Rencontre avec Tahar Rahim, à l'affiche de "Désigné coupable" et "Le Serpent"
Photographie : Raul Ruz
Stylisme : Simonez Wolf
Malgré les débuts compliqués de l'année 2021, Tahar Rahim récolte déjà les fruits de son travail sur le grand et le petit écran. Ce printemps, l'acteur français sera à l'affiche du film Désigné coupable, basé sur les mémoires de Mohamedou Ould Salahi, "Guantanamo Diary", qui a été emprisonné par le gouvernement américain au camp de détention de Guantanamo Bay sans inculpation ni procès pendant 14 ans. Aux côtés d'un casting étoilé comprenant Jodie Foster, Shailene Woodley et Benedict Cumberbatch, la performance expressive de Tahar Rahim a valu à l'acteur une nomination aux Golden Globes. On peut également le voir dans la série Le Serpent, produite par Netflix et la BBC, dans laquelle il incarne le véritable tueur en série Charles Sobhraj, un voleur français qui a assassiné des touristes en Asie du Sud-Est au milieu des années 1970. Ces deux rôles, bien que très éloignés l'un de l'autre, confirment les attentes élevées qui suivent Rahim depuis sa double victoire aux Césars en 2010 pour sa performance décisive dans Un prophète.
L'OFFICIEL : Comment vous-êtes vous glissé dans la peau d'un tueur en série ?
TAHAR RAHIM : C'est un sacré processus ! En général, il m'est plus difficile d'entrer dans un personnage que d'en sortir, et c'était encore plus difficile pour "Le Serpent". J'avais du mal à comprendre comment quelqu'un pouvait tomber dans le piège [de Sobhraj] et saisir son extrême manque d'empathie, alors, plutôt que d'entrer dans sa tête, j'ai travaillé de l'extérieur. J'ai écouté les cassettes, lu les témoignages et discuté avec ceux qui l'avaient rencontré. La transformation physique m'a également aidé : la perruque, le maquillage, l'épilation et la musculation. J'en suis aussi venu à le considérer comme un cobra - tout à coup, il pouvait mordre.
Vous avez déjà travaillé avec le réalisateur de "Désigné coupable", Kevin Macdonald, sur "L'aigle de la neuvième légion" en 2011. Comment était-ce de retravailler ensemble ?
Lorsque Kevin m'a envoyé le scénario [de "Désigné coupable"], j'ai été très ému, et j'ai immédiatement accepté. Face au courage de Kevin de faire ce film, à sa bataille pour le faire financer en ces temps complexes, et au sujet controversé, j'avais tellement d'admiration pour lui. Et même au-delà du scénario, de la réalisation et du casting, l'histoire de Mohamedou Ould Salahi mérite d'être racontée.
Est-ce que Salahi l'a vu ?
Oui, et il a aimé. Quel soulagement ! Je me suis senti responsable... il n'était pas question de le décevoir ou de minimiser son expérience. J'ai cherché en moi ce qu'il avait dû ressentir : la douleur, la honte d'être torturé. Le premier jour [du tournage], j'ai refusé les menottes en mousse et j'ai choisi de porter de vraies menottes. J'avais quelques blessures tout au long du tournage, et j'ai également suivi un régime extrême pour le rôle. Cet état d'épuisement m'a permis de creuser profondément mes émotions.
Vous avez dû apprendre l'arabe hassani pour jouer Salahi. Vous avez parlé arabe, corse, gaélique écossais et français dans vos films précédents. Etes-vous un citoyen du monde ?
Pendant le tournage, j'ai parlé le libanais, le gaulois ancien et l'arménien. C'était amusant d'apprendre toutes ces langues. Avant de devenir acteur, mon projet était de prendre un sac à dos et de voyager à travers le monde. Dans l'immeuble où j'ai grandi, il y avait des gens qui venaient de partout, tant géographiquement que socialement. Nous étions tous mélangés, nous goûtions tous les plats, nous écoutions toutes les histoires des pères et grands-pères immigrés qui nous parlaient de l'Asie, de l'Afrique, du Maghreb et de la France d'antan. De plus, étant la plus jeune d'une famille nombreuse, j'étais exposé aux points de vue de personnes qui avaient entre 10 et 20 ans de plus que moi.
Comment avez-vous fait face à la pandémie ?
Je ne veux pas trop me plaindre. Tant de personnes dans ce monde vivent un enfer. Je suis reconnaissant d'avoir ma femme, mes enfants, mes amis, une maison et un travail - c'est ce qui compte le plus, toujours. Évidemment, les routines et les petits bonheurs de la vie quotidienne me manquent, comme aller prendre un café ou aller à la salle de sport. Pour me remonter le moral, je regarde des concerts, où j'arrive parfois à sentir la foule, le rythme et la sueur. Michael Jackson, Stevie Wonder, U2, Marvin Gaye, Bob Dylan, leur musique me rend heureux.
"Le Serpent" et "Désigné coupable" traitent de la brutalité à leur manière. Y a-t-il d'autres moments cinématographiques violents qui vous ont marqué ?
Il y en a deux très différents. Le premier m'a mis profondément mal à l'aise, car il était aussi parfaitement réalisé que grotesque. C'est la scène de l'extincteur dans "Irréversible" de Gaspar Noé. Cette tête qui s'écrase sur les coups... c'était tellement réaliste ! La seconde est tirée de "Django Unchained" de Quentin Tarantino, qui montre le personnage de Jamie Foxx en train de tabasser l'un des frères Brittle. Après avoir vu les actes racistes perpétrés tout au long du film, le spectateur apprécie presque la violence.
Et quelles scènes d'amour ont résonné en vous ?
J'aime quand quelque chose est laissé à l'imagination. Il y a un passage dans "Little Big Man" d'Arthur Penn, avec Dustin Hoffman et Faye Dunaway, où leurs pieds s'entremêlent... c'est merveilleux. Je me souviens aussi de la scène de l'escalier dans A History of Violence de David Cronenberg, car il ne s'agit pas seulement de sexualité brute, qui ne m'intéresse guère, mais aussi de la révélation psychologique d'un personnage.
CHEVEUX Ludovic Bordas
MISE EN BEAUTÉ Anne Bochon
ASSISTANT PHOTO Enzo Farrugia
ASSISTANT STYLISTE Seraphine Bitard