Rencontre avec Tiemen Bormans, l’étoile montante du Ballet royal de Flandre
C’est à 7 ans que Tiemen Bormans se retrouve pour la première fois à la barre. "Une expérience intimidante pour un petit garçon… La discipline du ballet peut vraiment faire des dégâts mais elle peut aussi être une révélation". Depuis lors, la vie de Tiemen Bormans est dédiée à la danse. Il débute à l'École royale de ballet d'Anvers, avant d’obtenir une place permanente au Ballet royal de Flandre. Depuis quatre ans, le jeune homme de 22 ans fait partie intégrante du corps de ballet : "Le cliché voudrait que la danse classique soit un monde très rude dominé par la compétition et la jalousie, mais dans les faits la compagnie s’apparente plutôt à une grande famille."
"Comme dans beaucoup d’autres troupes classiques, il y a une hiérarchie stricte : les stagiaires qui sortent de l'école, le corps de ballet, les demi-solistes, les solistes, les premiers solistes et enfin les étoiles. Je fais toujours partie du corps de ballet, ce qui est logique : je n'ai que 22 ans, et j'ai encore beaucoup à apprendre et à prouver. Mais tout ça est très enrichissant. Un solo, c'est bien sûr incroyable, et la sensation d'avoir tous les yeux rivés sur soi est puissante, mais en groupe, c'est super excitant de sentir vibrer l'énergie des autres danseurs. Quand la fatigue commence à se faire ressentir, on lutte ensemble pour la surmonter. Et si les choses se passent bien, c’est l'euphorie générale. De plus, le Ballet royal de Flandre s’est modernisé avec le temps, il y a plus de solos qu'auparavant et en tant que danseur du corps, on peut être sélectionné comme soliste occasionnellement. Bien sûr, nous restons des êtres humains et il y a toujours une certaine jalousie. Mais nous savons tous à quel point nous sommes déterminés et persévérants. La solidarité et la générosité sont omniprésentes."
"C'était un énorme challenge de choisir le ballet à l'âge de huit ans, mais mes parents m'ont toujours soutenu. Ils disent que j'ai beaucoup mûri et que je rayonne sur scène. Autrefois, ce qui n’était alors qu’un hobby m’a valu des moqueries. Le ballet est associé aux filles, mais je conseille aux parents de laisser leurs fils s’essayer à la danse, et de les soutenir. Les garçons doivent aussi pouvoir s'exprimer et se faire une place dans ce monde. Nous n’avons rien à perdre, tout à gagner ! Aujourd’hui, les élèves de l'école de ballet me disent qu'ils ont choisi la danse après m'avoir vu travailler. C’est surréaliste... J'ai encore beaucoup à apprendre et un long chemin à parcourir, mais parvenir à susciter l’envie de danser chez quelqu’un, ne fut-ce qu’une personne, c’est énorme."
"Les ballets les plus célèbres sont des contes de fées séculaires. Ils sont magnifiques, mais nous devons raconter une autre histoire. La danse est un puissant levier sur le plan social. L'année dernière, nous avons donné une représentation traitant d'esclavage et de racisme. C'était très perturbant de danser avec condescendance devant des collègues noirs incarnant des esclaves. Nous avons un message à transmettre. Dans cette optique, il est parfois nécessaire de choquer et de sortir de sa zone de confort. La danse est le produit d’une histoire mouvementée, faite de différentes couches. Pour moi, il s’agit d’un art à part entière, au-delà d’une technique."
"La scène est le lieu rêvé pour sortir de sa zone de confort et arrêter de trop réfléchir. Personnellement, je me contente de sentir chaque muscle et chaque mouvement. Vous savez que nous avons une mémoire musculaire ? À force de répéter, les muscles finissent par suivre cette routine. Il suffit alors de mettre son esprit en veille et de laisser le corps prendre le contrôle. C’est très étrange. C'est aussi pourquoi je préfère la danse moderne, la technique est moins précise, je peux me laisser aller davantage. Personnellement, j'aime les rôles physiques, qui exigent le maximum du corps : on est trempés de sueur, nos lèvres sont pâles, notre cerveau est sur off, le sang nous monte à la tête, et pourtant on fournit un effort ultime : on pousse notre corps dans ses derniers retranchements, jusqu'à tomber d’épuisement !"
"Je répète sept jours sur sept pendant environ huit heures, après quoi je passe une heure et demie au gymnase. Je sais que je ne pourrai pas traiter mon corps de cette façon toute ma vie. La danse n’a pas vraiment de date limite, mais les carrières s'arrêtent en moyenne vers le milieu de la trentaine, du moins à un niveau très élevé. Cela ne me fait pas peur, nous dansons par passion, pas pour l'argent ni la gloire. Les danseurs travaillent au moins aussi dur que les autres athlètes, mais on ne gagne pas grand-chose. Il est possible de continuer à travailler une fois que les meilleures années sont derrière nous. Certains collègues changent d’orientation et reprennent des études. D'autres deviennent chorégraphes ou enseignants. Cette idée me plaît : transmettre ma passion, rendre l'énergie palpable, pour que la prochaine génération puisse danser jusqu’à n’en plus finir !"