Donatella Versace nous explique ce qu'est le luxe pour sa collection automne-hiver 2023
Inspirée par une précédente collection, Donatella Versace a présenté son tout nouveau défilé mixte automne-hiver 2023 au Pacific Design Center de Los Angeles.
"Avec cette collection, je me suis mise à l'épreuve. J'ai eu l'impression de relever un défi. À Milan, je suis chez moi. Défiler à Los Angeles, c'était sortir de ma zone de confort. Lorsque je crée une collection, je veux me sentir en insécurité... Je suis peut-être folle, mais c'est cette remise en question qui m'aide à grandir et à m'améliorer". Donatella Versace s'est rendue dans la Cité des Anges pour présenter la collection automne-hiver 2023 de Versace lors d'un défilé mixte qui ouvre un nouveau chapitre dans l'histoire de la maison. Le show, programmé quelques jours avant les Oscars et mis en scène sur la terrasse du Pacific Design Center sur Melrose Avenue, présente un nouveau Versace.
"Je voulais du luxe après tout le streetwear de ces dernières années. J'ai travaillé pour renforcer les fondements de la Maison Versace, du travail de Gianni. J'ai commencé par une collection de 1995, et j'ai trouvé un désir renouvelé de tailleur, d'architecture, de formes et de coupes." Le langage esthétique de la collection révèle un certain glamour hollywoodien des grandes divas du passé. (Parallèlement au défilé, la maison de couture a organisé une petite exposition à Beverly Hills qui met en lumière la relation de Versace avec le monde des célébrités. L'exposition présentera quelques-unes des pièces les plus emblématiques Atelier Versace qui, au fil des ans, ont foulé les tapis rouges internationaux). Mais le défilé de jeudi soir annonce une contemporanéité fascinante qui prend ses racines dans une notion spécifique de l'élégance - classiquement couture avec une touche de sensualité, à la Versace. Par exemple, le tableau d'ambiance du défilé présentait des images iconiques de vêtements en cuir et de bondage, qui ont fait de Versace un nom mondial.
En marge du défilé, Donatella Versace s'est confié à L'OFFICIEL sur son choix de défiler à Los Angeles, sa définition du luxe et ses célébrités préférées du moment.
L'OFFICIEL : Comment est née l'idée d'organiser un défilé à Los Angeles ?
DONATELLA VERSACE : Cette saison, j'avais envie de changement. Bien que j'adore Milan, qui a fait de grands progrès en tant que métropole et ville de la mode avec une résonance mondiale, je voulais faire l'expérience d'un environnement différent. J'avais également envie de faire quelque chose en plein air, avec un contact plus direct et plus fort avec la nature. J'ai ressenti le besoin de créer une expérience unique et spéciale. C'est pourquoi j'ai pensé à Los Angeles, une ville que j'aime et à laquelle je suis profondément attaché.
L'O : Que représente cette ville pour vous ?
DV : Je vais souvent à Los Angeles. J'aime les deux histoires qu'elle raconte. La plus glamour : celle du cinéma et des célébrités. Mais aussi celle de la nature, des garçons qui font du sport sur la plage. Sains, beaux, athlétiques. J'aime l'idée d'une ville peuplée de gens qui se soucient de l'extérieur et de l'intérieur, au niveau de l'esprit. C'est une ville qui combine, mieux que toute autre, son âme métropolitaine et son âme naturelle. C'est une ville qui vit de la juxtaposition : la détente totale d'une part, et l'extrême mondanité d'autre part. Et nulle part ailleurs qu'à Los Angeles, ces deux opposés ne cohabitent.
L'O : Parallèlement au défilé, vous avez également lancé un programme de bourses destiné aux étudiants en mode issus de la communauté LGTBQ+, soutenu par la Fondation Versace et le Council of Fashion Designers of America (CFDA).
DV : Oui, c'est une initiative à laquelle je crois fermement. Ce fut un véritable honneur de me rendre au LGBT Center de Los Angeles pour lancer officiellement ce programme de mentorat mis en place avec le CFDA, afin de soutenir les jeunes étudiants de la communauté LGBTQ+, tout en interagissant directement avec eux. Il est très important pour moi de pouvoir témoigner directement du travail incroyable de cette organisation. Le soutien que cette communauté apporte aux personnes dans le besoin est inestimable, et je suis ravie d'offrir ma contribution pour les aider dans le travail extrêmement impératif qu'ils accomplissent.
L'O : Quelle est la part de Donatella Versace dans la Cité des Anges ?
DV : Je viens souvent ici en vacances car je suis très attachée à cette ville. Elle me parle profondément. Elle est privée, intime et sainement isolée. Il y a un visage banal à la ville, un visage qui est éclairé par les projecteurs. Mais c'est aussi une ville généreuse. Elle inspire. La révolte créative underground permet des regards novateurs sur l'art, la sculpture, la littérature. Los Angeles est une usine à ciel ouvert, un lieu de rencontre pour la nouveauté... ou du moins pour l'expérimenter. Los Angeles est un laboratoire où l'on est invité à écrire l'avenir.
L'O : Cette idée d'expérimentation se retrouve-t-elle dans la nouvelle collection ? Comment s'est déroulé le processus créatif qui vous a conduit aux vêtements présentés sur le podium ?
DV : J'ai commencé par un mot : l'élégance. D'autant plus que ce défilé a lieu quelques jours avant les Oscars. Cela me rappelle les actrices élégantes et emblématiques du grand écran. Elles avaient une vie personnelle relativement privée, mais lorsqu'elles foulaient le tapis rouge, elles étaient prêtes à incarner un charme époustouflant, un chic incroyable. J'ai toujours imaginé que c'était là le véritable glamour de L.A. Au cours de mon parcours créatif avec cette collection, j'ai repensé à l'une des collections de Gianni datant de 1995. Nous avons fait une séance photo avec Richard Avedon, Kristen McMenamy et Nadja Auermann à Los Angeles. Je voulais incarner ce besoin de quelque chose de plus structuré, de mieux taillé, de plus habillé pour cette saison.
L'O : Cette saison est donc un peu un adieu à l'univers du streetwear pour embrasser une idée d'élégance classique ?
DV : Oui, il faut revenir au tailleur et penser un peu moins streetwear. Je voulais du vrai glamour, du discret, de celui qui n'est pas seulement fait de paillettes et de brillants. Je voulais vraiment habiller la femme, lui donner une silhouette pleine de charme. Et pour les looks masculins, je suis allée dans la même direction.
L'O : Votre manifeste semble reposer sur un retour à l'essence du tailleur...
DV : Oui, il s'agit d'affiner un nouveau concept autour du tailleur. Il faut aussi prendre en compte ce que veulent les jeunes femmes. L'essence de la mode, c'est une veste, une robe, coupée à la perfection pour mettre le corps en valeur. Il faut éliminer les fioritures "esthétiques" qui découlent du stylisme. Je l'ai déjà fait, mais cette saison, je me suis vraiment concentrée sur l'architecture de la robe.
L'O : Et pour revenir au luxe...
DV : Le mot luxe a été galvaudé par le passé. Le luxe a une signification précise, surtout dans le monde de la mode. Et Versace est une maison de luxe. La simplicité. Je pense que c'est ce qui représente le vrai luxe aujourd'hui : un tissu opulent et unique avec une coupe parfaite. Cette saison, je voulais du luxe. Pas de broderie, pas de superstructure, pas de clinquant. Mais de l'architecture. Des coupes et des structures. Si je devais résumer en un mot cette saison et mon futur travail pour la Maison, je dirais que c'est l'essence même du luxe.
L'O : Si vous deviez choisir un vêtement et une couleur pour représenter votre idée de l'élégance aujourd'hui, que choisiriez-vous ?
DV : Le noir, tout d'abord, comme couleur symbolique. Une petite robe noire pour le vêtement : une pièce intemporelle que même Gianni a relue, repensée, recréée plusieurs fois. Tout le monde veut avoir dans son armoire une petite robe noire parfaite qui lui permette de se sentir belle. C'est le vrai luxe d'aujourd'hui. Pas nécessairement de la couture, mais un retour aux sources de cette Maison. Pour moi, le vrai luxe réside dans la perfection d'une silhouette, dans la construction d'une robe.
L'O : Vous avez souvent mentionné les archives et l'histoire de la Maison comme source d'inspiration pour cette saison... Comment interagissez-vous avec l'histoire de Versace ?
DV : Je n'ai pas besoin d'aller aux archives pour me souvenir de l'histoire de Versace : tout est dans ma tête. Je préfère ma mémoire à la réalité. Je n'ai même pas sorti d'anciens vêtements lorsque j'ai commencé à dessiner pour cette saison. J'ai préféré que les couturières et l'équipe créative de l'Atelier relisent le passé avec leurs yeux et leurs pensées d'aujourd'hui. J'aime vivre le présent et découvrir l'avenir avec les yeux d'un enfant curieux.
L'O : Tout au long de votre parcours créatif, vous avez esquissé l'image d'une femme spécifique. Et voici le nouveau départ d'une mosaïque articulée et évolutive. Comment définiriez-vous la femme Versace aujourd'hui ?
DV : Le luxe, en un mot. C'est une femme luxueuse. Elle porte une garde-robe architecturale, faite de coupes et de tissus magnifiques. La perfection. Une robe parfaite est le plus beau cadeau que l'on puisse faire à une femme. Lorsqu'une femme se sent belle, confiante et forte dans une robe, c'est le plus beau cadeau qu'elle puisse recevoir. Cela signifie que j'ai bien fait mon travail. La femme Versace d'aujourd'hui, hein ? Il n'y en a pas qu'une seule, et ce n'est jamais la même femme. Un jour, elle peut être Dua Lipa, et le lendemain, elle peut être une femme sophistiquée qui aime porter une féminité puissante. Choisir Versace, c'est s'offrir un petit rêve, celui du luxe, de la perfection, de la force. Il n'y a pas vraiment une seule femme Versace... S'il n'y avait qu'une seule femme Versace, je serais en colère. Et il en va de même pour l'homme Versace. Je n'aime pas parler d'un homme ou d'une femme Versace, mais d'une communauté.
L'O : Au cours de toutes vos années de carrière, avez-vous jamais eu l'impression d'avoir "réussi" ?
DV : Le plus beau moment est celui que l'on n'a pas encore vécu ! Je ne pense pas au passé. J'ai toujours été excité par l'avenir, par ce qui reste à venir. D'ailleurs, même aujourd'hui, je n'ai pas l'impression d'avoir "réussi". Je ne pense pas que cela arrivera un jour, heureusement. J'ai beaucoup de choses à dire, beaucoup d'idées, et même beaucoup d'autres projets. Une vie ne suffira pas à les réaliser tous. Ou peut-être que si, nous verrons...
L'O : Y a-t-il eu un moment particulier ou une personne en particulier qui vous a aidé à grandir ?
DV : J'ai eu beaucoup de chance. J'ai rencontré des artistes merveilleux et vécu des moments que je n'aurais jamais pu imaginer. J'ai beaucoup d'amis très talentueux. Les voir plongés dans leur travail ou simplement converser avec eux est une source d'inspiration et de croissance continue.
L'O : Quelle est votre relation avec les célébrités aujourd'hui, sachant que vous avez eu la chance de travailler avec les plus grandes d'entre elles ?
DV : C'est une relation très personnelle et intime. Si je ne connais pas une célébrité, je ne peux pas travailler avec elle. Je ne peux pas imaginer comment l'habiller. Le meilleur travail avec une star vient d'échanges mutuels. Avec Dua Lipa, par exemple, nous sommes amies. Cela m'aide à comprendre comment créer pour elle. Avec nos célébrités, j'essaie d'établir un lien particulier. J'écoute leurs paroles, leurs émotions, leurs peurs. Elles doivent monter sur scène devant le monde entier, et ce qu'elles portent peut devenir une aide pour leur donner plus de sécurité, leur donner un petit super pouvoir.
L'O : Qui aimez-vous parmi les célébrités d'aujourd'hui ? Y a-t-il quelqu'un qui vous a séduit ?
DV : Il est très difficile d'en choisir une seule... En ce moment, peut-être Doja Cat. Je l'aime bien. C'est une personne qui ne cesse de réfléchir, d'oser, de repousser les limites, d'expérimenter. C'est une fille exceptionnelle, très intelligente et qui a un sens incroyable de la mode. Mais ce que j'aime le plus chez elle, c'est sa capacité à se transformer en s'habillant. C'est une femme audacieuse, semblable à Madonna dans les premières années de son travail. Je l'adore. C'est l'une des femmes les plus intuitives et les plus créatives du moment.
L'O : Quel est votre rêve pour Versace ?
DV : J'aimerais qu'ils me laissent faire ce que j'ai fait dans cette collection. [Rires] Blague à part, je veux être capable de comprendre ce qu'est Versace. Comment, même aujourd'hui, elle est si unique dans le paysage mondial. C'est un véritable luxe. Je veux m'assurer que cette maison reste pertinente, non seulement dans le domaine de la mode, mais aussi dans la conversation culturelle mondiale.