"DragRace Belgique" : on a rencontré Drag Couenne, la gagnante de la première saison
Officiellement couronnée Reine de Belgique, Drag Couenne a remporté la première saison de "DragRace Belgique". Rencontre.
Début avril, la chaîne Tipik diffusait la finale de la toute première saison de DragRace Belgique, où les meilleures Drag Queens du pays s’affrontaient à coup de défis aussi hilarants qu’émouvants. La grande gagnante ? Drag Couenne, au nom évocateur. Venue de Liège, cette dernière s’est confiée sans filtre à L’OFFICIEL Belgique, notamment sur son expérience dans l’émission, ses ambitions pour l’avenir et son engagement personnel dans la lutte pour les droits de la communauté LGBTQIA+. Un entretien passionnant, preuve qu’on n’a pas fini d’entendre parler d’elle.
Peux-tu décrire Drag Couenne.
C’est une Couenne ! Ce n’est pas une Queen, ce n’est pas une King, c’est une Couenne conceptuelle, fashion, politisée, mais accessible au grand public. J’ai envie que les personnes comprennent mon art, mon esthétique, même s’il est pointilleux.
Depuis combien de temps fais-tu du Drag ?
Depuis toujours. Tout le monde fait du Drag. RuPaul dit "We’re all born naked, and the rest is drag.” Le fait que les normes sociétales soient appliquées sur nous au niveau du genre, tout le monde joue à la féminité, à la masculinité, à la non-binarité… Tout le monde joue et se joue des codes donc le Drag, j’en fais depuis toujours.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans l’art du Drag ?
De voir d’autres Drags. D’aller au cabaret Mademoiselle et de voir Loulou Velvet performer, ça m’a ému.e aux larmes.
Quelle épreuve as-tu préféré ?
L’épreuve du discours de reine. Le fait d’avoir vraiment une parole et de reconnecter à la vie, en dehors de l’émission, ça m’a fait trop de bien. Après, j’ai adoré le makeover challenge, parce que j’ai pu rencontrer une personne qui, à la base, était très fermée et j’ai réussi à l’ouvrir. C’est un peu la même chose qui s’est passé avec ma famille. Le fait que moi, je m’ouvre à lui, lui s’est ouvert à moi et c’était génial.
Et celle que tu as détesté ?
Le snatch game. C’est trop compliqué.
Si tu ne devais garder qu’un seul produit de maquillage, ce serait lequel ?
Du blush. Tu peux tout rectifier si tu as envie, et si tu n’as que du blush, tu peux faire une tête rouge, et ça fait quand même quelque chose de iconique. Tu peux créer tout un personnage avec du blush.
Un secret de beauté à partager ?
Mon petit truc à moi : mon highlighter. Ce sont des paillettes irisées, dont je ne donnerai pas la marque. Ce sont des paillettes holographiques.
Reprendre le rôle de Rita dans une saison 2 de "DragRace Belgique", ça te tenterait ?
Complètement, mon rêve d’être la Queen des Queens !
Si tu ne devais retenir qu’une seule chose de l’émission ?
Les personnes avec qui j’ai travaillé pour créer mes looks. La rencontre des artistes avec qui j’ai travaillé et qui ont rendu ça possible. Et mes sœurs aussi, parce que c’est avec elles qu’on crée aussi.
Où peut-on te voir à l’œuvre maintenant que l’émission est finie ?
Au théâtre, au Varia. Dans les shows playbacks de Blanket La Goulue à Bruxelles. Ensuite, je serai au marché Drag à Paris, et peut-être au Canada dans le courant du mois d’août.
Est-ce correct de dire que ton style de Drag, c’est plutôt Kam Queen, avec un côté clownesque ?
Non, les Kam Queens généralement elles ne sont pas très fashion. Moi, je fais quand même de la mode. Ma Drag est fashion, conceptuelle, drôle… Je sais tout faire, on l’a vue dans DragRace. Je suis comédienne, je fais rire, mes looks sont on point… Je sais danser, chanter. Je ne suis pas Kam ou Fashion Queen, I’m both bitch !
Pourquoi faire du Drag, c’est politique ?
Parce qu’on va à l’encontre des normes établies par le patriarcat. On vient bousculer les choses. Après, il faut bien se dire aussi qu’il y a des levels de politiques. Il y a des Drags qui sont beaucoup moins politiques que d’autres, et c’est ok. Y a des Drags qui sont super politiques, et c’est ok. Et y en a qui sont activistes, et c’est sublime.
Quand on est Drag Queen, on est forcément militante ?
Non. Le Drag en soit est politique, mais, les Drags sont-elles toutes politisées ? Je ne pense pas.
Qu’est-ce qui différencie le Drag belge des autres Drags ?
Le fait qu’on est dans un pays de compromis. Cela fait qu’on doit réinventer notre façon de faire. Il est unique en ça je pense. On est pas si trash que les UK mais on n’est pas aussi polish que la France, qu’est-ce qu’on est ? On crée en ce sens.
Qu’est-ce qu’il a de plus que les autres ?
Son autodérision, sa simplicité, son activisme et sa monstruosité.
Comment faire pour que le Drag belge soit plus inclusif ?
Il faut se renseigner sur les collectifs qui existent et leur donner la place comme le collectif Les Peaux De Minuit. Moi, en tant que Reine de Belgique, je vais voir si je peux ramener ce collectif avec moi, ou s'il y a des bookings que je ne peux pas faire, axer mes bookings vers ces Drags-là.
Faire du Drag, cela demande aussi de l’investissement financier…
Généralement, on dépense plus que ce qu’on gagne, on n’est pas hyper bien payées. Nos répèt ne sont jamais payées dans les cabarets etc. On travaille la plupart du temps pas dans des lieux institutionnels donc on n’as pas de revenu fixe. Pour pouvoir vendre la magie du Drag, il y a énormément de travail derrière et énormément d’argent qui est dépensé.
On parle beaucoup des interventions de Drag Queen dans les écoles en ce moment. Qu’en penses-tu ?
Je trouve ça génial parce que y a beaucoup plus de problèmes dans les Eglises avec les enfants qu’avec des Drags. Y a un moment où il faut arrêter d’être de droite (rires). Un moment, réveillez-vous. Il n’y a jamais eu de problème avec des Drags dans les écoles. On sait très bien comment se comporter, ou comment s’habiller, ou comment aller dans les écoles. Ca n’a rien à voir avec le travail qu’on va faire la nuit. On peut être des Drags de jour, du matin, de nuit. On ne va jamais venir en tenue BDSM faire une lecture aux enfants ça n’aurait aucun sens. Le but, c’est d’éduquer et de partager des messages inclusifs, beaux et d’amour. Les Drags ont leur place partout.
Pourquoi c’est important de déconstruire le genre très jeune ?
Je pense que c’est importer d’y aller en douceur. Parce que ça peut être hyper violent aussi pour un enfant de ne pas capter le genre et d’arriver à l’école et de se rendre compte que ça existe. Je pense que c’est quelque chose qu’il faut expliquer dès le départ. Moi, le jour où j’ai compris ce qu’était le genre, c’est en regardant une émission à la télé, je suis allé.e voir les définitions et mon cerveau a dû prendre au moins trois, quatre jours pour capter ce qu’est la notion de genre qui se détache de la notion du sexe. Maintenant, c’est quelque chose de commun, mais quand je l’ai appris, je crois que j’avais 16, 17 ans, mais cerveau ne comprenais pas. Plus on est âgé, plus la déconstruction est difficile. C’est pour cela que c’est important d’apprendre ce qu’est le genre aux enfants, mais ça doit être guidé par les parents, en douceur.
On dit que les femmes cis sont mal acceptées dans le milieu du Drag, tu confirmes ?
Ca dépend quel milieu. Dans un milieu queer, déconstruit, activiste, les femmes cis sont les bienvenues et plus que recommandées. Moi, j’en veux de plus en plus et on en a besoin. Je pense que dans un Drag old school, non déconstruit, en effet, elles ne sont pas les bienvenues et c’est débile. Je pense qu’on a besoin de femmes tout court, transgenres et cisgenres.
Certaines personnes affirment que certaines Drag Queen participent à une course à la perfection qui coïncide avec celle imposée aux femmes quotidiennement : devoir être plus femme que femme pour satisfaire le patriarcat. Qu’en penses-tu ?
Dans le Drag, on n’essaye pas d’être des femmes. La perfection, c’est pour toucher le sublime au niveau théâtral, ça n’a rien à voir avec la vie. Dans la vie, je ne demande à personne de se maquiller, mettre des talons, des perruques, et de souffrir pour se sentir bien. Je pense que montrer le sublime au théâtre et avec le Drag, permet à plein de gens de comprendre la difficulté et de pouvoir déconstruire ça ensuite. Le fait qu’on en fasse trop, et qu’on voit la souffrance, la difficulté et le travail derrière, permet aux gens de se rendre compte que les artifices sont des artifices, et pas la réalité. On ne veut pas être la réalité. Notre but, c’est de montrer que c’est du sublime et du magnifique. Les personnes qui ont besoin de se sentir sublimées dans la vie, mettre des talons, beaucoup de maquillage, si ça leur fait du bien, pourquoi pas ? Et c’est féministe.
Dans une interview avec "Entertainment Weekly", l'actrice Melissa McCarthy a déclaré qu'elle s'était "100%" inspirée de la célèbre Drag Queen hollywoodienne Divine et d'autres Drag Queens pour incarner Ursula dans la prochaine adaptation live-action de la "Petite Sirène". Qu’est-ce que cela t’évoque ?
Ca me fait penser à un podcast, "Le grand méchant queer", qui raconte comment les méchants de Disney ont été influencés par le milieu queer. En tant que personne queer, on s’identifie à eux, et du coup, les personnes qui doivent jouer ces rôles-là s’identifient à nous. C’est bien qu’une actrice ait un rôle, mais ça aurait été génial que ce soit une Drag. Même moi, je dis que Drag Couenne est influencée par le Joker, c’est un personnage que j’adore et en même temps je m’en veux parce que je ne veux pas être dans cette boucle de prendre les personnes queer comme des vilains alors qu’elles devraient être les héros.
Vers quoi aimerais-tu évoluer en tant qu’artiste ?
J’aimerais lier la mode et mes performances et pratiques théâtrales. J’aimerais que le théâtre sorte des costumes poussiéreux et que la mode s’insinue au théâtre et vice versa. Un de mes rêves, ce serait de mettre en scène un défilé à la Fashion Week.
Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui commence dans le Drag ?
Suivre ses propres règles. Rester ouvert et regarder, manger et digérer plein de choses pour vomir sa propre popote.
Le meilleur conseil qu’on t’ait donné ?
Ouvre les portes. S'il n'y a rien de bien derrière, tu peux toujours les refermer, ça permet d’en ouvrir plus loin. Si je dis non à certains projets, c’est pas grave, parce que plus loin, il y aura mieux.