Art & Culture

Mia Goth, Jenna Ortega et Taylor Russell : décryptage de 3 muses sanglantes

Sur grand et petit écran, leurs auras singulières se révèlent sur fond rouge sang. Mia Goth, Jenna Ortega et Taylor Russell, les trois jeunes “reines de l’horreur”, ont gagné leurs places au panthéon du septième art cette année – et au premier rang des défilés. Et elles n’ont pas fifini de faire parler d’elles, même si les oscars et autres prix en 2023 n’étaient pas encore prêts pour leur noire virtuosité...

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L’amour est un trou dans le cœurécrivait Ben Hecht, un des scénaristes les plus géniaux de l’âge d’or de Hollywood. Cela pourrait être une bonne définition des films du Horror Art qui révolutionnent la donne du film de genre depuis quelques années, et spécialement depuis quelques mois. Le film qui saigne (abondamment) est passé du cinéma bis un peu sale à un mouvement esthétique avec ses réalisateurs cultes, et une hype sidérante qui a fait de A24 une des sociétés de production les plus admirées du moment. Et c’est par cette béance sanguinolente que ce sont glissées trois belles découvertes, dans des registres parfaitement différents. Des actrices en début de parcours qui ont fait délibérément le choix de l’horreur ou d’un retour au gothique grand cru pour exprimer tout leur potentiel et leur art.

L’émergence d’un genre fait toujours miroir à une époque, une société, à des raz de marée psychologiques. Aujourd’hui, si l’on peut apporter un début d’explication à ce renouveau d’une horreur upgradée, ce serait l’intrusion de la violence absolue dans le quotidien – de l’apocalypse écologique annoncée aux guerres visualisées, en direct et par réseaux sociaux dématérialisés – dans un immense clash insoutenable avec un quotidien occidental où le luxe, le confort et l’image semblent avoir pris le pas sur tout le reste. Là, peut-être les films d’horreur apportent un semblant de catharsis, de contrôle ou montrent une appétence pour le gothique, cette recherche de la beauté là où il n’y aurait que ténèbres. Mia Goth, Jenna Ortega et Taylor Russell ont été révélées dans leur pleine mesure par trois réalisateurs cultes et esthètes exigeants : Tim Burton, Ti West et Luca Guadagnino. Loin de se limiter à un genre ou même au jeu devant la caméra, toutes trois sont douées de multiples talents : scénariste pour Mia Goth, réalisatrice pour Taylor Russell et militante pour Jenna Ortega. De plus, leurs physiques atypiques conjugués à leur charisme les ont mises directement sous le radar des plus grands créateurs de mode via des tapis rouges de cinéma ébouriffants, de Venise à Londres en passant par Toronto, ou les derniers front rows des défilés hommes en janvier dernier à Paris.

Mia Goth, madone de l’horreur

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Première de la liste, avec un nom de famille qui fait parfaitement écho à son créneau peu commun, Mia Goth a commencé, après une brève carrière de mannequin, dans Nymphomaniac de Lars Van Trier (2013) puis en victime ingénue dans le Suspiria berlinois et arty de Luca Guadanigno (2018), des rôles qui nécessitaient pour le moins des nerfs d’acier et un goût déclaré pour la subversion en général. Après une dizaine de rôles, c’est l’année dernière que Mia Goth explose vraiment grâce à trois performances dans deux films qui font partie d’une trilogie “in progress” : X et Pearl réalisés par le maître du slasher movie underground Ti West, digne héritier de Wes Craven et de Roger Corman. Dans X, Mia Goth joue un double rôle archi-périlleux : celui de Maxine, actrice ambitieuse dans un petit film porno tourné dans les 70s en équipe réduite dans une ferme isolée, et celui de Pearl, la vieille femme qui possède la ferme, maladivement jalouse de cette jeunesse libérée s’ébattant devant elle et psychopathe jusqu’au bout des ongles. Le second film, Pearl, cette fois très rétro Technicolor en est le prequel : l’histoire en 1918 de cette même Pearl à 18 ans avec sa voix juvénile, ses rêves de gloire et de cinéma, ses fantasmes malsains, sa folie furieuse et une absence totale de scrupules quand il s’agit de manier la hache ou de nourrir son alligator Theda. Il y a du Norman Bates de Psychose dans Pearl, mais elle parvient aussi à émouvoir avec ses envies débordantes d’enfant gâtée. Ce rôle – que Mia a co-écrit avec Ti West – a mis l’Anglaise tout en haut de la liste pour la saison des grands prix avec pour grand défenseur Martin Scorsese lui-même qui s’est fendu de ce compliment dithyrambique dans Variety en septembre 2022 : Pearl offre 102 minutes sauvages, fascinantes, profondément – et je veux dire profondément – dérangeantes. West et sa muse et partenaire créative Mia Goth savent vraiment comment jouer avec leur public... avant de plonger le couteau dans nos poitrines et de commencer à le tordre. J’ai été captivé, puis dérangé, puis tellement déstabilisé que j’ai eu du mal à m’endormir. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de regarder... Sa performance (et son monologue final dément) restera sans doute aussi culte que celle de Sissy Spacek dans Carrie ou Le Bal du diable. Pour la présentation du film à Toronto et Venise, Mia Goth est apparue en veuve noire revisitée par Dolce & Gabbana toute de dentelles et de velours sur le corps, un voile sur la tête, le teint très pâle et les lèvres rouge sang. La nouvelle madone de l’horreur... Dans Infinity Pool le nouveau film d’horreur fantastico-perturbant du fils de David, Brandon Cronenberg, elle joue une séductrice inquiétante très lynchienne face à Alexander Skarsgard. Enfin elle clôturera la trilogie de Ti West avec le rôle principal dans MaXXXine qui va explorer l’ascension de Maxine à Hollywood dans les années 80 très glitter façon Star 80. À ce stade rien ne peut plus arrêter Mia Goth et on repense à ses cris désespérés en audition dans Pearl, “I’m a star! Please i’m a star!!!en ne pouvant qu’acquiescer devant cette évidence...

Jenna Ortega, la power girl goth

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Dans X, aux côtés de Mia Goth, Jenna Ortega joue Lorraine, la petite amie preneuse de son du réalisateur de porno, qui passe de manière impromptue devant la caméra. Dans la réalité, les débuts de Jenna ont eu lieu après une vocation précoce avec des premières auditions à 8 ans, et des petits rôles, dont un à 13 ans dans le film d’horreur Insidious Chapitre 2 avant de démarrer à 14 ans une parcours pour Disney Channel, comme bien d’autres avant elle. En 2019, elle s’extrait du bubble gum avec un rôle important dans la seconde saison de You pour Netflix en face de Penn Badgley en boyfriend psychopathe stalker. À partir de là, les dés sont jetés : elle oscille entre les drames qui lui valent des avalanches de compliments (The Fallout) et un statut de “scream queen” pour son rôle dans Scream en 2020 où elle hurle à la perfection. Hiver 2022, c’est une consécration surprise : elle tient le rôle principal dans la série Mercredi de Tim Burton sur Netflix, et c’est le raz de marée. En Mercredi Adams, Jenna Ortega atteint la perfection : glacée, intelligente, articulée et sans pitié. Un sommet d’humour noir. Mercredi commence par jeter des piranhas dans une piscine pleine de brutes, avant de mener sans pitié une enquête sur un monstre dans sa nouvelle école, de botter les fesses de trois ados, de manier l’épée avec dextérité, et de littéralement enterrer verbalement toute personne qui s’oppose à elle. Et en un instant, il est évident que toute une génération de filles va s’identifier à elle. Mercredi possède un instinct féroce et un style à l’avenant loin de la simple robe noire à col blanc avec nattes de Christina Ricci dans le film de 1991. Du tulle, des dentelles, des coupes cintrées, des rayures et des carreaux noir et blanc : bref du pur gothique revisité dans l’esprit Simone Rocha, de Gucci ou de Thom Browne. Le tout couronné par une scène de prom bal en blanc devenue immédiatement virale où Mercredi danse dans une robe noire vaporeuse sur un air des Cramps, Goo Goo Muck, une sorte de voguing de zombie sexy, dans une chorégraphie que Jenna Ortega a elle-même imaginée. Dernier acte en date avant la flopée de films qui s’annoncent pour elle, un passage à Paris en janvier au premier rang des défilés Valentino en robe de dentelle noire ultra transparente, puis YSL avec une robe dos nu à capuche noire fluide très reine gothique au Studio 54. Son règne ne fait que commencer.

Taylor Russell, l’ingénue cannibale

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On ne pensait pas un jour voir accolés les mots “romance” ou “poésie” avec le terme “cannibale” et pourtant... C’est le tour de force qu’a réussi le réalisateur Luca Guadagnino dans son dernier film Bones and All avec un jeune couple à tomber par terre : Timothée Chalamet et une nouvelle venue (ou presque), Taylor Russell. Le conte fantastique y côtoie le gore façon roadmovie dans les années 80 : Maren, une jeune fille, mord sans le vouloir une amie de lycée et découvre qu’elle fait partie, par sa mère et son ADN, d’un large clan de cannibales dont elle ne connaît pas encore les codes. En fuite, fragile et incomprise, elle rencontre un de ses semblables, Lee, avec qui elle va vivre un amour fusionnel. Dans Interview Magazine l’année dernière, Guadagnino expliquait à son ami le créateur Jonathan Anderson (JW Anderson, Loewe) que l’horreur est la chose la plus proche de l’amour, car elle est viscérale. Pour cette performance toute en intensité, la Canadienne de 28 ans remporte le Marcello Mastroianni award de la meilleure jeune actrice au festival de la Mostra de Venise 2022, et sur les tapis rouges, elle ose, à côté de Chalamet déjà rompu à l’exercice de la provocation mode, le tailleur corset noir SM très fifties de Schiaparelli haute couture. C’est le commencement d’une reconnaissance qui a débuté pour Taylor enfant, quand elle commence à être attirée par le ballet puis les beaux-arts et enfin les planches. Elle passe quatre années à auditionner à Los Angeles, sans résultats, avant que les rôles ne viennent : la série Lost in Space en 2018, puis le film d’horreur Escape Room avant de remporter des lauriers mérités pour un drame produit par A24, Waves. Elle co-écrit, réalise et produit un documentaire primé en 2020, The Heart Still Hums, sur des mères SDF à Sacramento. Sans concession dans ses choix et ses goûts, elle vit à New York City, comme son idole Patti Smith dont elle aime la musique autant que les livres, on l’imagine bien droite en chemise blanche et veste noire, portant comme elle un éclair tatoué, cette fois au creux du poignet. Un éclair pour frapper et illuminer toujours là on ne l’attend pas.

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