Food

Lily Joan Roberts : rencontre avec la cheffe anversoise qui réinvente la food végétale

Une chevelure rousse flamboyante, un tatouage de feuilles virevoltant le long de la poitrine et un whisky aux herbes aromatiques à la main... Rencontre avec Lily Joan Roberts, cheffe star.

D’ordinaire,on se fait du chef une représentation très rock'n’roll : de hautes flammes en arrière-plan, des manches retroussées qui dévoilent des avant-bras tatoués et des petits yeux qui suggèrent les nuits blanches d'un artiste de la cuisine. Lily Joan Roberts ne s’inscrit pas tout à fait dans cette ligne, et pourtant. L'entrepreneuse anversoise, chef herboriste, nutritionniste fonctionnelle et ancienne mannequin, ne mâche pas ses mots lorsqu'il s'agit du pouvoir du gingembre, du fenouil et autres plantes aux multiples bienfaits. Après avoir été à la tête de son propre restaurant, un bar jazz végane qui emmenait sur un ton sulfureux les Anversois à travers les dédales de la cuisine à base de plantes, elle a développé des expériences culinaires en plein air avec des menus basés sur ses propres peintures de paysages saisonniers. Aujourd'hui, en tant que Herbal Ambassador pour Pukka, elle défend un mode de vie basé sur le végétal.

La fille Mowgli

Elle découvre les plantes très tôt, passant tous les étés dans la maison de vacances de ses grands-parents dans le sud de la France. Un endroit isolé dans une réserve naturelle, pauvre en électricité et eau courante, mais riche en plantes sauvages et en aventures diverses et variées. Cuisiner sur un feu ouvert, faire de la cueillette sauvage et se promener pendant des heures faisaient partie du quotidien. Quand, enfant, on me demandait quelle princesse Disney je voulais être, je répondais invariablement Mowgli. Au grand désespoir de mes amis, traverser la vie pieds nus et parler aux animaux, c'était mon truc. Dès mon plus jeune âge, j'ai ressenti un lien profond avec la nature, qui s’est renforcé par la suite à travers ma cuisine et mon alimentation, mais aussi par les soins que je prodigue à mon corps. Ça dépasse le côté fonctionnel, c'est vraiment une seconde nature pour moi. Je peins et j'aime rester assise pendant des heures sans bouger, pleinement consciente de la nature qui m'entoure : les parfums, les animaux, le souffle du vent. Depuis que j'ai trouvé dans la bibliothèque de ma grand-mère un vieux livre intitulé Feed Your Face, je suis devenue complètement dingue de beauté. À 8 ans déjà, je préparais des shampooings à la lavande sauvage ou des masques visage à l'origan. Je cuisinais également seule pour toute la famille, avec les produits du jardin. J'ai donc brassé, mélangé, expérimenté, mais sans vraiment réaliser ce que je pouvais réellement accomplir avec les plantes. Quand j'étais mannequin, j'ai vécu à Paris un moment. Je ne surveillais pas vraiment ma ligne. Au contraire. Mais mon régime de l’époque, composé de croissants et de fromages, affectait ma santé, mon sommeil et ma concentration.Cette expérience a fait naître chez Lily Joan une fascination pour les pouvoirs curatifs de l’alimentation. Elle s'est alors plongée corps et âme dans l'herboristerie, entreprenant même un voyage de découverte pour apprendre de quelle manière la nature façonne l'alimentation dans chaque culture. De la street food au Mexique aux snacks de la jungle en Équateur, en passant par la cuisine ayurvédique indienne et les étoiles Michelin en France. Ces différents concepts, du plus sommaire au plus classe, l’ont inspirée et poussée à ouvrir un restaurant à Anvers : Bar d'Henri, un concept végane et jazzy. La cuisine y était entièrement végétale, mais aussi très bourguignonne, car ce mode de vie est tout sauf ennuyeux. Pourquoi ça ne devrait pas être sexy ? Je suis une cheffe et rien ne doit entraver le plaisir et l'expérience de la bonne nourriture. C'est pourquoi j'encourage les gens à explorer de nouvelles saveurs, à découvrir par eux-mêmes, à expérimenter des combinaisons et des arômes. Le soir en hiver, quand il fait bien froid, j'adore boire un whisky aux épices chaleureuses comme la cannelle ou le clou de girofle. Et je fais fondre discrètement mes desserts au chocolat dans mon thé aux baies séchées pour les rendre encore plus apaisants. Vous voulez un truc ? Il m'arrive d'ouvrir un sachet de thé au-dessus de mes casseroles parce que sa composition est si pure et concentrée qu'il optimise à la fois le goût et les vertus des plantes.” Ou comment ramener le sexy derrière les fourneaux, une plante à la fois.

"C'est un monde de durs à cuire, car le rythme et la pression exigent beaucoup sur le plan physique."

Bringing secy back

Nous sommes loin du cliché du chef macho, maître et possesseur de sa cuisine. C'est un monde de durs à cuire, car le rythme et la pression exigent beaucoup sur le plan physique. Une motivation supplémentaire de prendre soin de moi et de mettre mon endurance à l’épreuve. Lors de mon séjour en Équateur, j'ai travaillé dans un restaurant étoilé où j'étais la seule femme blanche dans une cuisine remplie d'hommes dont je ne parlais pas la langue. Il m'a donc fallu un certain temps pour gagner leur confiance et leur respect, mais une fois ceux-ci acquis, je me suis sentie encore plus forte, parce que j'avais fait mes preuves malgré les clichés. Au cours de cette expérience, j’ai pris conscience que l’énergie féminine était très utile en cuisine pour contrebalancer l'atmosphère âpre, axée sur la performance qui prévaut trop souvent. Il s'agit d'une manière douce et intuitive de cuisiner, sans trop de règles ni de restrictions. Je veux proposer une nourriture délicieuse, saine et belle, teintée de poésie et de romantisme. Les gens doivent goûter une histoire, se reconnecter à la nature et apprendre à sentir leur propre corps. Ces valeurs se retrouvent également dans la botanique ; ce n'est pas un hasard si les herboristes sont plus souvent des femmes, et les chefs balèzes des hommes. Nous avons atteint un point dans notre société obsédée par la productivité, où les hommes aussi revendiquent leur part de cette douceur féminine. Ils réalisent qu'ils ont besoin de plus qu'une boisson protéinée et d’heures dans une salle de sport pour se sentir bien mentalement et physiquement. Je pense que c'est la raison pour laquelle les gens s'ouvrent de plus en plus au monde végétal, et que les cuisines étoilées sont le terrain idéal pour réunir ces deux mondes de manière savoureuse. D'ailleurs, je vais bientôt lancer une gamme de plats sans gluten, à base de plantes et sans additifs, afin que chacun puisse facilement adopter le mode de vie végétalien chez soi sans devoir faire la chasse aux sorcières. Je travaille également sur un programme de coaching pour guider les gens vers un style d'alimentation et de cuisine plus intuitif, personnalisé et basé sur les plantes.

"Pourquoi ça ne devrait pas être sexy ? Je suis une cheffe et rien ne doit entraver le plaisir et l'expérience de la bonne nourriture."

Le luxe à base de plantes

Lily Joan n'est pas la seule à battre en brèche l'image coincée traditionnellement associée aux plantes. En fait, leurs vertus ne sont pas plus surprenantes qu'elles ne sont réservées aux bobos écolos. Il a été scientifiquement prouvé que le corps est animé par des vibrations énergétiques, lesquelles sont constamment affectées par les flux d’énergie qui émanent de notre environnement et qui passent par l'estomac. Les plantes se sont révélées un moyen puissant de maintenir l'harmonie entre toutes ces énergies. On pourrait décrire ce phénomène en termes médicaux ou plus ésotériques, mais en fin de compte, la valeur médicinale de chaque plante correspond au type d'énergie spécifique que des philosophies anciennes comme l'ayurveda lui attribuent. Cette notion fait de plus en plus d'adeptes parmi les jeunes labels qui intègrent les plantes dans des concepts cosmétiques, vestimentaires ou alimentaires. Respectueux de la planète donc, mais aussi de notre équilibre énergétique. Les collections de vêtements d’intérieur du label espagnol Yoli & Otis sont conçues en matières bios avec des teintures naturelles à base de plantes telles que le curcuma, le henné, l'aloe vera et l'indigo. Celles-ci permettent non seulement d'obtenir des coloris intenses, mais aussi d'imprégner les tissus des effets curatifs et apaisants de ces plantes. Ça favoriserait même le sommeil, à tel point que la marque a affectueusement baptisé ses colorants sleepy dust. Le monde de la gastronomie, lui aussi, montre un regain d'intérêt pour des recettes qui ont fait leurs preuves il y a plusieurs siècles. Le tout nouvel hôtel de luxe Sapphire House à Anvers abrite deux restaurants végétariens, WILDn et PLANTn, qui, sous la direction du chef étoilé Bart De Pooter, proposent un menu à base d'herbes et de fleurs sauvages. Légumes fermentés, exhausteurs de goût faits maison et même biscuits à base de fanes de légumes : la nature est manifestement dans toutes les assiettes. On citera aussi L'Arin, une marque de soins capillaires qui fabrique shampooings, après-shampooings et masques luxueux à base d'orties belges. Sans parler du merveilleux Elaisa Energetic Wellness près de Maasmechelen. S’il ressemble à un vaisseau spatial futuriste échoué au milieu d'un paysage bucolique, il s'appuie pourtant aussi sur les enseignements ancestraux liés aux énergies et aux herbes pour concevoir ses traitements holistiques. Ce monde passionnant reste largement méconnu, mais la porte qui y mène est grande ouverte. Et avec des guides enthousiastes comme Lily Joan, on s’y aventure avec joie. J'ai laissé la vie de restauratrice derrière moi, car je n’avais pas envie de prendre racine entre quatre murs. Je veux véhiculer un message et montrer l'énorme potentiel des plantes de manière très créative.” Un monde en passe de changer donc, une plante à la fois.

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