Hommes

Namacheko : pourquoi il faut connaître ce label belgo-irakien pour hommes ?

Namacheko : un nom à la sonorité difficile à identifier, tout comme le duo de frère et sœur qui dirige le label, né en Irak, élevé en Suède et basé en Belgique. Tour du monde en quelques modèles qui font mouche.
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"Parfois, j'entends des cris." Voilà ce qui arrive quand un centre de jeux de réalité virtuelle ouvre ses portes sous votre studio... Des gens disparaissent dans une autre réalité pendant le processus de création de Dilan Lurr, designer de Namacheko. D'une certaine manière, c’est également ce qu'il fait : il regarde, écoute, s’évade et pénètre dans son propre monde, d'où il rapporte en guise de souvenirs de merveilleux vêtements androgynes pour homme. Son côté rêveur est plus que jamais perceptible dans la dernière collection du label, judicieusement baptisée Somnanbulism : les mannequins ont défilé sur le podium avec des édredons qui portaient littéralement l'empreinte de leurs songes. Namacheko réussit ce que peu d'autres enseignes parviennent à faire de nos jours : offrir un moment de silence au milieu du vacarme ambiant. Cela fait maintenant trois ans que la marque a vu le jour, fécondée presque par accident par le duo de frère et sœur Dilan et Lezan Lurr. Leur histoire se déroule à vive allure, se lit comme un livre et commence par une vidéo. "Nous sommes nés au Kurdistan, mais avons déménagé en Suède avec nos parents dès notre enfance. Là-bas, nous avons passé de bons moments et avons été traités correctement, mais en tant que seule famille de migrants dans un environnement à prédominance occidentale, nous avons fini par nous sentir comme le vilain petit canard. Nous n’avons pas toujours assumé notre identité avec fierté, jusqu'à ce que nous rendions visite à notre famille en Irak pour la première fois depuis longtemps. C'était le début de l’État islamique à l’époque, qui sévissait principalement dans notre région d'origine. Nous avions des cousins sur le front, des gens qui se battaient pour leur liberté, et avons pensé qu'il serait important de leur consacrer un court métrage. Pour cela, nous avons conçu des costumes dans des tissus utilisés traditionnellement pour confectionner des robes de mariée – soie lourde et organza. Le film a été projeté dans une galerie parisienne et un concept-store local nous a demandé de fabriquer les costumes à plus grande échelle et de les mettre en vente par leur intermédiaire. Nous l'avons fait, et avant que nous nous en rendions compte, d'autres magasins sont venus frapper à notre porte. Tout cela n’a cessé de prendre de l’ampleur, et moins d'un an plus tard nous étions à la Fashion Week de Paris pour présenter notre propre défilé – même si nous n'étions pas encore un label en tant que tel. Puis nous avons décidé de créer notre marque, sous le nom de Namacheko – ça sonne bien, bien que ça n'ait aucun sens. Nous aimons avoir un nom que personne ne peut placer : les gens ne savent pas d'où il vient et peuvent lui donner la signification qu’ils veulent."

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Les looks de Namacheko regorgent également de sens et de messages cachés. "J'aime jongler avec des réalités différentes. Lorsque nous travaillions sur notre film, ma sœur et moi parlions souvent de la vie que nous aurions normalement dû avoir en Irak. Pour elle, c'était une sinistre réalité, dans laquelle les femmes ont toujours moins de droits que les hommes. Nous voulions aborder cette thématique avec discrétion et jouer avec les rapports de force existants. C'est pourquoi nous avons habillé nos cousins avec des tissus typiquement féminins." La mode fonctionne-elle comme un commentaire sur le monde ? "Oui et non. Je ne pense pas qu'il faille parler pour parler. De nos jours, on dirait que tout le monde doit avoir une opinion sur tout. Je pense qu'il est plus judicieux de partager quelque chose uniquement si c'est personnel et honnête. Notre histoire était la nôtre, pas nécessairement une histoire spéciale d'ailleurs, et elle véhiculait notre point de vue sur l'intégration et les droits des femmes. Je pense que notre authenticité touche une corde sensible quelque part et peut expliquer nos débuts prometteurs. Pour la collection FW20/21, Dilan a fait équipe avec le photographe américain Gregory Crewdson, qui s'intéresse tout particulièrement au rêve américain et surtout à la vie idyllique des banlieues. Les immigrants originaires du Moyen-Orient ont une image particulière de l'Amérique, une vision idéalisée de la vie dans ses banlieues parfaites. La façon dont Gregory Crewdson aborde ce sujet me fascine. Ses photographies s’apparentent à des scènes de film, des instantanés où la grisaille l’emporte sur le clinquant. D'où notre idée de "rêves obsédants" : nous avons imprimé des scènes de cauchemars sur des capes en tissu duveteux, parce que ceux qui les portent ne peuvent pas s'en débarrasser. Regardez l'image de la femme au foyer parfaite, nue et ensanglantée, perturbant un dîner de famille idyllique : cela va longtemps hanter le sommeil de sa fille, pour l’heure confortablement assise à table."

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Dilan Lurr

Et vous, qu'est-ce qui vous hante ? "Les coups de téléphone de ma sœur Lezan !Dilan est le cerveau créatif, alors que sa sœur cadette s’occupe, en tant que CEO, de l’aspect financier de l'entreprise. Elle travaille depuis Londres, et Dilan s'est installé à Anvers pour être plus proche du site de production – Namacheko est en grande partie fabriquée en Belgique. "C'était une démarche logique pour nous : elle a toujours été mieux organisée, et j'ai toujours eu ce côté créatif. Pendant nos études en Suède, nous vivions ensemble et déjà à l’époque elle m'appelait plusieurs fois par jour pour me donner des ordres. Je suppose que le fait de partager notre lieu de vie représentait une bonne façon de démarrer une relation de travail. Nous ne sommes pas toujours sur la même longueur d'onde, et heureusement car nous connaissons tous les deux nos points forts. Lezan n'intervient pas dans le processus créatif, et je ne me mêle pas de son travail. Pour moi c'est un rêve de pouvoir travailler avec ma sœur, même s’il y a parfois des incompatibilités d’humeur. Mais comment pourrait-il en être autrement ?" La vitesse à laquelle Namacheko, à l’origine une vidéo amateur appréciée çà et là il y a à peine trois ans, se développe, est stupéfiante. Comment gérez-vous ce rythme effréné dans un monde qui ne jure que par la slow fashion ? "Ce sont deux choses différentes ! À mes yeux, il y a de la place pour une saison d'été et une saison d'hiver, et il n'est absolument pas nécessaire d'ajouter d'autres collections. J'aime les pièces uniques, intemporelles. Je déteste la surconsommation. J'apprécie la croissance rapide de notre entreprise parce que je n'aime pas me reposer sur mes lauriers. Je n’ai pas du tout envie de me retrouver à rien faire derrière mon bureau pour profiter de mon succès. Je pense que celui-ci peut étouffer la créativité des designers. Laissez-moi donc mener une vie trépidante. Ne me demandez pas où je vois Namacheko à long terme, car je n'en ai pas la moindre idée. Et heureusement."

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