté en s’amusant comme des (grands) enfants, on a enfin découvert après trois jours la fameuse "scène secrète" (elle était bien cachée, dans l’atrium d’un sous-sol du Palais)  et on a kiffé le "piano boom boom" de Mezerg, un type qui joue de la techno avec ses pieds et son clavier. "Alors, vous avez aimé votre séjour à Cannes ?", nous demande le taximan au sortir de l’hôtel, après ces trois jours de découvertes musicales et culturelles qui nous ont laissé entrevoir une autre facette de la Croisette… "Il fait bon vivre ici quand même, vous trouvez pas ?" : on acquiesce en s’installant à l’arrière de sa berline, un peu cuit mais content… Il n’y a donc pas qu’un festival à Cannes, ni qu’une façade de palaces où pavanent les nababs. Sous le Palais, Les Plages Électroniques, ou comment Cannes se réinvente en nouvelle terre d’accueil du clubbing à la coule.

 

Prochaine édition des Plages Électroniques les 16-17+18 août 2024 : www.plages-electroniques.com

www.cotedazurfrance.fr

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