Pour Celine, le cinéaste s’est fait tirer le portrait par Hedi Slimane. Une preuve éclatante de l’influence que
l’œuvre du survivant de la Nouvelle Vague exerce sur les créateurs d’aujourd’hui.

Dans le prolongement de sa s&eacute;rie&nbsp;Portrait of a performer/artist&nbsp;pour Celine, Hedi Slimane a d&eacute;voil&eacute; ses photos de&nbsp;dans sa maison en Suisse, &agrave; Rolle. Le cr&eacute;ateur est venu en admirateur et a mis en sc&egrave;ne le cin&eacute;aste de&nbsp;89&nbsp;ans, en veste de costume &agrave; rayures, chemise blanche et f&eacute;dora : des r&eacute;f&eacute;rences &agrave; un &acirc;ge d&rsquo;or du cin&eacute;ma. Pourtant, la place qu&rsquo;occupe Godard est paradoxale (forc&eacute;ment, pour lui). C&rsquo;est celle d&rsquo;une ic&ocirc;ne iconoclaste. Il est lui-m&ecirc;me une &ldquo;image&rdquo;, sainte, r&eacute;v&eacute;r&eacute;e ou moqu&eacute;e, mais une image qui joue elle-m&ecirc;me avec les images, les casse, les assemble, les monte et les remonte, dans des films d&eacute;sormais r&eacute;alis&eacute;s en reclus. On a l&rsquo;impression que, sans quitter Rolle, Godard cherche quand m&ecirc;me &agrave; renouer le lien avec le dehors, &agrave; partager, parfois&nbsp;de mani&egrave;re fac&eacute;tieuse, comme lors de sa conf&eacute;rence de presse par FaceTime, &agrave;&nbsp;Cannes en&nbsp;2018, pour&nbsp;la pr&eacute;sentation de son film&nbsp;Le Livre d&rsquo;image,&nbsp;en comp&eacute;tition. Plus r&eacute;cemment, en avril, cigare en bouche et d&eacute;bardeur vert, il s&rsquo;est fait superstar&nbsp;des r&eacute;seaux sociaux le temps d&rsquo;un live sur le compte Instagram de l&rsquo;Ecal, l&rsquo;&eacute;cole d&rsquo;art de Lausanne. Interview&eacute; chez lui, en plein confinement, il s&rsquo;est longuement exprim&eacute;, entra&icirc;nant en r&eacute;action une cascade d&rsquo;&eacute;mojis et de c&oelig;urs avec les doigts. Le th&egrave;me de ce show viral portait justement sur les images, cette fois au temps du coronavirus. Il a aussi &eacute;t&eacute; question de m&eacute;decine, de science et de langage.&nbsp;&Agrave;&nbsp;89&nbsp;ans, le cin&eacute;aste a toujours ce don de surgir de&nbsp;nulle part. C&rsquo;&eacute;tait parfois filandreux, un peu fumeux, mais comme toujours, il y avait des &eacute;tincelles, des perles &agrave; saisir. On peut estimer que Godard cultive l&agrave; son mythe aupr&egrave;s d&rsquo;un auditoire plut&ocirc;t jeune, mais il faut en avoir le courage, l&rsquo;imaginaire et la capacit&eacute;&nbsp;de questionnement permanent. C&rsquo;est passionnant, quand on essaie d&rsquo;inventer quelque chose, de creuser un sillon qui ne soit jamais pr&eacute;visible. D&rsquo;autant plus que l&rsquo;&eacute;poque refuse totalement cette ambition, en cherchant tout le temps &agrave; imiter, &agrave; reproduire, &agrave; faire recette (dans tous les sens du terme).

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Vague d&rsquo;inspirations 
 
Quant &agrave; Godard et la mode, plus particuli&egrave;rement, c&rsquo;est l&agrave; aussi une histoire pleine de rebondissements et toujours d&rsquo;actualit&eacute;. On se souvient de sa campagne publicitaire pour les jeans Closed de Marith&eacute; + Fran&ccedil;ois Girbaud en&nbsp;1987&nbsp;(&ldquo;En g&eacute;n&eacute;ral, les gens vont travailler en pantalon; eux, c&rsquo;est sp&eacute;cial : ils travaillent&nbsp;le pantalon. Pantalon, pas jeans am&eacute;ricains!&rdquo;). Puis, il y eut le court-m&eacute;trage tourn&eacute; durant la fashion week, On s&rsquo;est tous d&eacute;fil&eacute;s, avec ses commentaires godardiens en surimpression (&ldquo;Depuis des &eacute;ternit&eacute;s,&nbsp;la mode lutte contre l&rsquo;&eacute;ternit&eacute;&rdquo;). Plus r&eacute;cemment, en&nbsp;2019, Virginie Viard, directrice artistique des collections Chanel, pr&eacute;sentait sa nouvelle collection <a href="https://www.lofficiel.be/mode/chanel-printemps-ete-2021-l-hommage-aux-icones-du-cinema-hollywoodien" target="_blank">printemps-&eacute;t&eacute;&nbsp;2020&nbsp;inspir&eacute;e de la Nouvelle Vague</a>. L&rsquo;esprit de cette collection, avec ses tailleurs en tweed revisit&eacute;s en combishorts color&eacute;s (rose, rouge ou&nbsp;orang&eacute;) entendait se prolonger, gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;annonce du soutien de Chanel &agrave; la r&eacute;trospective d&eacute;di&eacute;e &agrave; Godard, qui s&rsquo;est tenue au d&eacute;but de cette ann&eacute;e&nbsp;2020&nbsp;&agrave; la Cin&eacute;math&egrave;que fran&ccedil;aise de Paris. Peu de temps avant, le cin&eacute;aste, dont les films ont inspir&eacute; des collections pour des cr&eacute;ateurs et marques aussi vari&eacute;s qu&rsquo;Anna Sui, Rodarte ou Band of Outsiders, avait collabor&eacute; avec la Fondation Prada &agrave; Milan. Les visiteurs de cet &eacute;tablissement ont pu d&eacute;couvrir &agrave; cette occasion le Studio d&rsquo;Orph&eacute;e, un atelier, studio d&rsquo;enregistrement et de montage, mettant en sc&egrave;ne le mat&eacute;riel technique utilis&eacute; pour ses films r&eacute;alis&eacute;s depuis&nbsp;2010. L&rsquo;an dernier aussi, disparaissait la premi&egrave;re &eacute;pouse et muse du cin&eacute;aste, Hanne Karin Blarke Bayer, qui commen&ccedil;a comme mod&egrave;le apr&egrave;s que Coco Chanel en personne lui eut trouv&eacute; un nom, Anna Karina. &Agrave; l&rsquo;automne&nbsp;2007, la cr&eacute;atrice Agn&egrave;s b. avait d&rsquo;ailleurs d&eacute;di&eacute; &agrave; Anna Karina une collection, revisitant les tenues embl&eacute;matiques port&eacute;es par la com&eacute;dienne dans les films de Godard : robe rouge &agrave; volants, petit cardigan port&eacute; sur une robe en dentelle... Godard, le portraitiste de la jeunesse des ann&eacute;es&nbsp;1960, avec ses errances amoureuses et morales, sa libert&eacute; des mots et des corps et ses v&ecirc;tements et jupes &agrave; danser, demeure une r&eacute;f&eacute;rence esth&eacute;tique d&rsquo;aujourd&rsquo;hui.&nbsp;Moins que de lancer des modes, la Nouvelle Vague&nbsp;a cristallis&eacute; celles de l&rsquo;&eacute;poque dans des images accessibles &agrave; tous. Pour la premi&egrave;re fois aussi, elle a montr&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;cran les tenues de l&rsquo;intimit&eacute; comme les soutiens-gorge ou les chemises d&rsquo;homme que portent ses h&eacute;ro&iuml;nes pour dormir. Personne ne l&rsquo;a oubli&eacute;, comme personne n&rsquo;a oubli&eacute; la blondeur surnaturelle de Brigitte Bardot incendiant son cardigan et sa jupe noire dans&nbsp;Le M&eacute;pris,&nbsp;en&nbsp;1963. Bardot avec ses jupes au-dessus du genou, ses ballerines et son regard charbonneux. Ou Chantal Goya dans&nbsp;Masculin/F&eacute;minin&nbsp;en&nbsp;1965, avec ses petites jupes &agrave; carreaux et son pull en shetland, devenue la pi&egrave;ce vestimentaire phare de l&rsquo;ann&eacute;e&nbsp;1965, accessible &agrave; tous (quand, sur&nbsp;le tournage d&rsquo;&Agrave; bout de souffle,&nbsp;en&nbsp;1959, le cin&eacute;aste cherche une robe &agrave; rayures pour Jean Seberg, c&rsquo;est au Prisunic du coin qu&rsquo;il la trouve).&nbsp;&Agrave; bout de souffle&nbsp;a aussi inaugur&eacute; la mode du complet de Jean-Paul Belmondo&nbsp;: bouton de veste ouvert, cravate en vrac et chapeau qui tombe. Sans compter les manteaux camel du trio Anna Karina/Claude Brasseur/Sami Frey&nbsp;de&nbsp;Bande &agrave; part,&nbsp;en&nbsp;1964, qui ont inspir&eacute; Rick Owens,&nbsp;quand le pull port&eacute; par Claude Brasseur dans ce m&ecirc;me film a &eacute;t&eacute; d&eacute;clin&eacute; aussi bien chez Lanvin que chez Acne studios. &Eacute;ternel Godard. Visionnaire, parfois m&ecirc;me. N&rsquo;avait-il pas, en&nbsp;2010, tourn&eacute;&nbsp;Film socialisme&nbsp;sur le paquebot&nbsp;Costa Concordia,&nbsp;avant son naufrage, qui symbolisa une Europe marchande menac&eacute;e de prendre l&rsquo;eau de toute part ?&nbsp;

Une id&eacute;e de la modernit&eacute; 
 
Godard continue d&rsquo;inspirer beaucoup de cr&eacute;ateurs car il est multiple. Il y a le dandy m&eacute;lancolique, l&rsquo;agitateur r&eacute;volutionnaire, l&rsquo;artisan vid&eacute;aste,&nbsp;le d&eacute;miurge vaudois et le provocateur misanthrope. Celui des fictions ou celui des documentaires, voire des essais, cin&eacute; tracts, clips et publicit&eacute;s. Le puzzle godardien invite &agrave; batailler entre ellipse et raccord, collage et citation, charnel et spirituel, trivial et sublime. Entre toutes ces embuches, une jeunesse, qui a l&rsquo;habitude de br&ucirc;ler ses idoles peut certainement dialoguer avec un cin&eacute;aste qui ne revendique aucune filiation, mais n&rsquo;en laisse pas moins un h&eacute;ritage.&nbsp;La g&eacute;n&eacute;ration d&rsquo;aujourd&rsquo;hui a, comme Godard en son temps, tout &agrave; la fois le sentiment de vivre une &eacute;poque de profonde mutation sociale et culturelle, et d&rsquo;&ecirc;tre n&eacute;e trop tard. Elle peut donc se reconna&icirc;tre dans ses films, dans leur volont&eacute; d&rsquo;interroger et de r&eacute;inventer sans cesse les images. Godard, c&rsquo;est toujours une id&eacute;e de&nbsp;la modernit&eacute;, un renouvellement esth&eacute;tique de la cr&eacute;ation. C&rsquo;est un cin&eacute;ma d&eacute;nu&eacute; de v&eacute;rit&eacute;s d&eacute;finitives, mais vou&eacute; &agrave; penser l&rsquo;Histoire, en particulier celle d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; fran&ccedil;aise violente et crisp&eacute;e.&nbsp;Et puis Godard s&rsquo;autorise tout, il n&rsquo;&eacute;coute que lui. Il est g&eacute;nial quand il fait le clown, quand il est sentimental, sensuel et m&eacute;lancolique. Il est lourd quand il veut donner des le&ccedil;ons et qu&rsquo;il regarde les autres de haut. Quand il marmonne ses phrases obscures, on ne sait pas s&rsquo;il d&eacute;livre une v&eacute;rit&eacute; pr&eacute;cieuse, ou si c&rsquo;est juste&nbsp;un vieillard qui d&eacute;lire. Mais revoir aujourd&rsquo;hui&nbsp;Une femme est une femme, &Agrave; bout de souffle&nbsp;ou&nbsp;Pierrot&nbsp;le fou,&nbsp;&ccedil;a met en joie. On attrape un peu de leur libert&eacute;, de leur &eacute;nergie, de leur humour aussi. Ces films avancent &agrave; toute allure, sans s&rsquo;excuser de rien, en prenant un maximum de risque et en imposant leur singularit&eacute; et leur audace. &Ccedil;a cavale, il y a du spectacle et la pens&eacute;e est toujours en mouvement, l&rsquo;&eacute;nergie vient du tiraillement entre la m&eacute;lancolie et la joie. Comment ne pas y revenir ?

Comment Godard inspire encore les créateurs de mode d'aujourd'hui

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