"Invasion" est-elle une des plus belles séries de l’année ?
"L’émotion la plus ancienne et la plus forte de l’humanité est la peur. Et le genre le plus ancien et le plus fort de la peur est la peur de l’inconnu", théorisait HP Lovecraft - résumant ainsi, extralucide, un siècle de cinéma d’horreur et de science-fiction.
Un jour, donc, fond sur la planète une invasion de créatures d’origine inconnue, aux desseins troubles mais à l’impact élémentaire (en gros, annihiler l’humanité). Du désert afghan aux confins des États-Unis, en passant par Tokyo et Londres, divers destins ne se croiseront pas (tout à fait) mais partageront le même effroi sidéré, la même impuissance, le même instinct de survie et la même douleur. Celle-ci prendra différentes formes, dont une absolument bouleversante que l’on aura pas l’indélicatesse de révéler. Elle donne toute sa profondeur imprévue à l’exploration de ce topos absolu du cinéma depuis sa création - les extraterrestres, la dévastation du monde, etc. - vu mille et une fois, mais ainsi abordé, non à travers le prisme idéaliste de l’héroïsme salvateur et sacrificiel, mais plutôt celui de l’être humain dans sa banalité - un adolescent harcelé, une amoureuse inquiète, un soldat qui n’en demandait pas tant -, pas si souvent.
Ce pas de côté lui offre une profondeur, une sensibilité épidermique, imprévues dans ce contexte chaotique et anxiogène. Son refus de dissiper à tout prix la brume des mystères, courageux, ouvre toutes les portes à notre propre imaginaire, nous invitant à prendre notre place dans la série. L’on songe parfois à l’époque où M. Night Shyamalan rebattait malicieusement les cartes du genre.
Mêlant, comme par un jeu d’échos et de miroirs, ces trajectoires avec leur singularité, éclairant avec douceur (oui, vraiment, de la douceur, pour observer ces âmes blessées) ce qui les unit, leur humanité universelle, le récit sinueux mais fermement tenu, évitant les écueils des séries chorales, où l’on s’égare dans un labyrinthe d’hypothèses et de vagues souvenirs des péripéties à l’autre bout du globe, progresse, spectaculairement, parfois, mais avec une rigueur implacable.
Toujours dans le respect du lent déploiement des intrigues, on ne dira pas ce qui (nous ?) rend précisément cette série aussi attachante dans sa gestion des personnages, même ceux à peine esquissés, bouleversante sans cependant s’embarrasser de mièvrerie. Le casting fabuleux n’y est pas pour rien. Plastiquement admirable, cruelle parfois, subtile toujours, ménageant dans l’obscurité des béances lumineuses, ponctuée d’idées géniales de scénario, Invasion s’incrustera durablement par-delà nos rétines, et laissera une empreinte durable dans nos souvenirs de spectateur.
Une série créée par Simon Kinberg et David Weil. Avec Shamier Anderson, Golshifteh Farahani, Sam Neill, Firas Nassar, Shioli Kutsuna et Billy Barratt. Les trois premiers épisodes sont sortis le 22 octobre sur Apple TV+ , puis un chaque vendredi.