Les femmes. La vie. Libert&eacute;. Ces trois mots secouent la R&eacute;publique islamique d'Iran en ce moment. Maya Boyd s'entretient avec l'actrice iranienne en exil GOLSHIFTEH FARAHANI, bas&eacute;e &agrave; Ibiza, et avec le militant des droits civiques et photographe MISAN HARRIMAN sur l'impact des manifestations qui ont &eacute;clat&eacute; dans tout le pays &agrave; la suite de la mort de Mahsa Amini aux mains de la soi-disant police des m&oelig;urs iranienne.

Maya Boyd : L'Iran a connu de nombreuses manifestations au fil des ans. Qu'est-ce qui rend la situation actuelle si importante dans un contexte d'agitation permanente ?
Golshifteh Farahani : Depuis le d&eacute;but de la r&eacute;volution, il y a 44 ans, cette nation a connu tant de bouleversements. Tant d'explosions. Dans les ann&eacute;es 80, pendant la guerre et dans les ann&eacute;es qui ont suivi, il y a eu beaucoup, beaucoup de manifestations. Et de nombreux manifestants ont perdu la vie. Ce n'est pas la premi&egrave;re fois que le gouvernement iranien tue des gens dans la rue. Mais la principale diff&eacute;rence cette fois-ci est que les gens ne protestent pas pour des raisons &eacute;conomiques. Ils ne sont pas l&agrave; pour l'augmentation du prix de l'essence. Ils ne sont pas l&agrave; pour les &eacute;lections. Ils sont l&agrave; parce qu'une jeune femme est morte &agrave; cause de son corps et de ses cheveux et ils en ont assez. Le peuple iranien en a assez !
Misan Harriman : Tout comme nous l'avons vu avec le changement climatique et le mouvement antiraciste, dans cette nouvelle &egrave;re d'activisme renforc&eacute; par les r&eacute;seaux sociaux, nous avons ces moments de poudri&egrave;re o&ugrave; une injustice claire qui aurait pu &ecirc;tre oubli&eacute;e, ne l'est pas. Cette injustice allume une flamme qui force le changement. Les jeunes Iraniens ont fait preuve d'un courage qu'il est impossible d'ignorer et qui a &eacute;t&eacute; vu par un public mondial. Je pense que c'est tr&egrave;s similaire &agrave; ce qui s'est pass&eacute; avec George Floyd ; une fois que vous voyez quelque chose, vous ne pouvez pas l'oublier. Et il est certain que le nom de Mahsa Amini ne sera jamais oubli&eacute;. C'est l'histoire en marche. Et nous verrons ce qui se passe en Iran, &agrave; la fois dans le pays et parmi les Iraniens vivant &agrave; l'ext&eacute;rieur de leur pays. Et parmi les autres, les gens comme moi, anglais, am&eacute;ricains, allemands, tous ceux qui refusent de d&eacute;tourner le regard, ceux qui utilisent tous les outils &agrave; leur disposition pour amplifier l'injustice. Comme toujours, je le fais avec mon objectif.

GOLSHIFTEH FARAHANI de GUILLAUME ROEMAET

MISAN HARRIMAN

MB : Certains soutiennent qu'il faut consid&eacute;rer cette question comme une violation des droits des femmes et des droits de l'homme, et non comme une question religieuse. Pourquoi est-il important de faire cette distinction ?
 &nbsp;GF : C'est absolument une question de droits de l'homme et non une question religieuse ou m&ecirc;me politique, car le hijab est l'affiche publicitaire de la R&eacute;publique islamique. C'est leur panneau d'affichage. Le hijab est le poteau qui soutient le chapiteau de leur th&eacute;ocratie. "Regardez ce que nous faisons &agrave; nos femmes. Regardez comment nous les faisons se recroqueviller. Regardez comme &ccedil;a nous rend puissants. Quand le hijab tombe, le chapiteau tombe, et avec lui 700 ans de r&eacute;pression. Regardez ce qu'ils ont fait &agrave; la po&eacute;tesse T&aacute;hirih il y a 170 ans, qui &eacute;tait connue comme "la pure". Elle s'est d&eacute;voil&eacute;e devant une assembl&eacute;e d'hommes et ils l'ont br&ucirc;l&eacute;e vive pour cela. Ils l'ont ex&eacute;cut&eacute;e. Ce combat n'est pas nouveau. Les femmes iraniennes se sont battues toute leur vie, toute la vie de nos m&egrave;res et de nos grands-m&egrave;res. Mais la soci&eacute;t&eacute; a &eacute;volu&eacute;. Leur temps est &eacute;coul&eacute;.
 MH : Il y a une femme de 22 ans &agrave; qui on a &ocirc;t&eacute; la vie et c'est l&agrave; le n&oelig;ud du probl&egrave;me. Quelles que soient les nuances des normes culturelles en Iran ou ailleurs. La r&eacute;action que nous voyons n'est pas que les gens pensent "oh mon Dieu, l'Islam", ils pensent "elle devrait &ecirc;tre en vie". Et elle devrait l'&ecirc;tre. Il s'agit manifestement de l'accumulation de d&eacute;cennies de douleur et de frustration, en raison de la fa&ccedil;on inhumaine dont les citoyennes sont trait&eacute;es. Ces gouvernements doivent se regarder dans le miroir et d&eacute;cider de ce qu'ils font en ce qui concerne les principaux droits des filles et des femmes. Et moi, en tant que p&egrave;re de deux petites filles, je me battrai pour ces droits aussi longtemps que je serai en vie. En Iran et dans le monde entier, les femmes et les filles n'ont pas les m&ecirc;mes chances de s'&eacute;panouir et c'est une erreur, point final. Je vois l'injustice simplement &agrave; partir de ma sph&egrave;re de ce qui est bien et mal, quel que soit le pays d'o&ugrave; je viens ou ma religion.

Photographie de MISAN HARRIMAN

MB : Les vid&eacute;os en provenance d'Iran et les images des manifestations mondiales sont d'une puissance extraordinaire. Quelles sont les &eacute;motions qui alimentent ces sc&egrave;nes de r&eacute;sistance sans pr&eacute;c&eacute;dent ?
 GF : Le peuple iranien est en col&egrave;re ! Il en a assez qu'on lui mente. On leur a menti pendant 44 ans. La r&eacute;volution &eacute;tait une blague. Elle a &eacute;t&eacute; d&eacute;tourn&eacute;e parce que le peuple iranien en avait assez du Shah, mais on ne lui a pas propos&eacute; d'alternative d&eacute;mocratique. C'&eacute;tait Shah ou R&eacute;publique islamique ? Oui, ou non ? La r&eacute;volution a promis la libert&eacute;, l'ind&eacute;pendance et la justice sociale. La libert&eacute; est l'id&eacute;e la plus absurde dont ils puissent parler. L'ind&eacute;pendance aussi. Quelle ind&eacute;pendance ? Ils ont vendu le pays entier &agrave; la Chine. Les gens ont faim, quelle ind&eacute;pendance ? La justice sociale ? Combien d'artistes et de lib&eacute;raux ont &eacute;t&eacute; d&eacute;tenus ? Tu&eacute;s ? Combien de personnes ont-ils ex&eacute;cut&eacute; ? La justice est une blague. De quoi peuvent-ils vraiment &ecirc;tre fiers ? De rien. Mon peuple est en col&egrave;re. Ils sont furieux.
 MH : La semaine derni&egrave;re, j'ai photographi&eacute; de nombreuses grands-m&egrave;res et femmes &acirc;g&eacute;es devant l'ambassade d'Iran et leur chagrin &eacute;tait palpable. Je pouvais le sentir et l'entendre. Il y a un bruit, un cri que l'on entend et qui en dit plus en un son que ce que de nombreux grands philosophes pourraient capturer en mille mots. C'est un son qui va droit au but. L'une des images que j'ai prises est celle d'une femme &acirc;g&eacute;e qui g&eacute;mit. C'est tr&egrave;s similaire au mouvement antiraciste dans la mesure o&ugrave;, si vous et votre peuple n'avez pas &eacute;t&eacute; vus et entendus et que vous avez &eacute;t&eacute; exploit&eacute;s pendant des ann&eacute;es et des ann&eacute;es ; si vous avez connu ce genre de douleur pendant des g&eacute;n&eacute;rations, alors le traumatisme sort litt&eacute;ralement de vous. Le meurtre de Mahsa Amini a d&eacute;clench&eacute; une lib&eacute;ration du traumatisme que les gens ont travaill&eacute; si dur pour cacher pendant si longtemps. Il y a donc de la douleur, de la col&egrave;re, mais aussi de la force d'&acirc;me et de l'intention. L'intention de reconna&icirc;tre qu'il est temps de forcer le changement. C'est une combinaison de toutes ces &eacute;motions et c'est implacable dans sa puissance.

MB : De nombreuses femmes iraniennes ont d&eacute;clar&eacute; qu'il &eacute;tait extr&ecirc;mement important pour elles que leurs hommes se battent &agrave; leurs c&ocirc;t&eacute;s, peut-&ecirc;tre pour la premi&egrave;re fois de leur vie. Elles se sentent vues et soutenues par leurs fr&egrave;res, leurs maris et leurs p&egrave;res. Dans quelle mesure pensez-vous qu'il est important que les hommes soutiennent ce mouvement ?
 GF : C'est historique ! Nous n'avons jamais vu une telle unit&eacute; entre les hommes et les femmes. Nous n'avons jamais vu les hommes d'Iran soutenir leurs femmes comme cela. Les hommes sont l&agrave; parce que Mahsa Amini &eacute;tait leur s&oelig;ur. Elle &eacute;tait leur fille. Ils se battent au coude &agrave; coude avec les femmes parce qu'ils savent que cela est plus important que les diff&eacute;rences entre les hommes et les femmes. Ils se battent ensemble pour la libert&eacute;. La g&eacute;n&eacute;ration qui est n&eacute;e dans les ann&eacute;es 90 n'a jamais vu la guerre. Ils sont sans peur. Et ils ne se laissent pas faire. Elles mettent leurs muscles, leur sang et leurs os en premi&egrave;re ligne pour se battre pour la libert&eacute; et c'est historique. Les filles d'Iran sont d&eacute;j&agrave; victorieuses. Quelle que soit l'issue de ce mouvement, elles sont victorieuses, car elles ont fait une blessure au bras de la R&eacute;publique islamique qui ne gu&eacute;rira jamais. Peut-&ecirc;tre que la R&eacute;publique fonctionnera encore, peut-&ecirc;tre pas. Mais cette blessure va suppurer pour toujours.
 MH : Le soutien des hommes est essentiel, tout comme il &eacute;tait essentiel que des personnes non noires soutiennent le mouvement antiraciste. C'est imp&eacute;ratif. Beaucoup, beaucoup d'hommes &eacute;taient devant l'ambassade d'Iran la semaine derni&egrave;re et ils &eacute;taient aussi passionn&eacute;s et frustr&eacute;s que les femmes. Comme pour toutes ces choses que nous voyons dans les nouvelles, c'est g&eacute;n&eacute;ralement un petit groupe d'hommes qui cause des quantit&eacute;s extraordinaires de dommages. Si un plus grand groupe d'hommes se rend compte de cela, alors ils peuvent esp&eacute;rer utiliser leur privil&egrave;ge de naissance pour acc&eacute;l&eacute;rer le changement dont nous avons besoin. Nous avons besoin de voir cette r&eacute;sistance de la part des hommes, et nous avons &eacute;galement besoin de la voir de la part de ceux qui sont dans l'&oelig;il du public. Je me fiche de savoir si les c&eacute;l&eacute;brit&eacute;s ont peur de prendre le train en marche - une plateforme est une plateforme. Ces personnes doivent monter sur leur podium et d&eacute;noncer le probl&egrave;me sans ambages. Le monde br&ucirc;le, et ceux qui en ont la capacit&eacute; doivent tirer la sonnette d'alarme.

Golshifteh Farahani : "Les filles d'Iran sont déjà victorieuses"

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