"Dr. Brain" : la nouvelle série coréenne qui nous captive
Il y a deux façons de regarder Dr. Brain : l’une est d’aborder cette mini-série, imaginée bien avant l’imprévu carton de Squid Game, confirmant la vitalité de la création coréenne en matière de télévision (l’on savait déjà que le pays offrait de merveilleux cinéastes, à l’image de Hong Sang-soo ou de Bong Joon-ho) comme un polar cérébral, hypnotisant, à la complexe structure façon Christopher Nolan.
L’autre serait de se plonger dans cette œuvre comme dans un cerveau dévasté par le chagrin, accepter de se laisser porter par les vagues, emporter par les tempêtes. Celui de Se-won (interprété par Lee Sun-kyun, découvert ici dans Parasite) n’est pas comme tous les autres : il fonctionne bien mieux que celui du commun des mortels, quoique cette singularité se paie d’une certaine inadaptation aux relations sociales. Chercheur en neurologie tourmenté par de nombreux drames familiaux, il trouve dans son travail autre chose qu’une consolation : il cherche des clés pour les comprendre, se les rendre intelligibles à lui-même. Souvent, il arrive que la part la plus douloureuse du chagrin soit alimentée par une totale incompréhension de ses raisons. Se-won ne veut pas s’y résoudre, établir une trêve avec sa peine doit passer par sa pleine exploration. Esprit brillant, donc, il a mis un point une technique pour permettre à deux cerveaux de communiquer sans parole - ne nous demandez pas comment il s’y prend, malgré les efforts louables de la narration pour l’expliquer, à titre de comparaison, la physique quantique, c’est Babar (cette opacité ne manque pas de charme ceci dit) - mais ça marche plutôt bien, voire trop.
Plus il se perd dans des labyrinthes cérébraux peuplés de fantômes, plus les souvenirs se superposent aux hypothèses, et l’entraînent au cœur de la vérité - et le confrontent aux dangers afférents à sa quête. Le philosophe Gilles Deleuze avait théorisé, en étudiant le cinéma de Kubrick, la notion de "film-cerveau" : sans aller jusqu’à convoquer l’immarcescible génie du cinéaste américain, Dr. Brain répond assez bien à ce que décrivait Deleuze dans "L’Image-temps. Cinéma 2" (Editions de Minuit, 1985) : c’est "le cerveau qui est mis en scène." Ici, celui-ci est aussi l’âme blessée de son protagoniste principal, armé, pour tout bagage, uniquement de son intelligence, c’est elle qu’il convoque pour guérir de l’incurable tristesse. L’on ressort de ces six épisodes comme son héros émerge de son aventure - mais encore ? Eh bien, la réponse tient dans son ultime plan…
Une mini-série de six épisodes créée par Kim Jee-woon. Avec Lee Sun-kyun Lee You-young, Park Hee-soon, Seo Ji-hye et Lee Jae-won. Disponible sur Apple TV+ à partir du 3 novembre. Un épisode par semaine jusqu’au 10 décembre.