Elvis : un livre sublime retrace la naissance d'un mythe
Les grandes musiques populaires du XXe siècle sont nées en parfaite harmonie avec une nouvelle technologie (en plus de celle de l’enregistrement bien sûr, décisive dans sa diffusion de masse) : la photographie, et ce n’est pas anodin. La soul, le jazz, le rock, auraient-ils connu pareille destinée sans une iconographie mythologique, faisant des stars des icônes à vénérer ?
Assurer qu’Elvis a donné à lui seul naissance au rock entraîne toujours des débats hautement inflammables, mais il est incontestable en revanche qu’il en fut sa figure emblématique originelle par son charisme vénéneux, sa photogénie incandescente, son assurance sidérante.
1956 est plus qu’une année charnière pour le chanteur : elle marque son envol, les premières apparitions télévisées, les tournées sans relâche – et l’adoration des foules qui ne cessera de croître, avant un déclin au diapason de son mal-être, puis la renaissance et enfin la pathétique chute finale.
Un témoin a eu le privilège d’accompagner cette ascension, le photographe Alfred Wertheimer. Engagé par RCA, la maison de disques du King, il le suit pendant deux semaines, de trains en loges, de scènes en moments intimes volés. Il en revient avec près de 3 000 clichés qui façonneront la légende Elvis, inventant ainsi un genre à part entière : la photographie rock. Il capte avec grâce, délicatesse, empathie, un (très) jeune homme, encore fragile mais déjà conscient de son charme irrésistible. Autodidacte, influencé par William Eugene Smith et Dorothea Lange, Wertheimer suit un Presley qui ne sait pas encore qu’il deviendra Elvis. Sa maîtrise de l’ensemble de la palette chromatique, du noir et blanc tout en contrastes sensuels, jusqu’aux couleurs les plus brûlantes, donne au livre une allure de voyage au plus près de l’intimité du musicien, attrapant au vol ce qu’il lui reste d’innocence, sa concentration absolue, sa détermination. Le chanteur semble parfois oublieux d’être ainsi suivi, tout en ayant pleinement accepté que son image, déjà, nourrisse sa célébrité. Il ne reverra Wertheimer qu’une fois, en septembre 1958, lors d’une conférence de presse, avant de s’embarquer pour effectuer son service militaire en Allemagne, et plus jamais, avant la mort d’Elvis, le 16 août 1977, le photographe ne sera sollicité pour vendre ses images désormais iconiques.
Ce livre est autant le témoignage d’une époque décisive, que celui de l’immense talent d’Alfred Wertheimer. Capter ainsi, avec tant de justesse le bouillonnement éruptif d’un talent comme surgissant des entrailles du monde, n’était pas donné à tout le monde.
Alfred Wertheimer : Elvis and the Birth of Rock and Roll chez TASCHEN, 336 pages, édition trilingue, allemand, anglais, français,, 50 €.