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Comment les bijoux de deuil aident à surmonter la perte d'un être cher ?

Dans l'obscurité, les étoiles brillent et des myosotis étincelants, symboles d’amour éternel, apparaissent. De plus en plus de gens transforment leur chagrin en bijoux. Rencontre avec deux créatrices à propos du pouvoir réconfortant des objets esthétiques.
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"Je fabriquais depuis des années des bijoux sous forme de noms, et j’en concevais souvent le design avec ma propre écriture. Un jour, on m'a demandé d’écrire le nom d’une mère décédée. Ça m’a semblé être une mauvaise idée de le faire de ma propre main, alors j'ai demandé à ma cliente si elle n’avait pas conservé des mots manuscrits de sa mère. Pour moi, il s’agissait d’un aspect technique, pour elle d’une mission extrêmement troublante qui l'a fait replonger dans les affaires de sa maman et dans son propre chagrin. Bien entendu, je n’avais pas l’intention de lui faire de la peine, et elle m’a confié par la suite que ça lui avait fait énormément de bien, qu'elle avait eu l’impression de franchir une nouvelle étape dans son processus d’acceptation. J'ai ressenti pour la première fois l’impact énorme que mon travail pouvait avoir sur quelqu'un." Basée à Hasselt, la créatrice Veronique Sneyaert crée des bijoux de deuil en souvenir des êtres chers. Ce sont parfois des dessins abstraits, mais en général des créations sur mesure pour garder un être aimé disparu constamment près de soi. Elle les réalise à partir d'une écriture, d'un dessin, d'une empreinte digitale ou même avec des cendres. "L’histoire et les souvenirs sont essentiels. Chaque bijou commence par une conversation qui me permet de savoir ce qui est important : un mot, un bijou ancien, une forme bien précise. Ça peut être quelque chose de très discret et d'ordinaire, le principal est que ça corresponde à la personne qui va porter le bijou. Pour l'une, il s'agit d'une bague évoquant l'écriture de sa grand-mère, pour l'autre d'un bracelet orné d’une perle provenant des boucles d'oreilles de sa mère. De mon côté, j’entame toujours une quête pour trouver ce truc particulier, et je me suis ainsi découvert un talent caché : je suis manifestement très douée pour écouter. Je pense qu'une approche personnelle et une oreille attentive représentent de nos jours une forme de luxe : nous vivons dans un monde où nous nous sentons traqués et n’avons plus de temps pour nous. Chez moi, on n’entre pas dans une boutique anonyme. Pas question de relation client/vendeur distante, chacun peut raconter son histoire. Le deuil est reconnu et c’est gratifiant en soi. Beaucoup de gens entament ce processus en ligne et préfèrent raconter leur histoire dans un e-mail, ce qui leur procure déjà un certain soulagement. En ce sens, mon formulaire de contact a un effet thérapeutique."

Dans la société occidentale, le deuil se fait traditionnellement en silence. Là où d'autres cultures célèbrent un départ avec exubérance, le chagrin reste chez nous quelque chose de pénible. Nous préférons nous débarrasser le plus rapidement possible des émotions difficiles qui l'accompagnent. Nous ne prenons pas suffisamment le temps de réfléchir à certains sentiments, à des souvenirs et à ces petites choses qui pourraient justement nous donner la force de rebondir. Pour exprimer ses émotions, l'Occident n'a jamais été très doué de toute façon, mais le deuil était autrefois davantage lié à l’apparence. Pendant des siècles, des codes vestimentaires complexes étaient d’application pour tous ceux qui venaient de perdre un être cher. En plus d'une garde-robe stricte, noire comme le jais, ceux-ci portaient d'imposants bijoux de deuil, une tendance qui a atteint son apogée au XIXe siècle. Comme la mort rôdait constamment au coin de la rue à cette époque, le deuil a fini par faire partie du quotidien. Les portraits miniatures et les urnes sont devenus partie intégrante du paysage. La reine britannique Victoria, célèbre pour les décennies de deuil qu'elle s'est infligées après la mort de son mari le prince Albert, a même réussi à lancer une tendance assez particulière. Elle a fait fabriquer un ensemble de bijoux à partir des cheveux d'Albert, et cette pratique s’est répandue partout en Europe. Après sa propre mort au début du XXe siècle, cette tradition s'est éteinte et le deuil est plutôt devenu une affaire privée. 

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© D.R., Joke Timmermans

Ces dernières années, la demande de souvenirs à porter s’est accentuée. "Je pense qu’on a besoin de quelque chose de tangible, de petit, en contact direct avec la peau. Certaines personnes me demandent aussi explicitement de réaliser un pendentif pour qu'il puisse être porté près du cœur, ou elles veulent une empreinte digitale parce que c'est quelque chose de rugueux, qu’elles peuvent toucher", constate Veronique. "Nous avons un rapport très tactile aux bijoux. Enrouler une chaîne autour du doigt, jouer avec une bague, attraper une boucle d'oreille sont autant de gestes inconscients et réconfortants. Par ailleurs, la tristesse est moins taboue aujourd’hui, et on se sent enfin autorisé à exprimer nos sentiments et à raconter notre histoire." Même si on ne sait pas toujours comment s’y prendre.

Stories By Mabel est une organisation d'écrivains et d'orateurs qui prennent la parole lorsqu’un grand silence semble s’être abattu sur nous. Après avoir passé des années à décorer des mariages, ils ont décidé de faire de même pour les cérémonies d'adieu. Lieke Biesemans est la tête pensante du groupe : "Il y a une nouvelle génération qui ne veut pas faire son deuil de manière froide. Je pense que dire au revoir à quelqu’un ne doit pas forcément être moche. Lorsqu'un adieu est beau, chaleureux et personnel, il a un impact sur le reste du processus de deuil. J'en fais l'expérience auprès des familles que j’accompagne : en prenant l'adieu en main et en lui donnant la tonalité qu'elles choisissent, elles prennent le contrôle d'une situation qui leur échappait au départ. Bien sûr, il faut s'habituer à l'idée d'égayer volontairement les choses, nous ne sommes pas conditionnés pour penser comme ça, mais ça fait du bien à tout le monde." Ce changement de mentalité est particulièrement perceptible dans le cas d’enfants mort-nés. Veronique : "Autrefois, on n'en parlait pas, mais ces dernières années, de nombreuses mères m'ont demandé un souvenir de leur bébé. On sent vraiment qu'il y a plus de place pour ce genre de deuil. Par exemple, une cliente a récemment dû faire face à la mort prématurée de sa fille après avoir eu trois enfants en bonne santé, et cette disparition a révélé que sa propre mère avait aussi perdu un fils à la naissance. J'ai créé un bijou pour les deux femmes, chacun avec des pierres spécifiques se référant à chaque enfant perdu, ce qui a beaucoup touché la grand-mère. Ça illustre bien la différence entre deux générations, ainsi que la capacité d’un bijou à raconter une histoire spécifique."

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© D.R.

Melanie Van Dooren est connue pour ses bijoux sur mesure, et en particulier ses "bagues narratives" : "Je fabrique des bagues que l'on peut superposer, une pour chaque étape importante, et qui racontent réellement l'histoire d’une vie. Certains clients me demandent de transformer une bague de leurs grands-parents en un nouvel objet, d'ajouter une pierre avec une signification particulière ou une image ornée des initiales d'un enfant. Ces demandes défient parfois ma créativité, mais tout est possible et j’obtiens des résultats très personnalisés. C'est ce que les gens demandent de nos jours : un objet esthétique et original pour porter leur histoire de manière sobre et pudique." Parce que la discrétion reste de mise. Oubliez les lugubres tendances victoriennes, même les bijoux de deuil avec des cendres peuvent être fins, beaux et élégants. "Il y a beaucoup de bijoux sur le marché, mais ils sont effectivement encombrants et lourds", souligne Veronique. "Les gens se retrouvent alors véritablement avec un tube autour du cou et celui-ci suscite à coup sûr des questions, auxquelles ils n’ont pas envie de répondre. Ils ne veulent surtout pas porter leur deuil comme un écriteau. C'est pourquoi mes créations sont très petites et comportent une minuscule cavité dans laquelle je dépose des cendres avec une petite pince. Par exemple, j'ai récemment réalisé un pendentif avec une lune en argent pour la maman d'un enfant mort-né. Le bijou contient une partie des cendres de son fils, mais personne n'est censé le savoir : pour quelqu'un d'autre, c'est un collier ordinaire, pour elle c’est un bijou particulier et intime."

"Enrouler une chaîne autour du doigt, jouer avec une bague, attraper une boucle d'oreille sont autant de gestes inconscients et réconfortants."

La demande de durabilité joue également un rôle dans la résurgence des bijoux de deuil. En ligne ou en s’adressant aux pompes funèbres, on peut facilement écrire un nom sur un collier, mais c’est extrêmement pénible de voir ce type de bijoux se casser ou se décolorer après quelques années parce qu'ils sont de mauvaise qualité. On demande souvent à Melanie de fondre de l'or pour en faire une nouvelle création. "Les gens ont envie d’un bijou permanent et regrettent que les bagues des grands-parents par exemple prennent la poussière au fond d’un tiroir. C'est une bonne chose de leur donner une nouvelle place aussi. L'un des plus beaux ensembles que j'aie jamais réalisés était pour deux sœurs qui avaient perdu leurs parents. J'ai fondu leurs deux alliances pour en faire deux nouvelles bagues, une pour chaque sœur." Ainsi, une bague, symbole d'éternité, conserve pour toujours les beaux souvenirs. Ou comment rendre l'insupportable un peu plus (sup)portable.

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